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Ce doublement s'exprime & fe fait fentir particuliérement au futur & au conditionel préfent de quelques Verbes en rir, qui perdent cet i. Ainfi d'Acquérir, le forme j'acquerrai, j'acquerrois; de Courir, je courrai, je courrois; de Mourir, je mourrai, je mourrois.

Le doublement fe conferve & s'exprime dans les mots composés : Irrationel, Irréconciliable, Irréfragable, Irrégulier, Irréligieux, Irrémédiable, Irréparable, Irrépréhenfible, Irréfolu, Irrévocable; on le conferve même, & on l'exprime jufque dans le mot Irriter, quoique dérivé du Latin Ira; mais les Latins mêmes doubloient la lettre R dans le verbe Irritare; & nous les avons imités, avec cette différence cependant, que dans le difcours familier on insiste peu sur le doublement en François dans le mot Irriter.

Il faut ici remarquer la différence que l'Académie met entre Éclore & Enclorre elle ne donne à l'un qu'une feule R, & à l'autre deux. Elle dit au futur de l'un, il éclôra; au conditionel, il éclôroit: au futur de l'autre, j'enclorrai; au conditionel, j'enclorrois. Ainfi dans le premier l'O eft long: dans le fecond l'O paroît être bref. On dira peut-être que le mot Enclorre vient de Clorre, & qu'Eclore n'en vient pas : mais cependant au participe l'un & l'autre prenent également un O long & très-ouvert : Éclos, Eclofe, Enclos, Enclofe; de même que Clos, Clofe & on prononce de même avec un O long & très-ouvert les fubftantifs Clos, Clôture, & Enclos. Tout cela paroît montrer qu'originaiment on écrivoit & on prononçoit également, avec un O bref, Clorre, Enclorre & Éclorre: mais que l'O eft devenu long dans Éclore, d'où l'on a formé avec une feule R, il éclóra, il éclôroit, tandis qu'au contraire l'O eft refté bref dans Clorre & Enclorre, d'où l'on a formé avec deux R, je clorrai, j'enclorrai; je clorrois, j'enclorrois. L'Académie dans la maniere d'écrire ces deux mots, fe détermine par la maniere de les prononcer: elle ne met qu'une R où on n'en prononce qu'une, & elle en met deux où on en prononce deux. Si l'on prétend que l'O eft long dans Clorre & Enclorre, dans leurs futurs, je clorrai, j'enclorrai; & dans leur conditionel, je clorrois, j'enclorrois; il demeurera toujours vrai que dans ceux-ci l'Académie conferve les deux R, parce qu'on les y prononce, au lieu que dans Éclore, il éclôra il éclôroit, elle n'en met qu'une, parce qu'on n'en prononce qu'une.

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Le doublement de la lettre R dans ces mots a pu venir de leur étymologie tirée de Claudere, Includere, & peut-être Excludere car quoiqu'il n'y ait qu'une feule R dans ces mots, elle s'y trouve précédée d'un D, qui en difparoiffant, fe convertit en R, & forme ainfi le doublement. C'est pourquoi la raifon d'étymologie, loin d'en exclure une R, contribueroit plutôt à y conferver les deux ; mais felon l'Académie, ce qui doit en décider, c'eft la prononciation, qui en permet deux dans Clorre & Enclorre, & n'en foufre qu'une dans Éclore. La raifon d'étymologie mérite d'être préférée, fur-tout lorsqu'elle ne contredit point la prononciation: mais lorsque la prononciation même s'écarte de l'étymolo. gie, elle follicite & exige la préférence, qui en effet lui eft fouvent acordée par l'Académie.

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ARTICLE XIX. De la Lettre S.

L'articulation de la lettre S varie, c'est-à-dire, qu'elle eft forte ou foible. Elle eft forte au commencement des mots: Sageffe, Séjour Silence, Soleil, Subfide, Syllabe. Mais elle s'afoiblit au milieu entre deux voyeles, Phrafe, Mefure, Mifere, Chofe, Mufe, Analyfe: elle s'y prononce comme un Z.

