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pour l'ordinaire de douze fyllabes, quoiqu'on en faffe quelquefois de dix, & même de huit & de fept. Mais ils ont moins de beauté & d'harmonie. Ces quatorze Vers font partagés en deux quatrains & un fixain.

Les deux quatrains doivent avoir les rimes mafculines & féminines femblables, que l'on entremêle dans l'un de la même maniere que dans l'autre.

Le fixain commence par deux rimes semblables, & il a, après le troifieme Vers, un repos qui le coupe en deux parties que l'on appele Tercets, c'est-à-dire, stances de trois Vers.

Il faut éviter, autant qu'il eft poffible, que le mélange des rimes dans
les quatre derniers Vers du fixain, foit le même que dans les quatrains.
On obferve encore de n'y pas répéter deux fois le même mot.
M. Defpréaux, pour exprimer les regles du fonet, feint qu'Apollon,
Voulant pouffer à bout tous les Rimeurs François
Inventa du fonet les rigoureuses loix,

Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux fons frapât huit fois l'oreille
Et qu'enfuite fix Vers artiftement rangés
Fuffent en deux tercets par le fens partagés.
Sur-tout de ce poême il banit la licence:
Lui-même en mefura le nombre & la cadence,
Défendit qu'un Vers foible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déja mis osât s'y remontrer.
Du refte il l'enrichit d'une beauté fuprême.
Un fonet fans défauts vaut feul un long poême.

Voici pour premier exemple un fonet qui exprime la nature du fonet même.

Doris qui fait qu'aux Vers quelquefois je me plais,
Me demande un fonet, & je m'en défefpere.
Quatorze Vers, grand Dieu! le moyen de les faire ?
En voilà cependant déja quatre de faits.

Je ne pouvois d'abord trouver de rime; mais
En faisant on apprend à fe tirer d'afaire.
Pourfuivons, les quatrains ne m'étoneront guere,
Si du premier tercet je puis faire les frais.

Je commence au hazard, & fi je ne m'abuse,
Je n'ai pas commencé fans l'aveu de la muse,
Puisqu'en fi peu de temps je m'en tire fi net.

J'entame le fecond, & ma joie eft extrême,
Car des Vers commandés j'acheve le treizieme.
Comptez s'ils font quatorze; & voilà le fonet.

Quoique le fameux fonet de Desbarreaux foit déja affez connu, on ne fera peut-être pas fâché de le trouver encore ici. Il est fi beau pour l'expreffion & les fentimens, qu'on ne peut trop le répéter.

Grand Dieu, tes jugemens font remplis d'équité.
Toujours tu prends plaifir à nous être propice :
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté
Ne me pardonera, qu'en bleffant ta juftice.

Oui, Seigneur, la grandeur de mon impiété
Ne laiffe à ton pouvoir que le choix du fupplice:
Ton intérêt s'oppofe à ma félicité,

Et ta clémence même atend que je périffe.

Contente ton défir, puifqu'il t'eft glorieux :

Offenfe-toi des pleurs qui coulent de mes ieux :

Tone, frape, il eft temps; rends-moi guerre pour guerre.

J'adore en périffant la raifon qui t'aigrit:

Mais deffus quel endroit tombera ton tonerre

Qui ne foit tout couvert du fang de Jésus-Chrift?

Du Rondeau.

Une ingénieufe fimplicité fait le caractere propre du Rondeau.

Le rondeau né gaulois a la naïveté. Defpr.

Le rondeau commun eft composé de treize Vers, qui font ordinairement de dix fyllabes.

Les rimes de ces treize Vers doivent être semblables, huit masculines & cinq féminines, ou fept mafculines & fix féminines.

Après le huitieme Vers & à la fin du rondeau, il y a un refrain qui n'eft autre chofe que la répétition d'un ou de plufieurs des premiers mots du premier Vers. Mais ce refrain doit être amené avec efprit, & faire un fens avec ce qui le précede.

