Images de page
PDF
ePub
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

A

[ocr errors]

JAMAIS Timpitoyable mort ne frappa d'un de ses coups inattendus une victime plus intéressante que l'héritière du trône britannique jamais aussi son funeste triomphe ne fut accompagné de douleurs plus éclatantes, de larmes plus populaires, de sanglots plus universels.

Considérez une jeune princesse parée de toutes les grâces que le monde admire, de toutes les vertus qu'il chérit ; entourée des vœux et des hommages d'un grand peuple, de l'ardent amour d'un époux de son choix, de la vénération des sages, des bénédictions du pauvre, de toutes les faveurs que le ciel peut accorder sur la terre à un objet de sa prédilection; voyez tant de félicités et d'espérances dissipées tout à coup comme une ombre vaine; et de si brillantes destinées renfermées à l'improviste sous la pierre qui sépare à jamais de ce monde tout ce qui lui a appartenu; et dites si jamais catastrophe fut plus digne de compassion!

L

[ocr errors]

Aussi, quelle oraison funèbre que celle de la princesse Charlotte! J'ai vu la nation anglaise tout entière plongée dans l'affliction; les classes les plus pauvres ont pris le deuil; les établissemens publics et particuliers, les comptoirs, les ateliers, sont tout à coup devenus silencieux et déserts. Dans tout le royaume il n'y avait pas, le 18 novembre, une seule boutique ouverte, on ne se parlait pas d'affaires, on se saluait tristement. Les palais, les maisons et les cabanes étaient dépeuplés; les églises seules, tendues de noir, étaient remplies de peuple qui pleurait et quipriait : dans une douleur pareille, il semble que l'homme ne puisse

[graphic][subsumed][ocr errors][ocr errors][ocr errors]

plus s'entretenir avec la terre, de si vifs regrets ne peuvent s'exhaler que dans le sein de Dieu.

Cette douleur s'est étendue des rives de la Tamise aux, extrêmités de l'Ecosse; elle a passé les mers; le deuil de la princesse Charlotte a été porté aux bords du Danube, de la Newa, de l'Ohio et du Gange. Des peuplades à demi sauvages ont payé aussi leur tribut de larmes; la jeunesse, la beauté la vertu, frappées de mort, voilà ce que les hommes les moins civilisés déplorent aussi bien que les enfans des lumières.

Charlotte de Galles naquit en 1796. A l'âge de dix ans, son éducation fut confiée au pieux et savant évêque d'Excester, à la duchesse douairière de Leeds, et à lady Clifford. La princesse fut élevée loin de la cour, et on s'attacha à former son cœur et son esprit pour le rang éminent auquel elle était destinée : elle profita merveilleusement des soins de ses vertueux instituteurs; et, parvenue à l'âge de dix-neuf ans, -elle eût passé pour une femme accomplie, même dans une condition ordinaire. Toujours très-simplement vêtue, son air à la fois noble et modeste suffisait pour la faire distinguer; la fermeté de son caractère perçait dans les moindres choses; et les Anglais se plaisaient déjà à la comparer à la grande reine Elisabeth. Sa sensibilité naturelle la rapprochait de tous les malheureux. Sa principale occupation était de chercher l'infortune pour la secourir; elle voulait, disait-elle quelquefois, «< se dédommager d'avance du tems où, placée sur le trône, il lui deviendrait moins facile de se livrer à l'impulsion de son cœur. » A tant de qualités essentielles Charlotte réunissait les connaissances les plus variées, et même les arts d'agrément. Elle avait étudié à fond l'histoire de son pays, dont la partie moderne embrasse les quatre parties du monde; elle raisonnait avec une justesse surprenante sur les questions difficiles du gouvernement. Elle possédait plusieurs langues, et se plaisait sur tout à lire les classiques et les poètes de son pays. Elle était bonne musicienne, chantait avec infiniment de goût, dessinait et peignait; mais la littérature était son occupation favorite.

[ocr errors]

Dans la retraite où elle croissait ainsi en grâces et en talens, la princesse Charlotte ne restait point étrangère aux événemens qui l'entouraient. Se préparant en quelque sorte des liaisons à venir, elle s'occupait avec soin des illustres réfugiés de la révolution française; elle leur prédit, dit-on, le terme de leur exil et des malheurs de la France; et, dès l'instant où les souverains coalisés contre l'usurpateur s'ap

accouchement, furent toutes fermées; la tristesse et le silence s'étendirent de proche en proche, et un voile de deuil sembla envelopper tout le royaume.

Mais qui peindra la douleur du prince Léopold, de cet amant passionné, qui avait refusé à l'époque de son mariage jusqu'au titre de duc anglais, disant que l'amour, rien que l'amour de Charlotte, était tout ce que son cœur pouvait imaginer de désirable? Elle est morte; son dernier regard s'est tourné vers lui; il tient sa main déjà froide; il contemple la plus chère moitié de lui-même; et cette moitié n'est plus qu'un cadavre mais il ne le croit pas, il ne peut pas le croire; il reste là, plongé dans une espèce d'extase silencieuse. On l'entraîne, on l'éveille, il pleure, mais bientôt la vérité trop affreuse se dérobe de nouveau à son esprit troublé. Il accourt: « Ne dérangez rien, dit-il, dans cette chambre. Ce secrétaire ouvert, c'est là qu'elle écrit; ce fauteuil près de la croisée, c'est là qu'à la chute du jour elle s'assied et me donne ma leçon d'anglais. Ne touchez pas à ce chiffonnier, c'est là qu'elle arrange les vêtemens que ses mains ont tissus pour notre premier-né. Cette robe, placée sur une chaise, ne la dérangez pas! c'est la robe qu'elle portait hier dans notre promenade; il faut qu'elle la retrouve en s'éveillant dans la même situation où elle l'a laissée......>>

Pendant quinze jours le prince Léopold ne manqua pas d'entrer chaque soir dans la chambre de son épouse, et chaque soir, le sacrifice nuptial fut un déluge de pleurs

versés sur un cercueil.

Le 18 novembre 1817, la dépouille mortelle de la princesse Charlotte fut déposée dans le tombeau des rois à Windsor. Son corps avait été embaumé, selon l'usage ens Angleterre pour les personnes royales. Son cœur, et le corps de son enfant, enfermés dans une urne, furent transportés dans un carrosse de deuil traîné par six chevaux noirs. Le corps de la princesse, enfermé dans un cercueil de bois. d'acajou, doublé extérieurement de plomb, était placé sur un char atelé de huit chevaux. Le prince Léopold, accom pagné du révérend docteur Short, suivait le convoi oll avait eu soin de ne le faire monter dans la voiture qu'après le char funéraire avait été hors de vue, afin de lui sauver que une trop vive émotion. Une nombreuse cavalerie accompagnait la marche; un peuple immense couvrait la route et se prosternait sur le passage du fatal convoi.

Le 19, à dix heures du soir, le corps de la princesse fut

« PrécédentContinuer »