A la fin des mots elle donne aux voyeles un fon long & très-ouvert, & elle fe prononce dans les noms propres & peu ufités : Pallas, Cerès, Ifis, Amos, Titus, Atys: mais dans les mots d'un ufage fréquent, elle ne fe fait fentir que lorfqu'elle eft fuivie d'une voyele : par exemple, dans cette phrafe: Vos propres intérêts le demandent; elle alonge & rend très-ouverte la voyele de vos; mais elle laiffe muet l'e du mot propres, & ne fe fait fentir qu'en s'apuiant foiblement fur le mot intérêts, à la fin duquel elle s'éclipfe totalement. Elle ne fe prononce pas même dans le nom propre Denys, précisément parce qu'en France il eft d'un ufage fréquent.

Cette lettre fe joint au C, mais de maniere qu'elle fe prononce sépa rément avant les fyllabes ca, co, cu, & qu'elle fe confond avec lui dans les fyllabes ce, ci, cy. Ainfi on dit Scabreux, Scorpion, Sculpture; mais on dit Scene, Scie, Scythie. Elle fe joint de même au CH, foit qu'on le prononce fortement, comme dans Scholie, foit qu'on le prononce foiblement, comme dans Schifme..

On la joint avec le P & le PH, comme dans Spatule & Sphere; & avec Q dans Squelete. Elle fe joint de même avec T & TR, dans Statue, Stérile, Stigmate, Stratagême. Rarement avec les autres confones Sbire, Slefurick, Smyrne.

Elle a l'articulation forte après les voyeles nafales, comme dans Anfe, Danfe, Défenfe, Dépenfe, Alfonfe, Réponfe. Mais elle s'afoiblit dans les mots composés de Trans, tels que Tranfaction, Tranfiger, Tranfalpine: on prononce de même Cifalpine, Alface & Balfamine.

Dans les mots composés des particules A, Dé, Pré, & Ré ou Re, on la double pour lui donner le fon fort, quoiqu'on n'en prononce qu'une feule: Ainfi on écrit Affervir, Affocier, Deffaifir, Deffaler, Defsécher, Preffentir, Reffentir, Referrer, Refouvenir, Reffufciter. Surquoi il faut obferver que même avec ce doublement, l'E demeure muet dans Reffenir, Referrer, Refouvenir mais il fe prononce ouvert dans Reffufciter & dans les autres. Il faut auffi remarquer qu'on ne met qu'une S dans Réfurrection, & elle s'y prononce foible comme un Z; mais elle fe prononce forte dans Préséance & Préfuppofition, quoiqu'on ne l'y double point. En la fimplifiant, on fe raproche de l'étymologie; & comme ces deux mots Préséance & Préfuppofition, font d'un usage plus rare, ceux qui les emploient, favent communément les prononcer d'une maniere conforme à leur étymologie. Au contraire, les deux mots Reffufciter & Refurrection, étant d'un ufage commun, qui donne

à l'un l'articulation forte, & à l'autre l'articulation foible, il a fallu doubler dans l'un la lettre S pour lui donner cette articulation forte, & au contraire la laiffer fimple dans l'autre pour lui donner l'articulation foible. En un mot c'est visiblement ici la prononciation qui détermine la maniere d'écrire ces deux mots, fans égard à l'étymologie qui leur est commune: Refurgere, Refurrectio.

Cette lettre a été retranchée de beaucoup de mots où elle eft remplacée par l'accent circonflexe ou aigu. Ainfi on écrivoit Hafte, Fefte, Gifte, Cofle, Flufte: & aujourd'hui on écrit Háte, Fére, Gize, Cote, Flute: On écrivoit Efté, & aujourd'hui on écrit Eté. En un mot, dans tous ces mots, la prononciation a prévalu fur l'ufage, & même fur l'étymologie. Tant il est vrai que la prononciation a plus d'afcendant que l'étymologie, & que comme elle eft la premiere à s'en écarter, elle oblige enfuite l'Orthographe de s'en écarter avec elle & comme elle. L'ufage n'eft devant elle qu'un foible obftacle qui peut bien arrêter quelque temps fes progrès; mais dont enfin elle triomphe; parce qu'enfin il eft naturel d'écrire comme on prononce. Il peut bien ariver qu'on abufe de cette maniere, en pouffant la réforme trop loin; mais l'abus de cette maniere n'empêche pas qu'au fond elle ne foit très-vraie; & qu'en effet elle ne foit affez généralement reconue telle, même par ceux qui s'éforcent de la combatre, puifqu'ils font eux-mêmes obligés de convenir que dans le cas dont il s'agit ici, & dans beaucoup d'autres, la prononciation feule décide de notre Orthographe.