Comme il ne doit y avoir que trois rimes féminines dans les huit premiers Vers, on peut mettre de fuite trois Vers de rime mafculine, qui font le cinquieme, le fixieme & le feptieme: ce qu'on ne fait pas ordinairement dans les cinq derniers Vers.

Le rondeau a deux repos néceffaires, un après le cinquieme Vers, & l'autre après le premier refrain. Nous en donnerons deux pour exemples, dont le premier contient les regles du rondeau même.

Ma foi, c'eft fait de moi, car Ifabeau
M'a conjuré de lui faire un rondeau :
Cela me met en une peine extrême.

Quoi treize Vers, huit en eau, cinq en ême !
Je lui ferois auffi-tôt un bateau.

En voilà cinq pourtant en un monceau :
Faifons-en huit en invoquant Brodeau,
Et puis mettons par quelque ftratagême

Ma foi, c'est fait.

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A la fontaine où s'enivre Boileau,
Le grand Corneille & le facré troupeau
De ces Auteurs que l'on ne trouve guere,
Un bon rimeur doit boire à pleine aiguiere
S'il veut donner un bon tour au rondeau.
Quoique j'en boive auffi peu qu'un moineau,
Cher Benferade, il faut te fatisfaire,

T'en écrire un. Hé! c'eft porter de l'eau
A la fontaine.

De tes refrains un livre tout nouveau

A bien des gens n'a pas eu l'heur de plaire:
Mais quant à moi, j'en trouve tout fort beau;
Papier, dorure, images, caractere,

Hormis les Vers qu'il falloit laiffer faire

A la Fontaine,

De l'Epigramme.

L'Épigramme eft une petite piece de Vers qui doit être terminée par une pensée vive, ingénieufe & brillante, ou par un bon mot: ce que l'on appele la chute ou la pensée de l'épigramme; & elle ne doit contenir qu'autant de Vers qu'il en faut pour amener cette pensée. C'est pourquoi il n'y en entre guere plus de dix ou douze.

L'Épigramme plus libre, en fon tour plus borné,
N'eft fouvent qu'un bon mot de deux rimes orné.

Au refte, elle n'eft affujétie à aucune regle particuliere pour le mélange des rimes & pour la meture des Vers, qui dépendent de la volonté du Poête. En voici une pour exemple:

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856 ABRÉGÉ DES Regles de la VERSIFICAT. FRANÇOISE.

Du Madrigal.

Le Madrigal eft une autre petite piece de Vers dont la chute moins vive & moins frapante que celle de l'épigramme, doit toujours avoir quelque chofe de fin & de délicat. Il n'a pas ordinairement moins de fix Vers, & il peut en avoir jufqu'à dix-fept, que l'on peut même quelquefois partager en ftances, fans aucune regle particuliere. En voici un fait à la louange de Louis XIV.

Les Mufes à l'envi travaillant pour la gloire
De Louis, le plus grand des Rois,

Orneront de fon nom le temple de mémoire:
Mais la grandeur de fes exploits,

Que l'efprit humain ne peut croire,
Fera que la postérité,

Lifant une fi belle hiftoire,

Doutera de la vérité.

Des Vers libres.

On appele Vers libres ceux qui n'ont aucune uniformité ni pour le nombre des fyllabes ni pour le mélange des rimes, & qui ne font point partagés en ftances, c'eft-à-dire, que dans les pieces en Vers libres, un Auteur peut entremêler les rimes à fon choix, & donner à chaque Vers tel nombre de fyllabes qu'il juge à propos, fans fuivre d'autres regles que les regles générales de la Verfification.

On met ordinairement en Vers libres les fujets qui ne demandent qu'un flyle fimple & familier, comme les fâbles, les contes, & même quelquefois les comédies, ou les poêmes destinés à être chantés, comme les Opéra & les Cantates.

Dans les Vers libres, fur-tout dans ceux qui font faits pour la mufique, il eft permis de mettre trois Vers de fuite fur la même rime, mafculine ou féminine.

Au refte, nous renvoyons à l'Art Poétique de M. Defpréaux, ceux qui voudront avoir une connoiffance, plus exacte & plus étendue de la Poésie Françoife.

FIN.

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