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qui peut les rendre bons ou mauvais, fans entrer dans la différence des ftyles par raport aux différens fujets qui peuvent être du reffort de la Poéfie.

La Verfification Françoise eft l'art de faire des Vers François suivant certaines regles.

Les regles que l'on peut en donner regardent, ou la ftructure des Vers, ou la rime, ou le mélange & la combinaison des Vers les uns à l'égard des autres.

ARTICLE PREMIER.

De la Structure des Vers.

A ftructure des Vers François ne confifte qu'en un certain nombre de fyllabes. Ainfi on peut d'abord divifer les différentes fortes de Vers par le nombre des fyllabes qui les compofent.

Des différentes fortes de Vers.

On en compte communément de cinq fortes; favoir,

Les Vers de douze fyllabes, que l'on appele encore Alexandrins, Héroïques, ou grands Vers:

Le-bon-heur-de-l'im-pie eft-tou-jours-a-gi-té.

Ceux de dix fyllabes, que l'on appele vers communs :

A-nos-fan-glots-don-nons-un-li-bre-cours.

Ceux de huit fyllabes:

Je-veux,-&-n'ac-com-plis-ja-mais,

Et-je-fais-le-mal-que-je-hais.

Ceux de fept fyllabes:

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Les Vers de chacune de ces efpeces dont le dernier mot est terminé par un e muet, ou feul, comme dans pere, aime, ou fuivi d'une s, comme dans le pluriel des noms, les peres, les princes, ou fuivi des lettres nt, comme dans les pluriels des Verbes, ils aiment, ils reçoivent, ont toujours une fyllabe de plus: c'eft-à-dire, que les Vers de douze

fyllabes qui finiffent par un e muet, en ont treize, comme on peut le voir dans ces trois Vers:

La-foi-qui-n'a-git-point,-eft-ce u-ne-foi-fin-ce-re?

Dieu-tient-le-coeur-des-rois-en-tre-fes-mains-puif-fan-tes.

De-leur-au-da-ce

en-vain-les-vrais-Chré-tiens-gé-mis-sent.

& que les Vers de dix fyllabes qui finiffent par un e muet en ont onze ; comme dans ces trois Vers:

Mau-di-te-foit-la-mon-dai-ne-ri-chef-fe.
Pau-vres-bre-bis,-on-vous-a-bien-sé-dui-tes.
Dieu-gard-tous-ceux-qui-pour-la-Fran-ce-veil-lent.

Les Vers de huit, de fept & de fix fyllabes, ont également une fyllabe de plus, quand ils font terminés par un e muet.

Mais le fon fourd de cette voyele s'y fait entendre fi foiblement, que la fyllabe où elle fe trouve eft comptée pour rien.

Il ne faut pourtant pas mettre au nombre des e muets, celui qui fe trouve fuivi des lettres nt dans les troifiemes perfones du pluriel de l'imparfait de l'indicatif & du conditionel préfent des Verbes, comme dans ils aimoient, ils aimeroient, parce que la terminaifon oient y a entiérement le fon de l'è fort ouvert.

Les Vers dont le dernier mot eft terminé par toute autre voyele que l'e muet, ou par une confone fans l'e muet, n'ont point, comme les autres, de fyllabe furabondante. Ainfi il n'y a précisément que douze fyllabes dans chacun de ces trois Vers:

L'i-gno-ran-ce-vaut-mieux-qu'un-fa-voir-af-fec-té.

Hâ-tons-nous : le-temps-fuit,-&-nous-trai-ne a-vec-foi ;
Dieu-ne-fait-ja-mais-grâ-ce à-qui-ne-l'ai-me-point.

Les Vers qui finiffent par un e muet font appelés, Vers féminins ; & les autres font appelés, Vers mafculins. Ce qui forme une nouvele division des Vers en mafculins & féminins.

On fait encore quelquefois des Vers qui ont moins de fix fyllabes: mais ce n'eft guere que dans des pieces libres & badines, ou destinées à être mises en Mufique.

