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Il en eft de même au - dedans. Des Préfets indolens, des Proconfuls avides, tyrans abfolus & impitoyables des Provinces & des Cités : voilà ce que j'ai vu par-tout. Par eux les Charges publiques font devenues fi accablantes pour retenir fous le faix les principaux Citoyens (a), il a fallu leur interdire la Milice, le Sacerdoce, la vente même de leurs biens, &, ce qu'on ne croira jamais, la ressource de l'esclavage. Comment voulez-vous que des Peuples fi cruellement tourmentés aiment un joug qui les écrafe? Peuvent-ils se croire liés ou d'intérêt ou de devoir avec de fi durs oppreffeurs? Au premier murmure que leur arrachent la mifere & le défefpoir, on crie à la révolte, à l'infidélité; on fait marcher dans les Provinces des 'armées qui les ravagent. Trifte & cruel moyen de réduire les hommes, que celui de les ruiner ! Et que faire

(a) Les Décurions, ou Officiers Municipaux.

d'un

Jun peuple abattu de foibleffe? Il faut qu'il foit docile & fort. Il fera l'un & l'autre, s'il n'eft point excédé par tous çes tyrans fubalternes, qui, du regne d'un Prince équitable & doux, ne font que trop souvent un regne intolérable.

C'est de ces Dépofitaires de l'autorité qu'il dépend de la faire aimer ou haïr. C'est donc fur eux que doit fe fixer l'œil vigilant & févére du Prince. Il n'a pas de plus dangereux ni de plus cruels ennemis car ils l'expofent à la haine publique ; & c'eft pour lui le plus grand des maux. Tout ce que leur dicte l'orgueil, la cupidité, le caprice, ils l'appellent fa volonté. A les entendre, ils ne font qu'obéir en exerçant leurs violences; & par eux le Prince eft à fon infçu le fléau des peuples qu'il aime. Mon cher Tibére, ajouta le Héros, fi un Souverain a le bonheur de vous avoir pour ami, dites-lui bien de ne jamais lâcher les rênes de l'autorité; & que tous ceux qui l'exercent fous lui, fentent le

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frein de fa justice. Car les excès commis en fon nom, calomnient fon regne, & font retomber fur lui les larmes du foi

ble opprimé; au lieu que fi les peuples favent qu'il les protége & qu'il les venge, ils fe plaindront à lui fans fe plaindre de lui; & la haine publique attachée aux artifans des malheurs publics, laiffera le Prince équitable en poffeffion du cœur de fes fujets.

Rien de plus beau dans la fpéculation, dit Juftinien, qu'un Prince attentif & préfent à tout ce qui fe paffe dans fon Empire. Mais le détail en eft immenfe ; & s'il faut qu'il écoute les plaintes de fes peuples, qu'il les examine & les juge, il n'y fuffira jamais.

C'est avec ces phantomes de difficultés qu'on l'effraie, dit Bélifaire; mais ils s'évanouiffent, quand on les observe de près; & vous verrez demain que l'art de gouverner eft moins compliqué qu'on ne penfe. Adieu, mes amis. Vous voyez que de moi-même je m'engage plus loin

que je n'aurois voulu. Regner eft lå folie de la plupart des hommes; & il en est peu qui, dans leurs rêveries, ne s'amufent, comme je fais, à régler le fort des Etats. C'est le délire du vulgaire, dit Juftinien, mais la plus digne méditation du fage.

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L'Empereur fe retira frappé de tout ce qu'il venoit d'entendre ; & le foir même, à son souper, il ouit dire à ses Courtifans que jamais l'Empire n'avoit été plus floriffant & plus heureux. Sans doute, leur dit-il, l'Empire eft florisfant, car vous nagez dans l'abondance ; il est heureux, car vous vivez dans le luxe & l'oifiveté. Ici les peuples ne font comptés pour rien, & la Cour eft pour vous l'Empire. Ces mots leur firent baiffer les yeux. Ils ne douterent pas que la mélancolie où l'Empereur étoit plongé, ne fût la fuite des entretiens qu'il avoit eus avec Tibére. Tibére, difoientils, eft un jeune enthousiaste, qui a la folie de l'humanité. Rien de plus dan

gereux ici qu'un homme de ce caractére: il faut tâcher de l'éloigner,

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