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quée en majeure partie sur l'autre, un pédant nommé Boniface fait pendant au Lysidas du maître, tandis qu'un marquis raisonnable y prend le rôle de Dorante. Mais de critique il n'y a là que l'apparence; et cette pochade dramatique, assez amusante en somme, ressemble plutôt à un coup de réclame en faveur du Légataire, où chaque personnage se plaint de ne pouvoir trouver place, si grande est l'affluence.

Notons-y pourtant un trait d'une surprenante modestie, qui, chose peu croyable, paraît sincère. Un comédien et un chevalier s'entretiennent du Légataire universel; et comme le dernier dit force mal de la pièce, que, par parenthèse, et ce trait est emprunté au marquis-turlupin de Molière, l'affluence ne lui

a pas permis d'entendre, et comme il s'écrie pompeusement: « J'en appelle à la postérité, et le siècle à venir me fera raison du mauvais goût de celui-ci », le comédien répond d'un ton plus doux: « Quelque succès qu'ait notre pièce, nous n'espérons pas, monsieur, qu'elle passe aux siècles futurs; il nous suffit qu'elle plaise présentement à quantité de gens d'esprit, et que la peine de nos acteurs ne soit pas infruc

tueuse ».

Que signifie cette déclaration? Est-ce coquetterie d'auteur, ou réellement Regnard ne soupçonnait-il pas ce qu'il y a, dans son Légataire, de portée littéraire et de durable, d'impérissable gaîté? Fait-il de la bonne comédie sans le savoir, comme le Bourgeois-gentilhomme faisait de la prose? Ce qui est certain, c'est que le génie comique est, chez lui, instinctif avant tout, et qu'il n'y a pas d'écrivain moins théorisant.

Pour nous résumer sur le siècle que nous venons de parcourir, les pages que les écrivains de ce temps ont écrites pour la défense de leurs œuvres, se maintiennent dans une grande réserve quant aux principes de l'art dramatique, et témoignent d'un respect profond pour les règles reconnues et acceptées. Si quelque dérogation y est apportée, l'auteur plaide les circonstances atténuantes, invoque le cas particulier, et n'entend pas poser en principe l'affranchissement de la loi générale.

Nous verrons bien autre chose à la fin du XVIIIe siècle, et surtout au XIX. Alors, l'affranchissement de toutes règles, et de celles même qu'indique le plus vulgaire bon sens, sera revendiqué comme la condition nécessaire de l'art. Au demeurant, il en est un peu, chez

nous, de l'art dramatique, comme de la langue française. Ne sait-on pas que le xvII et le XVIIIe siècles ont employé tous leurs soins à faire notre langue, et que le xix® n'a pas mis moins d'ardeur à la défaire?

CHAPITRE II

LES ÉCRIVAINS DRAMATIQUES

DU XVIII SIÈCLE

I

L'homme du XVIIIe siècle qui a le plus écrit de notes, notices, préfaces, avertissements, lettres et éclaircissements sur ses ouvrages dramatiques est assurément Voltaire. Qu'on ne m'accuse pas, d'ailleurs, en écrivant ces mots, d'oublier Diderot et Beaumarchais. On m'accordera, je pense, que, par leurs idées sur le théâtre, ces deux hommes appartiennent, en réalité, moins au XVIIIe siècle qu'à une époque intermédiaire, où, déjà, l'on voit poindre très nettement l'aurore du XIX. Voltaire, au contraire, est bien de son temps; et, loin de le

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