Les Vers qui ont le plus d'harmonie & de majesté, font ceux de douze fyllabes: auffi les emploie-t-on dans les poêmes héroïques, les tragédies, les comédies, les églogues, les élégies, & autres pieces sérieuses & de longue haleine.

De l'e muet à la fin des mots.

Quand, dans le corps du Vers, la derniere fyllabe d'un mot eft terminée par un e muet feul, & que le mot qui fuit commence par une voyele ou par une h non afpirée, cette fyllabe fe mange & fe confond dans la prononciation avec la premiere du mot fuivant, comme dans ces deux Vers:

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Dieu fait, quand il lui plaît, faire éclater fa gloire,
Et fon peuple eft toujours présent à sa mémoire.

& dans celui-ci :

D'une fecrete horreur je me fens friffoner.

Mais fi le mot terminé par un e muet eft fuivi d'un mot qui commence par une confone ou par une h aspirée, l'e muet fait fa fyllabe & se prononce comme dans ces Vers:

Quelle fauffe pudeur à feindre vous oblige?

Dieu veut-il que l'on garde une haine implacable?

L'e muet final fuivi dans le même mot d'unes ou des lettres nt, fe prononce comme s'il étoit feul, quand le mot qui eft après commence par une confone, ou par une h aspirée, comme dans ces Vers:

Tu crois, quoi que je faffe,

Que mes propres périls t'affurent de ta grâce.
Traîne d'un, dernier mot les fyllabes honteuses.

Ma vie & mon amour tous deux courent hazard.

Quand l'e muet fuivi d'une s ou des lettres nt eft avant un mot qui commence par une voyele ou par une h non afpirée, outre qu'il fait fa fyllabe, I's & let fe prononcent comme s'ils faifoient partie du mot fuivant. Ainfi dans ces Vers:

Les prêtres arofoient l'autel & l'affemblée.

Que les méchans apprenent aujourd'hui
A craindre ta colere.

il faut prononcer comme s'il y avoit, Les prêtres zarofoient: apprenen-taujourd'hui.

C'eft à quoi il faut faire une attention particuliere en lifant ou en récitant les Vers: car fi dans ces occafions on manque de prononcer l's ou let final, on confondra néceffairement l'e muet avec la voyele qui commence le mot fuivant, & par conséquent le Vers aura une fyllabe de moins ce qui ne peut produire qu'un effet défagréable à l'oreille.

Rencontre des Voyeles.

On doit abfolument éviter dans les Vers, la rencontre des voyeles qui ne fe mangent point par la prononciation : c'est-à-dire, qu'un mot qui finit par une voyele autre que l'e muet, ne peut jamais fe trouver avant un mot qui commence auffi par une voyele, cu par une h non afpirée : ce que M. Despreaux a très-bien exprimé par ces deux Vers:

Gardez qu'une voyele à courir trop hâtée,
Ne foit d'une voyele en fon chemin heurtée.

Ainfi on ne pouroit jamais faire entrer dans des Vers, ces mots : La loi évangélique, Dieu éternel, vérité immortele, le vrai honeur,

&c. Les anciens Poêtes ne s'affujétiffoient pas à cette regle: mais elle est devenue indifpenfable pour ceux d'aujourd'hui.

Quoique l'affirmation oui commence par une voyele, on peut néan moins la répéter avec grâce dans un Vers, ou la mettre à la fuite d'une interjection terminée par une voyele, comme dans ces Vers:

Oui, oui, fi fon amour ne peut rien obtenir,

Il m'en rendra coupable, & m'en voudra punir.
He! oui, tant pis, c'est là ce qui m'afflige.

L'h afpirée étant regardée comme une véritable confone, elle en a toutes les propriétés dans la prononciation : c'est-à-dire, qu'elle peut être précédée des mêmes lettres, & que celles qui fe prononcent ou ne fe prononcent pas avec les confones, fe prononcent auffi ou ne fe prononcent pas avant l'h afpirée. Ainfi elle peut fe rencontrer à la fuite de quelque voyele que ce puiffe être, comme dans ces Vers:

Chacun s'arme au hazard du livre qu'il rencontre.

