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place, & qui communément ne la mérite pas; c'est l'impreffion que fait fur les efprits l'exemple d'un malheur injufte & d'une indigne profpérité. De-là le relâchement du zéle, l'oubli du devoir, le courage de la honte, l'audace du crime, & tous les excès de la licence qu'autorife l'impunité. Tel est le regne de la faveur. Jugez combien elle doit hâter la décadence d'un Empire.

Sans doute, hélas c'est dans un Prince une foibleffe malheureuse, dit l'Empereur ; mais elle eft peut-être excufable dans un vieillard, rebuté de voir que depuis trente ans il lutte envain contre la deftinée, & que malgré tous fes efforts le vaiffeau de l'Etat, brifé par les tempêtes, eft fur le point d'être englouti. Car enfin ne nous flattons pas : la grandeur même & la durée de cet Empire font les caufes de fa ruine. Il fubit la loi qu'avant lui le vaste Empire de Belus, celui de Cyrus ont fubie. Comme eux il à fleuri ; il doit paffer

comme eux.

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Je n'ai pas foi, dit Bélifaire, à la fatalité de ces révolutions. C'eft réduire en fyftême le découragement où je gémis de voir que nous fommes tombés. Tout périt, les Etats eux-mêmes, je le fais; mais je ne crois point que la nature leur ait tracé le cercle de leur exiftence. Il est un âge où l'homme eft obligé de renoncer à la vie, & de fe réfoudre à finir; il n'eft aucun tems où il foit permis de renoncer au falut d'un Empire. Un Corps politique eft fujet fans doute à des convulfions qui l'ébranlent, à des langueurs qui le confument, à des accès qui, du tranfport, le font tomber dans l'accablement le travail ufe fes refforts, le repos les relâche, la contention les brife; mais aucun de ces accidens n'eft mortel. On a vu les Nations fe relever des plus terribles chûtes, revenir de l'état le plus défefpéré, &, après les crises les plus violentes, fe rétablir avec plus de force & plus de vigueur que jamais. Leur décadence n'eft donc pas marquée,

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comme l'eft pour nous le déclin des ans ; leur vieilleffe eft une chimére; & l'efpérance qui foutient le courage, peut s'étendre auffi loin qu'on veut. Cet Empire eft foible, ou plutôt languiffant; mais le remede, ainfi que le mal, eft dans la nature des chofes, & nous n'avons qu'à l'y chercher. Hé bien, dit l'Empereur, daignez faire avec nous cette recherche confolante ; & avant d'aller au remede, remontons aux fources du mal. Je le veux bien, dit Bélifaire ; & ce fera plus d'une fois le sujet de nos entretiens.

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CHAPITRE X I..

USTINIEN plus impatient que jamais de revoir Bélifaire, vint le preffer le jour fuivant, de déchirer le voile qui depuis fi long-tems lui cachoit les maux de l'Empire. Bélifaire ne remonta qu'à · l'époque de Conftantin. Quel dommage, dit il, qu'avec tant de résolution, de courage & d'activité, ce génie vaste & puiffant fe foit trompé dans fes vues, & qu'il ait employé à ruiner l'Empire plus d'efforts qu'il n'en eût fallu pour en rétablir la fplendeur! Sa nouvelle conftitution eft un chef-d'œuvre d'intelligence la milice Prétorienne abolie, les enfans des pauvres adoptés par l'Etat (a), l'autorité du Préfet divifée &

(a) Dès qu'un pere déclaroit ne pouvoir nour rir fon enfant, l'Etat en étoit chargé ; l'enfant devoit être nourri, élevé aux dépens de la

république. Conftantin voulut que cette lo

réduite (a), les Vétérans établis possesfeurs & gardiens des frontiéres, tout cela étoit fage & grand. Que ne s'en tenoit-il à des moyens fi fimples? Il ne vit pas, ou ne voulut pas voir que tranf porter le fiége de l'Empire, c'étoit en ébranler, & au physique & au moral, les plus folides fondemens. Il eut beau vouloir que fa Ville fût une feconde Rome; il eut beau dépouiller l'ancienne de fes plus riches ornemens, pour en décorer la nouvelle ; ce n'étoit-là qu'un jeu de théâtre, qu'un fpectacle fragile & vain.

Vous m'étonnez, interrompit Tibére, & la capitale du monde me fembloit bien plus dignement, bien plus avantageufement placée fur le Bofphore, au milieu de deux mers, & entre l'Europe & l'Afie, qu'au fond de l'Italie ;

fût gravée fur le marbre, afin qu'elle fût éternelle.

(a) Voy. Zofime, L, 2, ch. 33.

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