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Il est constant qu'il y a des préceptes, puisqu'il y a un art; mais il n'est pas constant quels ils sont.

PIERRE CORNEILLE.

(Discours sur l'Art dramatique.)

Les exigences dramatiques, que certains jeunes appellent des conventions, quand ils ne savent pas s'en servir...

ALEXANDRE DUMAS FILS.

(Préface du Théâtre des Autres.)

PRÉFACE

Tout art a son enseignement et connaît des enseigneurs. Nous avons des cours d'architecture et de sculpture. Le peintre arrivé réunit des élèves dans son atelier et les fait profiter du fruit de son expérience. Le comédien parvenu donne des leçons de déclamation. Il y a, pour les femmes, des cours de coupe et de couture, voire de cuisine. On prétend même qu'en cherchant dans des coins obscurs et cachés, on pourrait trouver des professeurs spéciaux, qui enseignent l'art de débarrasser charitablement le prochain des objets encombrants dont ses poches sont alourdies.

A cette règle universelle l'art dramatique fait exception. Je ne sache pas qu'un auteur dra

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matique autorisé ait jamais eu l'idée de livrer ses secrets à des confrères débutants. Il serait pourtant bien intéressant, après avoir applaudi une belle œuvre, de savoir comment et en vertu de quels principes elle a été conçue et composée. C'est ce que j'ai tâché de rechercher en m'attachant aux rares explications données par les maîtres de l'art.

Malheureusement, les grands artistes, les grands écrivains n'ont pas toujours des idées théoriques bien nettes. Il y a des génies instinctifs qui obéissent, dans le feu de l'inspiration, à des lois qu'il ne leur serait pas toujours possible de formuler. L'élan fougueux de leur essor s'accorde mal avec la sûreté du jugement, et on ne voit pas toujours la faculté de créer, cohabiter, dans le même cerveau, avec l'esprit critique. C'est parfois aux simples hommes de talent, d'inspiration plus calme et plus froide, qu'il appartient de raisonner leurs œuvres.

Aussi, s'il est intéressant de rechercher, dans les notices ou préfaces des plus grands écrivains dramatiques, les principes qui ont guidé leurs travaux et inspiré leurs créations, s'il est curieux d'interroger ces pages d'à côté, pour

mettre ce que l'auteur a voulu faire en regard de ce qu'il a fait, il est une chose qu'il ne faut pas nous dissimuler: c'est que ces avant-propos, intéressants toujours, ne le seront pas toujours proportionnellement à l'intérêt même de l'œuvre qu'ils accompagnent. Les préfaces de Beaumarchais sont plus suggestives que celles de Molière.

C'est ainsi que nous verrons aussi s'accuser une différence entre le XVIIe siècle et le XIX. < A bon vin point d'enseigne », disait la naïveté de nos pères. La très grande œuvre, c'est « le bon vin» elle n'a besoin ni de préparation ni de commentaire; elle se défend d'elle-même. Le Misanthrope n'a pas de préface; et si le Tartuffe en a une, cela tient aux circonstances particulièrement militantes dans lesquelles l'œuvre est née. Shakespeare ignore ces préparations ses drames lui semblent sans doute assez revêtus et cuirassés de leur beauté, pour s'offrir à nous tout nus. Tout au plus présentent-ils des prologues, qu'on aimerait mieux même n'y pas rencontrer. Quant aux idées du poète sur l'art et la littérature, il faut que nous les pénétrions nous-mêmes à travers ses œuvres,

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