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à la main, tranchant les têtes qui s'élevent au-deffus du joug & ofent réclamer les droits de la nature. De-là ces guerres domestiques, où le frere dit à fon frère Meurs, ou obéis au Tyran qui ine paie pour t'égorger. Fier de regner par la force des armes, ou par effrayans prestiges de la fuperftition, le Tyran s'applaudit; mais qu'il tremble, s'il ceffe un moment de flatter l'orgueil, ou d'autorifer la licence de fes partisans dangereux. En le fervant, ils le menacent; & pour prix de l'obéiffance, ils exigent l'impunité. Ainfi pour être l'oppreffeur d'une partie de fa nation, il fe rend l'efclave de l'autre, bas & lâche avec fes complices, autant qu'il eft superbe & dur pour le refte de fes fujets. Qu'il fe garde bien de gêner, ou de tromper dans leur attente les paffions qui le fecondent il fçait combien elles font atroces, puifqu'elles ont pour lui rompu tous les liens de la nature & de l'humanité. Les tigres que l'homme éleve pour

la chaffe, dévorent leur maître, s'il oublie de leur donner part à la proie. Tel eft le pacte des tyrans.

A mefure donc que l'autorité penche vers la tyrannie, elle s'affoiblit & fe rend dépendante de fes fuppots. Elle doit s'en appercevoir aux déférences, aux égards, à la tolérance fervile dont il faut qu'elle ufe envers eux, à li partialité de fes loix, à la molleffe de fa police, aux priviléges infenfés qu'elle accordé à fes partifans, à tout ce qu'elle eft obligée de céder, de diffimuler', de fouffrir, de peur qu'ils ne l'abandon

nent.

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Mais que l'autorité foit conforme aux loix, c'eft aux loix feules qu'elle eft foumife. Elle est fondée fur la volonté & fur la force de tout un peuple. Elle n'a plus pour ennemis que les méchans, les ennemis communs. Quiconque eft intéreffé au maintien de l'ordre & du repos public, eft le défenfeur né de la Puiffance qui les protége; & chaque Ci-*

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dans l'ennemi du Prince, voit font ennemi perfonnel. Dès-lors il n'y a plus au-dedans deux intérêts qui fe combattent; & le Souverain, ligué avec fon peuple, eft riche & fort de toutes les richeffes & de toutes les forces de l'Etat. C'eft alors qu'il eft libre, & qu'il peut être jufte, fans avoir de rivaux à craindre, ni de partis à ménager. Sa puis- ̧ fance affermie au dedans, en est d'autant plus impofante & plus refpectable au-dehors; & comme l'ambition, l'orgueil, ni le caprice ne lui mettent jamais les armes à la main, fes forces qu'il ménage, ont toute leur vigueur, quand il s'agit de protéger fon peuple contre l'oppreffeur domeftique ou l'ufurpateur étranger. O mon ami! fi la juftice eft la base du pouvoir fuprême, la reconnoiffance en eft l'ame & le reffort le plus actif. L'esclave combat à regret pour fa prifon & pour fa chaîne; le Citoyen libre & content, qui aime fon Prince & qui en eft aimé, défend le fceptre

comme fon appui, le trône comme fon afyle; & en marchant pour la Patrie, il y voit partout les foyers.

Ah! vos leçons, lui dit Tibére, fe gravent dans mon cœur avec des traits de flamme. Que ne fuis-je digne moimême d'en pénétrer l'ame des Rois!

Vous voyez donc bien, reprit Bélifaire, que leur grandeur, que leur puiffance eft fondée fur la juftice, que la bonté y ajoute encore,` & que le plus abfolu des Monarques eft celui qui eft le plus aimé. Je vois, dit le jeune homme, que la faine politique n'est que la faine raison, & que l'art de regner confifte à fuivre les mouvemens d'un efprit jufte & d'un bon cœur. C'est ce qu'il y a de plus fimple, dit Bélifaire, de plus facile & de plus fûr. Un bon paysan d'Illyrie, Justin a fait chérir fon regne. Etoit-ce un politique habile? Non; mais le ciel l'avoit doué d'un fens droit & d'une belle ame. Si j'étois Roi, ce feroit lui que je tâcherois d'imiter. Une.

prudence oblique & tortueufe a pour elle quelques fuccès; mais elle ne va qu'à travers les écueils & les précipices; & uni Souverain qui s'oublieroit lui même, pour ne s'occuper que du bonheur du monde, s'expoferoit mille fois moins que le plus inquiet, le plus foupçonneux, & le plus adroit des Tyrans. Mais on l'intimide, on l'effraie, on lui fait regarderf on peuple comme un ennemi qu'il doit craindre; & cette crainte réalife le danger qu'on lui fait prévoir: car elle produit la défiance, que fuit de près l'inimitié.

Vous avez vu que dans un Souverain les befoins de l'homme ifolé fe réduifent à peu de chofe; qu'il peut jouir à peu de frais de tous les vrais biens de la vie; que le cercle lui en eft prefcrit, & qu'au-delà ce n'eft que vanité, fantaisie & illufion. Mais tandis que la nature lui fait une loi d'être modéré, tout ce qui l'environne le preffe d'être avide. D'intelligence avec fon peuple, il n'auroit pas d'autre intérêt, d'autre

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