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concilier, si faire se peut, les parties, ils ne doivent déposer leur rapport que sur la demande de l'une d'elles. L'avis des experts doit se renfermer dans les limites qui leur ont été posées par le jugement; ils ne doivent pas, notamment, chercher à résoudre les questions de droit qui se peuvent présenter, en sortant du cercle tracé par le juge, ils excèdent leur mandat, s'érigent en juges du fond, et font suspecter leur bonne foi. Cet avis, non demandé, dénote la partialité, dans ce cas, le rapport peut être déclaré nul. Il est cependant des cas, où des experts peuvent avoir donné un avis qu'on ne leur demandait pas, sans qu'il en résulte une nullité dans leur rapport: par exemple, si des experts chargés seulement de dresser un plan figuratif des lieux, pour mettre les juges à même de décider à qui appartient la propriété d'un arbre, déclaraient, à la suite de ce plan, qu'il leur apparaît que l'arbre appartient à Pierre, et non à Jacques, il n'en résulterait pas une nullité dans leur rapport, s'il n'y avait aucun soupçon contre l'exactitude de leur plan, parce que, dans ce cas, le juge peut mettre de côté l'avis des experts, s'en tenir seulement au plan dressé, et en tirer la conséquence qui doit en résulter naturellement. Ordonner, dans des cas semblables, un nouveau rapport, ce serait demander un éclaircissement inutile et constituer les parties en des frais frustratoires. Mais le rapport devrait être déclaré nul en ce qui concerne l'excès de pouvoir (Cass., 17 juillet 1828).

Le procès-verbal doit être divisé en deux parties distinctes, la première relative à la constatation des opérations, la seconde contenant l'avis motivé des experts. Voici ce que doit énoncer la première, et l'ordre que la logique et l'usage indiquent dans cette énonciation: 1o la présence des experts sur les lieux en litige; 2o la présence ou l'absence des parties; 3o la remise des pièces; 4o la mention de défaut contre les non-comparants; 5o les dires et réquisitions des parties; 6° les vérifications faites par les experts pour asseoir leur avis.' Quant à la seconde partie, elle contient l'avis motivé sur les vérifications constatées dans la première. Les experts dressent un seul rapport.

65. La rédaction du procès-verbal des experts doit être écrite par l'un d'eux, et signée par tous; mais il n'est pas nécessaire que ce soit le même expert qui écrive la totalité du procès-verbal; ils peuvent, si bon leur semble, en écrire chacun une partie. S'ils ne savent pas tous écrire, leur rapport doit être écrit et signé par le greffier de la justice de paix où ils procèdent (C. P. 317).

Ce principe reçoit exception en deux cas : dans les expertises

ordonnées par les juges de paix, lorsque les experts opèrent eu présence de ce magistrat, dans les causes sujettes à l'appel, le procès-verbal doit être dressé par le greffier, qui constate le serment prêté par les experts, et le procès-verbal doit être signé par le juge, par le greffier et par les experts. Si les experts ne peuvent ou ne savent pas signer, il doit en être fait mention. Dans les partages et licitations, lorsque l'expert choisi par les parties, pour la formation des lots, en établit la composition, son rapport doit être rédigé par le notaire à la suite des opérations préalables à cette composition.

Il faut observer, de plus, que l'article 317 du Code de procédure, en ordonnant que la rédaction des experts soit écrite par l'un d'eux, hors les cas pour lesquels il fait exception, ne le prescrit point à peine de nullité, et qu'il suffit, que, l'un d'eux ait dicté cette rédaction, et qu'elle ait été signée par tous. La signature de tous les experts n'est même pas absolument nécessaire, il suffit qu'il soit prouvé que l'expert qui n'a pas signé, a concouru à toutes les opérations et fourni son avis.

Les procès-verbaux doivent être rédigés sur papier timbré ; il est défendu aux experts d'agir sur un acte, registre ou effet de commerce, non écrit sur papier timbré du timbre prescrit, ou non visé pour le timbre (Loi du 13 brum. an vII, art. 24). Les contraventions à cette disposition sont punies d'une amende de cent francs. Le rapport d'expert peut être valablement rédigé un jour de fête légale, l'article 1037 du Code ne s'appliquant qu'aux actes de procédure, significations et exécutions.

