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LETTRE écrite de la Suiffe, & adreffée aux rédacteurs de l'Esprit des Journaux, fur une affertion hafardée par un voyageur moderne.

MESSIEURS,

Iz a paru il y a quelque tems un ouvrage fous

ce titre Voyage hiftorique de la Suiffe, par M. Mayer, 2 vol. in-8vo. Paris, 1785. Ce voyage renferme un article erroné, que je me crois tenu de relever publiquement.

Le voici en parlant de Morges, petite ville du pays de Vaud, au bord du lac de Geneve, l'auteur ajoute » C'eft-là que M. le pafteur

Vernes, fi connu dans la littérature & fi » eftimé, fait fa réfidence. Il eft miniftre de la

paroiffe; il a été pafteur de l'églife de Ge» neve. Son excellent catéchifme vient d'être » adopté par la plupart des églises helvétiques » & allemandes, & enfin par les calviniftes de » Raab. «

Cet article, Meffieurs, renferme deux faits abfolument controuvés, L'un que M. Vernes eft miniftre de paroiffe à Morges, où il ne peut l'être par la conftitution qui n'admet aucun étranger aux emplois eccléfiaftiques; l'autre, que fon catéchisme intitulé: Catéchisme à l'ufage des jeunes gens de toutes les communions chrétiennes, par Jacob Vernes, pasteur, fous le titre de Londres 1785, eft adopté par la plupart des

églifes helvétiques. Sans le livre de M. Mayer feroit refté dans l'oubli. Les éloges que lui donne cet écrivain, ont excité la curiofité du public. L'académie de Laufanne même en a pris connoiffance, l'a fait examiner, & a prononcé qu'il ne pouvoit ère adopté dans nos églifes. Le clergé du pays de Vaud ne l'a point reçu, & ne peut le recevoir, comme contraire à la croyance. Il renferme en effet la preuve, fi un cas particulier la pouvoit faire, de l'accufation de M. d'Alembert dans l'Encyclopédie fur le mot Geneve, où il taxe les miniftres de cette ville de focinianifme. J'ai cru, par l'intérêt que je prends à l'honneur de notre clergé, devoir vous communiquer ces obfervations d'autant plus néceffaires qué quelques papiers publics, fur la parole de M. Mayer, ont répété la même affertion. Veuillez, Meffieurs, les inférer dans votre journal, & recevoir les fentimens de confidération avec lesquels j'ai l'honneur d'être, &c.

MESSIEURS,

Votre très humble & trèsobéiffant ferviteur.

CAUSES & origine de la fureur dite Sacrée dans les anciens myfteres : differtation latine, lue dans laffemblée de l'académie de Goettingue ; par M. le confeiller HEYNE, le 6 mai 1786, à l'occasion du paffage qui fe trouve au livre Xe. de Strabon fur les Curetes.

PARMI la foule des anciennes pratiques religieufes, les plus fingulieres fans doute, & qui forment cependant une claffe fort nombreuse, font celles où les cérémonies du culte étoient accompagnées de ce que nous avons appellé fureur facrée, pour rendre, ou à-peu-près, le fens des mots grecs maïnefthaï, enthoufian, employés dans cette acception. On ne peut décrire cet état, qu'en difant que c'eft celui où l'on peut fe trouver lorfque par une contention exceffive des facultés fpirituelles ou corporelles, on eft mis en quelque façon hors de foi-même, ou bien en d'autres termes lorfque l'imagination. s'exalte jufqu'au raviffement, à l'enthousiasme, à une espece de délire. La question de favoir comment un culte marqué par cette bizarrerie peut s'être introduit dans une portion auffi considérable du genre humain, & comment il fe fait qu'une foule de nations fauvages ou barbares n'en connoiffent encore aujourd'hui point d'autre que celui-là; cette question, dis-je, eft un objet bien digne de quelques recherches. Dès que l'on veut fe faire une notion du culte de la divinité, non pas d'après l'état de nos fociétés poli

tiques, mais d'après celui des nations groffieres & fauvages, dès que l'on fe transporte autant qu'il eft poffible au milieu d'elles pour voir par leurs yeux, fentir & juger à leur maniere, dèslors on voit difparoître une partie du fingulier,& du bizarre que nous trouvons dans cette efpece de culte. Ceci conduit naturellement à certains principes généraux fur la religion des peuples fauvages tant anciens que modernes ; qui font également importans pour l'hiftoire de l'humanité & pour celle de l'antiquité, & féconds en conféquences de différentes natures. Toutes les religions (celle qu'on appelle REVELÉE n'entre en aucune maniere dans les confidérations actuelles ) font fondées ou fur les ufages ou fur un fyftême d'opinions & de doctrine. Cette feconde claffe date fon origine des tems postérieurs à celle de la premiere, vu qu'elle préfuppofe quelque culture dans une nation, & tout au moins quelques individus à tête penfante, qui doivent avoir digéré l'enfemble de la doctrine, quelque imparfait qu'il puiffe être, & s'être fait de fes caufes & de fes effets des idées quelconques qu'ils ont comparées à leur maniere. Cette doctrine fe fera dans la fuite combinée avec les pratiques dérivées de l'ufage; mais il refte toujours prouvé & décidé que les religions de la premiere efpece ont précédé les autres de tout tems. C'étoit la religion de l'humanité dans fon enfance, comme c'est encore celle des nations, peuplades, ou races qui font reftées jufqu'à nos jours au premier degré de la culture, & dont l'état moral fe rapproche de celui de l'enfance. (Selon le témoignage de Moïfe, les premiers defcendans du pere des hommes imaginerent dès ce premier des âges, de faire des facrifices pour honorer la divinité & lui rendre un culte.) Mais il ne faut

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pas s'imaginer ici que les premiers usages qui prirent naiffance parmi les peuples groffiers fuffent d'abord ce que nous appellons ufages religieux; ils ne le devinrent que fucceffivement & par degrés. En comparant tout ce que l'on peut déduire de plus clair des relations tant anciennes que modernes fur les objets de ce genre, on voit que tout commence par le physique, & que la marche générale fe réduit à peu près à ce qui fuit. Suppofons quelques événemens heureux & fatisfaifans qui faffent naître la joie parmi ces hommes fimples & groffiers; cette joie fe manifefte de maniere ou d'autre, & nous appellerons cela une fête, une réjouiffance. Peu à peu, & par différens moyens, la plupart dûs au hafard, il s'y introduit quelque chofe qui tient de la nature de ce que l'on appelle religieux; ce fera ou l'étonnement caufé par quelque objet nouveau; tel qu'un phénomène naturel & non accoutumé, ou autre quelconque; ou bien les preftiges d'un jongleur; fouvent ce ne fera qu'une pierre, un arbre, une fource, une montagne, qui par hasard fe fera trouvée faire ou orner le théatre de la scene; on fe féra accoutumé à fe raffembler auprès de cet arbre, de cette fontaine; de génération en gé nération elle fera devenue refpectable pour les defcendans parce qu'elle aura fervi aux ancêtres de rendez-vous; de cette maniere il en réfulta une espece de vénération commune pour un objet devenu refpectable ou facré, en prenant ce mot dans une acception qui n'exprime qu'une idée obfcure & affez vague, différente même dans chaque peuplade, race, ou famille, peutêtre même dans chaque individu, & variant dans le cours du tems felon les accidens, les

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