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reur, que par-tout & dans tous les tems, les amis du peuple aient été haïs de ceux qui, par état, font les peres du peuple.

Le feul crime de ce Héros eft d'avoir été populaire : c'est par-là qu'il a donné prise aux calomnies de ma Cour, & peutêtre à ma jaloufie. Hélas! on me le fai

soit craindre ! j'aurois mieux fait de l'imiter.

CHAPITRE X.

Le lendemain, à la même heure, Bélifaire les attendoit fur le chemin, au pied d'un chêne antique, où la veille ils s'étoient affis; & il fe difoit à lui-même : Je fuis bien heureux dans mon malheur, d'avoir trouvé.des hommes vertueux, qui daignent venir me diftraire, & s'occuper avec moi des grands objets de l'humanité! Que ces intérêts font puiffans fur une ame! Ils me font oublier mes maux. La feule idée de pouvoir influer fur le deftin des Nations, me fait exister hors de moi, m'éleve au-deffus de moi-même; & je conçois comment la bienfaisance, exercée fur tout un peuple, rapproche

l'homme de la divinité.

Juftinien & Tibére qui s'avançoient, entendirent ces derniers mots. Vous faites l'éloge de la bienfaifance, dit l'Empereur; & en effet, de toutes les vertus,

il n'en eft point qui ait plus de charmes. Heureux qui peut en liberté fe livrer à ce doux penchant! Encore, hélas ! fautil le modérer, dit le Héros ; & s'il n'eft éclairé, s'il n'est réglé par la Justice, il dégénére infenfiblement en un vice tout oppofé. Ecoutez-moi, jeune homme, ajouta-t-il, en adreffant la parole à Tibére.

Dans un Souverain, le plus doux exercice du pouvoir fuprême, c'eft de difpenfer à fon gré les diftinctions & les graces. Le penchant qui l'y porte a d'autant plus d'attraits, qu'il reffemble à la bienfaifance; & le meilleur Prince y feroit trompé, s'il ne fe tenoit en garde contre la féduction. Il ne voit que ce qui l'approche; ce qui l'approche, lui répéte fans cesse, que fa grandeur réfide dans fa Cour, que fa majefté tire tout fon éclat du fafte qui l'environne, & qu'il ne jouit de fes droits & du plus beau de fes priviléges, que par les graces qu'il répand & qu'on appelle fes bienfaits....

& tout

Ses bienfaits, jufte ciel! la fubftance du peuple! la dépouille de l'indigent !..... Voilà ce qu'on lui difsimule. L'adulation, la complaifance, l'illufion l'environnent; l'affiduité, l'habitude le gagnent comme à fon infçu; il ne voit point les larmes, il n'entend point les cris du pauvre qui gémit de fa magnificence; il voit la joie, il entend les vœux du courtifan qui la bénit; il s'accoutume à croire qu'elle eft une vertu; & fans remonter à la fource des richesses dont il eft prodigue, il les répand comme fon bien. Ah! s'il favoit ce qu'il lui en coûte, & combien de malheureux il fait, pour un petit nombre d'ingrats! Il le faura, mon cher Tibére, s'il a jamais un véritable ami : il apprendra que fa bienfaisance confifte moins à répandre qu'à ménager; que tout ce qu'il donne à la faveur, il le dérobe au mérite; & qu'elle eft la fource des plus grands maux dont un Etat foit affligé.

Vous la faveur d'un œil un peu

voyez

févére, dit le jeune homme. Je la vois zelle qu'elle eft, dit le vieillard, comme une prédilection perfonnelle, qui dans le choix & l'emploi des hommes, renverse l'ordre de la juftice, de la nature & du bon fens. Et en effet, la justice attribue les honneurs à la vertu, les récompenses aux fervices; la nature deftine les grandes places aux grands talens; & le bon fens veut qu'on faffe des hommes le meilleur ufage poffible. La faveur accorde, au vice aimable ce qui appartient à la vertu, elle préfére la complaifance au zéle, l'adulation à la vérité, la baffeffe à l'élévation d'ame; & comme fi le don de plaire étoit l'équivalent ou le gage de tous les dons, celui qui le la poffede peut aspirer à tout. Ainsi, faveur est toujours le préfage d'un mauvais regne; & le Prince qui livre à fes favoris le foin de fa gloire & le fort de ses peuples, fait croire de deux choses l'une, ou qu'il fait peu de cas de ce qu'il leur confie, ou qu'il attribue à fon choix

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