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Aimez-vous la muïcade? On en a mis par-tout.
Sans mentir ces pigeons ont un merveilleux goût.

Au reste, c'est à l'oreille à juger fi les voyeles longues & breves peuvent ou ne peuvent pas former de bonnes rimes.

Rime des Hémifliches.

Un Vers eft défectueux, quand le premier hémistiche rime ou a quel que convenance de fon avec le dernier, comme dans ceux-ci :

Il ne tiendra qu'à toi de partir avec moi.
Allez, vous êtes fou dans vos transports jaloux.
Je fuis ruftique & fier, & j'ai l'âme grôssiere.

Il en eft que le ciel guida dans cet empire,

Moins pour nous conquérir, qu'afin de nous inftruire.

ou quand le dernier hémistiche d'un Vers rime avec le premier du Vers qui le précede, comme dans ceux-ci :

Un fiacre me couvrant d'un déluge de boue,
Contre le mur voifin m'écrafe de fa roue;
Et voulant me fauver, des porteurs inhumains,
De leur maudit bâton me donnent dans les reins.

ou quand le dernier hémistiche d'un Vers rime avec le premier hémistiche du Vers suivant, comme dans ceux-ci :

Il faut pour les avoir, employer notre foin:

Ils font à moi du moins, tout autant qu'à mon frere.

ou quand les deux premiers hémistiches de deux Vers qui fe fuivent riment enfemble, comme dans ceux-ci :

Sinon demain matin, fi vous le trouvez bon,

Je mettrai de ma main le feu dans la maison.

Mais c'eft quelquefois une beauté, lorfque par figure on fe fert ou des mêmes rimes, ou des mêmes mots dans les deux hémiftiches, ou qu'on répete même l'hémistiche, comme dans ces Vers:

Tantôt la terre ouvroit fes entrailles profondes;
Tantôt la mer rompoit la prifon de fes ondes.

Là le corps immortel à notre âme obéit;

Ici le corps mortel l'aveugle & la trahit,

Qui cherche vraiment Dieu, dans lui feul fe repofe;
Et qui craint vraiment Dieu, ne craint rien autre chose.

Quelque grâce qu'ayent ces confonances & ces répétitions, on ne doit les employer qu'avec beaucoup de réferve & de ménagement.

Ooooo ij

Retranchement de l's dans certains Verbes.

On retranche fouvent dans les Vers, l's finale de la premiere perfone du fingulier du préfent de l'indicatif, & de la feconde de l'impératif de quelques Verbes des trois dernieres conjugaifons, principalement de ceux qui ont ces perfones terminées en ois & en is. Et cette licence fervira à confirmer que l'ufage d'écrire en Profe quelques-unes de ces mêmes perfones fans s, avoit été vraisemblablement introduit par les Poêtes qui y laiffent ou retranchent l's finale, felon qu'elle leur eft néceffaire ou non, pour la liaison des mots ou pour la jufteffe de la rime.

Il femble qu'on ne peut mieux le prouver, qu'en faisant voir par des exemples, que pour obferver des regles indifpenfables de la Verfification, un Poête emploie avec l's finale, un Verbe qu'un autre emploie fans, & que fouvent le même Auteur admet ou n'admet pas l's dans le même Verbe. Ainfi M. Defpréaux qui écrit crois avec une s, pour le faire rimer avec doigts, dans ces deux Vers:

Mais moi qui dans le fond fais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts.

l'écrit fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec moi:

En les blâmant enfin, j'ai dit ce que j'en croi;

Et tel qui me reprend, en pense autant que moi.

Racine écrit vois avec une s, pour le faire rimer avec fois, dans ces deux Vers:

Depuis cinq ans entiers, chaque jour je la vois,
Et crois toujours la voir pour la premiere fois.

& fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec moi:

Vous ne répondez point? Perfide, je le voi,

Tu comptes les momens que tu perds avec moi.

Moliere écrit je dis avec une s, pour le lier avec la voyele fuivante dans ce Vers:

Je te le dis encor, je faurai m'en venger.