66.- Les experts ne dressent qu'un seul rapport èt ne forment qu'un seul avis à la pluralité des voix; s'ils sont d'avis différents, leur procès-verbal doit en contenir les motifs, sans qu'il leur soit permis de faire connaître de quel avis chaque expert a été. La diversité d'avis est suffisamment établie par la comparaison des opinions.

67.-Lorsque les experts sont chargés de procéder à l'évaluation de biens-fonds, ils doivent en faire l'estimation en détail, et non en masse; il n'est cependant pas nécessaire, à peine de nullité, que le rapport exprime la valeur séparée de chaque objet, à l'ensemble desquels les experts ont eu égard pour fixer le prix d'un immeuble (Nimes, 3 pluv. an xm). Mais il doit poser les bases de l'estimation, c'est-à-dire, indiquer les termes de comparaison choisis, en même temps, que, les raisons qui les font regarder comme devant inspirer une pleine confiance.

Toute cette rédaction est fort importante, car il est nécessaire

qu'elle soit suffisante pour donner au juge les raisons de décider en connaissance de cause.

68.- Un ancien arrêt du parlement de Provence, du 15 février 1796, a jugé, que les rapports d'experts faisaient foi jusqu'à inscription de faux de tout ce qui est relatif à leurs fonctions. La jurisprudence moderne s'est rangée également à cet avis, et nous citons dans ce sens un arrêt de cassation du 14 janvier 1836. La cour de Rennes a décidé, le 17 août 1813, que si un rapport faisait mention d'un dire d'une partie, par cela même il prouvait, jusqu'à inscription de faux, la présence de cette partie à l'expertise. Si les experts déclarent avoir entendu les voisins ou les parties, ils doivent être crus; mais s'ils font faire quelques aveux aux parties, et que ces aveux ne soient pas signés par la partie ou par son fondé de pouvoir, ils ne forment point un titre contre la partie à laquelle ils sont attribués, sans quoi le procès-verbal des experts aurait une autorité plus forte que les actes notariés, qui ne font foi entre les parties que lorsqu'elles les ont signés, ou fait signer par un fondé de pouvoir. Il a été jugé, par arrêt d'Agen, du 25 juin 1826, que lorsque des experts ont été chargés d'apprécier les dégradations et les améliorations prétendues par des cohéritiers en litige, leur rapport doit faire foi, jusqu'à inscription de faux, des déclarations qu'ils certifient avoir été faites devant eux : par exemple, lorsque toutes les parties ont reconnu qu'il y avait compensation entre les dégradations et les améliorations.

69.- Un rapport d'experts a une date certaine, du jour où il a été fait, et non pas seulement du jour de l'enregistrement ou du dépôt. Un arrêt de cassation, du 6 frimaire an xiv, a cassé un jugement de Verdun, lequel avait admis une récusation proposée contre un tiers-expert par la régie de l'enregistrement, deux jours après la clôture du procès-verbal, sur le fondement que les actes sous seing-privé n'ont de date certaine que celle de leur enregistrement; que le rapport des experts, dont il est question, n'ayant été enregistré que deux jours après cette récusation, c'était à cette date seule que se rapportait son existence légale, et que par conséquent l'acte de récusation, quoique postérieur en apparence, au rapport, devait être considéré comme lui étant beaucoup postérieur.

70.- Lorsque des experts ont donné leur avis, et que leur rapport est clos, ils ne peuvent plus infirmer cet avis. Cependant, s'il s'est glissé dans leur procès-verbal quelque erreur de fait, ils doivent être admis à rectifier cette erreur, même depuis le dépôt

de leur procès-verbal; c'est au moins le sens présenté par un arrêt du 11 août 1770. Dans l'espèce de cet arrêt, des experts chargés de régler un mémoire de fauchage et de fanage, avaient, par erreur, estimé un article qui n'était porté que pour fanage, comme s'il eût été porté pour fauchage et fanage.