Ce feroit fans doute abufivement que l'on retrancheroit la lettre S dans une multitude de mots où le difcours familier la néglige: Disciple & Condifciple; Defcendre & Condefcendre; Adolefcence & Convalescence. On doit la conferver dans ces mots, non feulement parce que l'étymo logie l'y demande, mais encore parce que dans le difcours foutenu la bonne prononciation l'y fait fentir : en forte que même alors c'eft la prononciation même qui veut que l'on fuive l'étymologie dans l'Orthogra phe. Comme dans ces mots elle ne s'en écarte point, elle ne foufre pas que l'Orthographe s'en écarte.

On a quelquefois confondu la lettre S avec le Z, à cause de leur extrême affinité. C'est ce qui eft arivé fur-tout dans les mots lefion lésé, lefe, que l'on a quelquefois écrit par un Z, parce qu'en effet c'eft ainfi qu'on les prononce. Mais ces mots vienent du Latin, læfio, lafus; ainsi l'étymologie veut que l'on y préfere la lettre S; & la prononcia tion ne s'y oppose point, puifqu'il eft reconu que la lettre S, entre deux voyeles, doit fe prononcer comme le Z. Ainfi la prononciation conferve volontiers l'étymologie, lorfque l'étymologie ne lui eft point contraire ; & en derniere analyse, c'est communément la prononciation qui décide.

La lettre S dans les Noms eft ordinairement la caractéristique du plu riel; c'est pourquoi on doit l'y mettre lors même qu'elle ne s'y prononce pas. Elle s'y prononce lorfqu'elle eft fuivie d'une voyele ou d'une H non afpirée; elle demeure muete devant toute autre lettre : Les

hommes défirent le bonheur: Elle fe prononce dans les & ne fe fait point entendre dans hommes. Cette regle générale des pluriels en S a fait réformer l'ancien ufage de terminer par Z les pluriels des noms & participes terminés au fingulier par E fermé. Ainfi autrefois on écrivoit : Vos péchez vous font pardonnez aujourd'hui on écrit: Vos péchés vous font pardonés. Tant il eft vrai qu'il eft poflible de changer l'ufage: il ne s'agit que de le vouloir; & c'eft principalement aux Imprimeurs qu'eft réfervé l'avantage d'opérer ce changement. Ici, de quelque maniere qu'on écrive, la prononciation eft la même : mais ce qui a fait préférer les pluriels en és aux pluriels en ez, c'eft premiérement que cette pratique rentre dans la regle commune des pluriels en S: fecondement, qu'alors le pluriel mafculin ne differe du téminin que par la feule addition de l'E qui forme fa terminaison féminine. Ainfi autrefois on écrivoit au pluriel mafculin pardonnez, & au pluriel féminin pardonnées: le féminin étoit régulier, & le mafculin irrégulier; cela difcordoit: cette difcordance a néanmoins duré long temps: elle étoit devenue générale. Mais la main éclairée de nos meilleurs Imprimeurs a fu réformer ce vice, quelque invétéré qu'il fût, & nous a mis en poffeffion d'écrire régulièrement les pluriels en és au mafculin, comme en ées au féminin.

La lettre S eft encore dans les Verbes la caractéristique de la feconde perfone du fingulier; & par cette raison on doit toujours l'y mettre, foit qu'on la prononce, foit qu'on ne la prononce pas : Tu aimes; tu aimas; tu aimeras. Elle eft auffi la caractéristique de la premiere perfone comme de la feconde, dans les Verbes en ir, comme Je finis, tu finis, au préfent & au prétérit, & de même dans plufieurs autres : Je reçois, tu reçois; je reçus, tu reçus. Je rends, tu rends; je rendis tu rendis. Les futurs ne la prenent qu'à la feconde perfone. Je finirai, tu finiras; je recevrai, tu recevras; je rendrai, tu rendras.

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Mais on réserve le Z pour les fecondes perfones du pluriel: Vous aimez; vous aimerez vous finissez vous finirez vous recevez vous recevrez vous rendez; vous rendrez: & par-là ces pluriels des Verbes fe trouvent diftingués de leurs participes terminés en S: Si vous aimez vos devoirs, vous ferez aimés de Dieu & des hommes. La prononciation eft la même; mais la regle des pluriels dans les Noms veut qu'on préfere la lettre S dans les participes, & qu'on laiffe le Z aux Verbes.