& fans s dans ceux-ci, pour le faire rimer avec étourdi :
Un brouillon, une bête, un brufque, un étourdi,
Que fais-je ? un....cent fois plus encor que je ne di.
Je fais eft employé avec une s dans les Vers fuivans :
Je ne fais où je vais ; je ne fais où je fuis. Rac.
Je fais où je lui dois trouver des défenfeurs. Id.
Je fais où git le lievre, & ne puis fans travail
Fournir en un moment d'hommes & d'attirail. Mol.

il est employé fans s dans ceux-ci, pour rimer avec blessé :
Monfieur, ce galant homme a le cerveau blessé.
Ne le favez-vous pas ?

Dois avec une s:

Je fai ce que je sai. Mol.

Apprends-moi fi je dois ou me taire ou parler. Defpr.
J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il eft,

Et dois auparavant confulter, s'il vous plaît. Mol.

Doi fans s:

Sans parens, fans amis, fans efpoir que fur moi,
Je puis perdre fon fils, peut-être je le doi. Rac.
Celle-ci peut-être aura de quoi
Te plaire. Accepte-la pour celle que je doi. Mol.
Reçois avec une s:

Je reçois à ce prix l'amitié d'Alexandre. Rac.

Reçoi fans s

Je ne puis t'exprimer l'aife que j'en reçoi.

Et que me diriez-vous, Monfieur, fi c'étoit moi? Mol.

J'averti & je frémi sans s :

Vifir, fongez à vous, je vous en averti;

Et fans compter fur moi, prenez votre parti. Rac.

Ah! bons Dieux, je frémi.

Pandolfe qui revient! fût-il bien endormi! Mol.

Moliere a poufsé la licence encore plus loin, puisqu'il a retranché l's du prétérit je vis dans ces deux Vers:

Hélas! fi vous faviez comme il étoit ravi,

Comme il perdit fon mal, fi-tôt que je le vi.

Ce peu d'exemples fuffira pour donner lieu de juger que ce retranchement de l's eft une licence poétique, & qu'il eft plus régulier, comme nous avons dit, de ne pas l'admettre dans la Profe.

I eft bon d'observer, avant de finir cet article, que la plupart des regles que nous venons d'établir, fur-tout de celles qui regardent la Céture & la Rime, ne font que pour la plus grande perfection des Vers, & qu'elles ne doivent pas toujours être prifes à la rigueur. Outre qu'il eft quelquefois permis d'en facrifier quelques-unes à une belle pensée, les Vers doivent être plus ou moins parfaits à proportion que le fujet que l'on traite eft plus ou moins relevé. Ainfi dans les comédies, dans les fâbles, dans les contes, & autres pieces d'un ftyle fimple & familier, on ne doit pas exiger que les Vers foient auffi harmonieux & auffi réguliers que dans les poêmes épiques, dans les tragédies, dans les fatyres, & autres pieces d'un ftyle noble & sérieux.

ARTICLE II L

Du mélange & de la combinaison des Vers les uns avec les autres.

L

E mélange des Vers les uns avec les autres, peut fe confidérer, ou par la rime, ou par le nombre des fyllabes dont ils font composés; c'eft-à-dire, que dans les différens Ouvrages de Poéfie, les rimes ma.culines font mêlées avec les féminines, & fouvent les grands avec les petits Vers.

Il n'y a point d'ouvrage en Vers où les rimes mafculines ne foient mêlées avec les féminines, & qui par conséquent ne foit composé de Vers mafculins & de féminins.

Mais il n'eft pas également néceffaire que les Vers d'un ouvrage on d'une piece, foient toujours d'une même longueur ou d'un même nombre de fyllabes.

On obferve généralement aujourd'hui de mêler les rimes mafculines & féminines, de maniere que deux différentes rimes' de même efpece ne fe trouvent jamais ensemble dans une même fuite de Vers; c'est-à-dire, qu'une rime mafculine ne peut être fuivie que de la rime masculine qui y répond, ou d'une rime féminine: ce qui n'étoit point pratiqué par les anciens Poêtes, qui mêloient toutes les rimes au hazard, & comme elles fe préfentoient, comme on le voit dans Marot.

