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fon glaive du haut du trône étoit levé pour les punir!

De toutes les conditions, la Milice eit fans doute celle où la licence & le défordre femblent devoir regner le plus impunément. Mais qu'on rende à la difcipline fon auftérité, fa vigueur; que la faveur ne fe mêle point d'en mitiger les loix févéres ; & quelques exemples, comme celui que Juftinien a donné au monde, impoferont bientôt aux plus audacieux.

Et quel eft cet exemple demanda l'Empereur ? Le voici, reprit Bélifaire : C'est à mon gré, le plus beau moment du regne de Juftinien. Ses Généraux, dans la Colchide, avoient trempé leurs mains dans le fang du Roi des Laziens, fon Allié. Il envoya fur les lieux. mêmes un homme intégre (a), avec pleine puiffance de prononcer & de punir, après qu'il auroit entendu la

(a) Athanafe, l'un des principaux Sénateurs H

plainte du peuple Lazien, & la défense des accufés. Ce Juge fuprême & terrible donna à cette grande cause tout l'appareil dont elle étoit digne. Il choisit pour fon Tribunal une des Collines du Caucafe; & là, en préfence de l'armée des Laziens, il fit trancher la tête aux meurtriers de leur Roi. Mais tout cela demande au moins quelques hommes incorruptibles; & par malheur l'efpéce en eft rare fur tout depuis l'abaiffement, l'aviliffement du Sénat.

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Quoi, dit Tibére, regrettez-vous ces Tyrans de la liberté, ces Efclaves de la tyrannie ?

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Je regrette dans le Sénat dit le Héros, non ce qu'il a été, mais ce qu'il pouvoit être. Toute domination tend vers la tyrannie car il eft naturel à l'homme de prétendre que fa volonté faffe loi. La dureté du Sénat envers le peuple, & fon inflexible hauteur a fait préférer à fon regne celui d'un maître qu'on efpéra de trouver plus jufte &

plus doux. Ce maître, jaloux d'exercer un autorité fans partage, a fait plier l'orgueil du Sénat fous le joug; & le Sénat faifi de crainte, a été plus bas & plus vil que fon maître n'auroit voulu : Tibére s'en plaignoit lui-même (a). Mais il eft aifé de concevoir qu'en ceffant d'être dangereux, le Sénat devenoit utile, qu'il donnoit à l'autorité un caractere plus impofant, & qu'établi médiateur entre le peuple & le Souverain, il eût été le point d'appui de toutes les forces de l'Empire. Ce n'eft pourtant pas fous ce point de vue que je regarde le Sénat. Je regrette en lui une pépiniere d'hommes exercés à tenir l'épée & la balance, nourris dans les confeils & dans les combats, inftruits dans l'art de gouverner & par les loix & par armes. C'eft de cet ordre de Citoyens, contenu dans de juftes bornes, & honoré comme il devoit l'être; qu'un

les

(a) Tacite. Ann, L. 1.

Empereur auroit tiré fes Généraux & fes Miniftres, fes Préfets & fes Commandans. Aujourd'hui, qu'on ait besoind'un homme habile, vertueux & sage; où s'eft il fait connoître? Pour effai lui donnera-t-on le fort d'un peuple à décider? Eft-ce dans les Emplois obfcurs de la Milice Palatine (a) qu'il fe forme des Regulus, des Fabius, des Scipions? Au défaut d'une lice où les ames s'exercent, où les talens mefurent leurs forces, où le caractere s'annonce, où le génie fe développe, où les lumieres & les vertus percent la foule & fe diftinguent, on a prefque tout donné. au hazard de la naissance, au caprice de la faveur. Ainfi s'accumulent les maux. fous lefquels un Etat fuccombe.

Que voulez-vous, dit l'Empereur ? Quand les hommes font dégradés quand l'efpéce en eft corrompue, &.

(a) Cette Milice fictive étoit composée de la Police & de la Finance. La politique des Empe reurs Y avoit réduit le Sénat.

que

qu'avec tout le foin poffible on n'y fait de mauvais choix, il faut bien que l'on fe rebute, & qu'on fe laffe de choifir.

Non, dit Bélifaire, jamais on ne doit fe décourager. La corruption n'eft jamais totale; il y a par-tout des gens de bien ; & s'il en manque, on en fait naître. Il fuffit qu'un Prince les aime & qu'il fache les difcerner. Adieu, mes amis. Ce fera demain un entretien confolant pour nous. Car il eft doux de voir que pour remédier au plus mauvais état des chofes, un feul homme n'a qu'à vouloir.

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Bélifaire fait tout dépendre de notre foible volonté, dit Justinien à Tibére; mais eft-on libre de fe donner le difcernement & le choix des hommes ? Et ne fçait-il pas à quel point ils fe déguifent avec nous ? Ce qui me confond, dit Tibére, c'est qu'il prétende que les hommes naiffent tels que vous les voulez, comme fi la nature vous

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