La lettre S fert quelquefois à éviter le concours de deux voyeles. C'eft ce que l'on remarque particuliérement dans le mot jufque, qui s'écrit fans S finale avant les confones, Jufque là; jufque dans la maison; jufque fur les toits; d'où il arive qu'on écrit avec apostrophe, jufqu'où jufqu'à vous; jufqu'au ciel: mais parce que dans l'expreffion Jufqu'à quand, le conflit de ces deux fyllabes trop reffemblantes bleffe l'oreille pour adoucir ce choc on infere une S, qui de ces trois fyllabes en fait quatre, Jufques à quand. C'eft auffi par-là qu'on doit difcerner l'ufage de ces deux mots, Je fai ou je fais le premier convient avant les confones ou la lettre S feroit inutile; le fecond avant les voyeles où la lettre S adoucit le choc en fe faifant fentir. Car réguliérement on doit dire,

Je fai, comme J'ai ; & on le dit ainfi avant les confones: Je fai cela très-certainement; mais s'il furvient une voyele, la lettre S en adoucit le choc: Je le fais à n'en point douter.

ARTICLE XX. De la Lettre T.

L'articulation de la lettre T varie comme celle de la lettre S. Elle eft forte au commencement des mots : Tableau, Tenebres, Timbale, Tom beau, Tumulte, Tyrannie. Mais au milieu des mots le T s'atoiblit fou vent & emprunte l'articulation du C, comme dans Partial, Partiel; Minutie, minutieux; Nécromantie, Nécromantien; Abdication, Accufation, Admiration, & quantité d'autres en tion. Cependant il conferve fon articulation forte dans Partie, Hoftie, Entier, Altier, Bestial, Beftiaux, Entretien, Maintien, Gestion, Bastion, Mixtion, Antiene, Etienne, & quelques autres. C'eft-à-dire, que les diphthongues ia, ie, ien, ion, occafionent fouvent cet afoiblissement; mais fans qu'il puiffe être facile de déterminer pourquoi elles ne le produifent pas toujours. Il paroît feulement que la lettre S continue à conferver l'articulation forte du T dans Hoftie, Bestial, Beftiaux, Geflion, Baftion; & il en eft de même de la lettre X dans Mixtion. L'étymologie Latine contribue fans doute auffi beaucoup à fon afoibliffement dans Inertie, Partial, Partiel, & dans la plupart des noms en tion.

Il faut obferver qu'alors quelquefois ce T fe change en C conformément à fa prononciation. Ainfi l'Académie écrit Nécromancie & Nécro mancien; mais elle conferve Minutie & Minutieux dans les deux derniers, elle a égard à l'étymologie; dans les deux premiers, elle cede à la prononciation.

Il est même arivé que comme de Gratia, on a fait Grâce; Silence de Silentium; de mêine de Necromantia, on a fait Necromance, & l'Académie le préfere; c'eft ce qui a amené Nécromancien, Silencieux, & Gracieux, par C. Mais quoique d'Effentia on ait fait Effence, on conserve néanmoins Effentiel, comme dérivé du Latin Effentialis. De Panitentia, on a fait Pénitence; & fi l'on dit Pénitenciel, comme dérivé plus immédiatement de Pénitence, on conferve du moins Pénitentiaux, comme dérivé plus immédiatement de Pænitentiales. Dans les termes plus fréquens, la prononciation prévaut; dans les moins ufités, on conferve les veftiges de l'étymologie, du moins en écrivant, quoiqu'on s'en éloigne en prononçant. De Domitianus & Diocletianus, fe forme Domitien & Dioclétien, où l'on conferve le T, quoiqu'on le prononce en C. C'eft fur-tout dans les noms propres qu'on doit fuivre l'étymologie.

Le doublement de la lettre T a quelquefois fervi à rendre breves les voyeles qui la précedent, de même que la lettre S fervoit à les rendre longues. C'eft ainfi qu'on a dit cofte & cotte; hofte & hotte: mais depuis que le circonflexe a pris la place de la lettre S, le doublement de la lettre T en ce cas eft devenu inutile. Ainfi comme dans le premier fens, on écrit aujourd'hui, côte & hôte; dans le fecond fens on peut

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