Le mélange des Vers, par raport au nombre de fyllabes, n'eft pas réglé il dépend ordinairement du goût & de la volonté du Poête.

Suivant les différentes manieres dont on peut aranger les rimes mafculines & féminines, on les divife en rimes fuivies & en rimes entremêlées.

Les rimes font appelées fuivies, lorsqu'après deux rimes masculines, il s'en trouve deux féminines, enfuite deux masculines, & ainsi de suite, comme dans ces huit Vers:

On ne m'a jamais vu, furpaffant mon pouvoir,
D'une indifcrete main profaner l'encenfoir :

Et périffe à jamais l'afreufe politique,

Qui prétend fur les coeurs un pouvoir defpotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du fang hérétique arofe les autels,

Et fuivant un faux zele, ou l'intérêt, pour guides,
Ne fert un Dieu de paix que par des homicides.

Les rimes font appelées entremêlées, lorsqu'une rime masculine eft séparée de celle qui y répond, par une ou deux rimes féminines; ou lorfqu'entre une rime féminine & fa femblable, il fe trouve une ou deux rimes mafculines, comme dans ces exemples:

Vous qui ne connoiffez qu'une crainte fervile,
Ingrats, un Dieu fi bon ne peut-il vous charmer ?
Ett-il donc à vos cœurs, eft-il fi difficile

Et fi pénible de l'aimer ?

Dieu parle ; & nous voyons les trônes mis en poudre,
Les chefs aveugiés par l'erreur,

Les foldats confternés d'horreur,

Les vaiffeaux fubmergés, ou brûles par la foudre.

Lorsque les rimes font fuivies, les Vers font ordinairement du même nombre de fyllabes. Ainfi les Vers que l'on appele fuivis, font ceux qui ont communément le même nombre de fyllabes, & dont les rimes font fuivies.

Lorsque les rimes font entremêlées, les Vers font quelquefois du même nombre de fyllabes, mais le plus fouvent ils ne le font pas ; & on appele Vers entremêlés, ceux qui font composés de divers nombres de fyllabes, & dont les rimes font entremêlées.

On ne fait guere que de quatre fortes de Vers fuivis; favoir:

I. Les Vers de douze fyllabes ou alexandrins, que l'on emploie ordinairement dans les poèmes héroïques, dans les tragédies, les églogues, les élégies, les fatyres, &c.

II. Les Vers de dix fyllabes ou communs, qui font en ufage dans les Ouvrages d'un ftyle naït & familier, tels que font les épitres de Marot, les épitres & les allégories de Rouffeau.

III. On fait encore des Vers uivi de huit fyllabes: mais l'usage en eft affez rare, & on ne s'en fert guere dans des fujets sérieux.

Si l'on fait quelquefois des Vers fuivis de fept, de fix, ou d'un moindre nombre de fyllabes, ce n'eft que dans des pieces badines & de caprice.

IV. Une autre forte de Vers fuivis, qui eft fort belle, quoiqu'elle ne foit pas fort ordinaire, eft de mettre alternativement un Vers de fix fyllabes à la fuite d'un grand Vers, avec des rimes fuivies.

Le principal défaut que l'on doit éviter dans les Vers fuivis, eft de faire rimer deux Vers mafculins avec deux Vers mafculins, quand il ne font séparés que par deux Vers féminins; ou deux Vers féminins avec deux Vers féminins, quand ils ne font séparés que par deux Vers masculins: comme on voit que dans ces fix Vers, les deux premiers féminins riment avec les deux derniers qui font auffi féminins:

Par les mêmes fermens Britannicus fe lie,

La coupe dans fes mains par Narciffe eft remplie :
Mais fes levres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de fi puiffans efforts,
Madame, la lumiere à fes ieux eft ravie,

Il tombe fur fon lit fans chaleur & fans vie.

La confonance ou la convenance des fons dans les rimes mafculines

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