Dieu qui voyez ma honte, où me dois-je cacher ?
Si je la haïffois, je ne la fuirois pas.

On appliquera dans la fuite à l'h non afpirée, ce que nous pourons dire des voyeles; & à l'h aspirée, ce que nous dirons des confones. Let qui eft renfermé dans la conjonction &, ne fe prononçant jamais on ne peut pas mettre dans les Vers cette conjonction avant un mot qui commence par une voyele. Ainfi ce Vers ne vaudroit rien :

Qui fert & aime Dieu, poffede toutes choses.

Quoique l'n finale de la négation non, ne fe prononce pas plus que let de la conjonction &, cependant les Poêtes font en poffeffion de la mettre avant des mots qui commencent par une voyele, comme dans ces Vers:

Non, non, un roi qui veut feulement qu'on le craigne,

Eft moins roi que celui qui fait le faire aimer.

Nous obferverons, malgré cet ufage, que la prononciation de non avant une voyele, n'eft pas moins défagréable que celle d'une voyele avant une autre, & qu'il eft toujours mieux de mettre cette négation avant une confone, comme dans ce Vers:

Non, je ne puis foufrir un bonheur qui m'outrage.

On peut dire la même chose des autres mots qui font terminés par une voyele ou par une diphthongue nafale, dont l'n ne fe prononce pas avant un mot qui commence par une voyele. Ainfi quoiqu'on trouve fouvent dans les Poêtes, ces mots avant d'autres qui commencent par une voyele, la rencontre de la voyele ou diphthongue nafale avec une autre,

a toujours quelque chofe de rude à l'oreille: comme on peut le reconoître dans ce Vers:

Ah! j'atendrai long-temps: la nuit eft lois encore.

ou dans ceux-ci :

La premiere fois qu'un renard
Aperçut le lion, animal redoutable,
Il eut une peur éfroyable,

Et s'enfuit bien loin à l'écart.

Cet ufage étant établi & autorisé par les meilleurs Poêtes, nous ne prétendons pas le condamner. Mais on conviendra au moins qu'une confone, à la fuite d'une voyele ou diphthongue nafale dont l'n ne fe prononce pas, rendroit le Vers plus doux & plus coulant, comme dans ceux-ci :

L'un paîtrit dans un coin l'embonpoint des chanoines,
L'autre broie en riant le vermillon des moines.

M. l'Abbé d'Olivet, après avoir raporté dans fon Traité de la Profodie Françoife, ce que M. l'Abbé de Dangeau & M. l'Abbé Regnier ont dit au fujet de la prononciation des voyeles nasales, ajoute qu'il eft à croire que l'obfervation faite par ces Auteurs qui mettent les voyeles nafales au rang des véritables voyeles, & qui en condamnent la rencontre avec d'autres voyeles dans les Vers, tiendra déformais lieu de précepte, du moins pour ceux de nos Poêtes qui tendent à la perfection.

Il obferve cependant que cette rencontre peut abfolument fe foufrir, quand la prononciation permet de pratiquer un repos, quelque court qu'il foit, entre le mot qui finit par un fon nafal, & le mot qui commence par une voyele & il dit que ce feroit peut-être outrer la délicatesse que de blamer ce Vers d'Athalie:

Celui qui met un frein à la fureur des flots.

ou cet autre :

Difperfe tout fon camp à l'afpect de Jéhu.

Les mots qui ont une voyele avant l'e muet final, tels que font, vie, envie, partie, vue, proie, joie, facrée, &c. ne peuvent pas entrer avec grâce dans le corps du Vers, à moins qu'ils ne foient fuivis d'un mot qui commence par une voyele avec laquelle l'e muet se mange. Ainfi ces Vers ne valent rien :

Anfelme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure.
Ah! n'aye point pour moi fi grande indifférence.
La bourse eft criminele, & paye fon délit.

Mais ceux-ci font réguliers:

C'eft Vénus toute entiere à fa proie atachée.

J'ai pris la vie en haine, & ma flamme en horreur.

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