71.- Le dépôt du rapport doit être constaté par un acte, et les experts doivent se faire délivrer une expédition de cet acte, afin qu'ils puissent en justifier, si l'on venait à prétendre qu'ils n'ont pas déposé leur procès-verbal. La minute du rapport doit être déposée au greffe du tribunal qui a ordonné l'expertise, sans nouveau serment des experts (C. P. 319). Cette règle reçoit exception lorsque, dans les opérations relatives à la vente de biens de mineurs, y a un notaire de commis pour recevoir les enchères. Le procèsverbal doit, en ce cas, être déposé chez ce notaire. Il y a encore exception, pour les différents cas prévus par la loi sur l'occupation temporaire des terrains (Loi du 16 septembre 1807).

il

Les rapports d'expert sont soumis à un droit fixe d'enregistrement de 2 francs (Loi du 28 avril 1816, art. 43). Chaque plan annexé audit rapport emporte un droit de 1 franc (Loi du 22 frimaire an vii, art. 8, § 1er). Les actes de dépôt, aux greffes des tribunaux civils et de commerce, emportent un droit fixe de 3 fr. (Loi du 22 frimaire, art. 68 ).

CHAPITRE V.

DE L'INFLUENCE DU RAPPORT SUR LE JUGEMENT.

72. L'avis des experts n'oblige pas le juge.

73. Cas exceptionnel.

74. Les juges peuvent demander aux experts des explications sur le rapport.

75. De l'appel du jugement qui ordonne l'expertise.

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72. Les juges ne sont point astreints à suivre l'avis des experts, si leur conviction s'y oppose (C. P. 323). L'avis des experts est donc considéré comme une instruction, dont l'objet est d'éclairer un fait litigieux, d'établir une vérification ou d'apprécier une valeur d'objets contestés; mais cet avis a souvent une grande influence sur l'opinion des juges, surtout lorsque les experts sont instruits, probes et au-dessus de toute suspicion. Cette influence est peutêtre mème irrésistible, lorsqu'il ne s'agit que d'une question de

fait, ou de l'examen d'une chose qui exige la connaissance de l'art ou de la science que les experts exercent; ou encore, lorsque la loi a indiqué ou prescrit l'expertise, comme un moyen spécial de vérifier les faits litigieux. La cour de Bordeaux, par arrêt du 8 janvier 1830, a parfaitement posé les principes, relativement à l'influence que les rapports d'experts doivent exercer sur les magistrats, en disant que, quoiqu'en règle générale, les rapports d'experts ne lient pas les juges, et qu'ils puissent s'en écarter, ils ne peuvent cependant pas le faire sans motifs.

73.-Il est des cas, où la loi impose au juge l'adoption du rapport; ainsi, par exemple, lorsque le prix énoncé dans un acte translatif de propriété d'un immeuble à titre onéreux, paraît inférieur à la valeur vénale, à l'époque de l'aliénation, par comparaison avec les fonds voisins de la même nature, et que la régie requiert une expertise (conformément à l'art. 17 de la loi du 12 frimaire an vir), les juges sont liés par le résultat de l'expertise (Cass., 7 mars 1808). Mais le principe n'en reste pas moins dans toute sa force.

74.- Les juges peuvent demander aux experts qui ont déposé leur rapport, une explication dans les points qui ne paraissent pas clairement expliqués. Telle est l'opinion de M. Merlin, soutenue par lui dans ses Questions du Droit, au mot expert; il base sa doctrine sur deux arrêts du parlement, des 22 juillet 1757 et 25 avril 1785.

Voici l'espèce d'un arrêt de Limoges, du 25 frimaire an xi, qui ne laisse aucun doute sur cette question :

Des experts furent nommés pour estimer les immeubles d'une succession; ils estimèrent héritage par héritage, mais ne s'expliquèrent pas clairement sur l'époque dont ils étaient partis pour estimer les jouissances. Ce défaut de clarté donna lieu à un jugement, par lequel il fut ordonné que les experts viendraient en personne, à l'audience, s'expliquer sous la foi du serment, sur l'époque de l'estimation des jouissances. Les experts donnèrent l'eplication requise, et leur opération fut homologuée par jugement. Appel on soutenait pour l'appelant, que le rapport des experts, une fois déposé, ne leur appartenait plus; qu'il en était d'un expert comme d'un témoin, qu'il ne pouvait être admis à expliquer sa déposition. Sur ces moyens, a été rendu l'arrêt qui contient le considérant que voici : « Attendu que les experts, récipro» quement choisis, ayant été d'accord dans leurs opérations, rien "ne pouvait faire suspecter l'explication qui leur avait été de» mandée, sous la foi du serment, sur un point obscur de leur

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