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armées, lui dit Tibére; comment y étiez-vous parvenu? Le plus aifément du monde, dit le vieillard je l'avois banni de ma tente, & je l'avois dévoué au mépris. Le mépris eft un puiffant remède contre le poifon de l'orgueil ! Je fçus qu'un jeune Afiatique avoit porté dans mon Camp les délices de fa Patrie; qu'il dormoit fous un Pavillon de pourpre, qu'il buvoit dans des coupes d'or, qu'il faifoit fervir à fa table les vins les plus exquis & les mets les plus rares. Je l'invitai à dîner, & en préfence de fes camarades, Jeune homme, lui dis - je, vous voyez qu'on fait ici mauvaise chere; c'est quelquefois bien pis, & il faut s'y attendre: car ceux, qui courent après la gloire font exposés manquer de pain. Croyez-moi, votre délicateffe auroit trop à fouffrir de la vie que nous allons mener je vous confeille de ne pas nous fuivre. Il fut sensible à ce reproche. II demanda grace, il l'obtint; mais il renvoya fes ba

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gages. Et cette leçon vous fuffit? Lui demanda le jeune homme. Oui, fans doute, dit le Héros; car mon exemple l'appuyoit, & l'on me connoiffoit une volonté ferme. Vous dûtes exciter

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pour

bien des plaintes ! - Quand la loi eft égale & néceffaire, perfonne ne s'en plaint. Non, mais il est dur le riche d'être mis au niveau du pauvre. En revanche il eft doux pour le pauvre de voir le riche au niveau de lui; & par tout les pauvres font le plus grand nombre. Mais les riches font à la Cour les plus puiffans & les mieux écoutés. Auffi n'ont ils pas mal réussi à me nuire. Mais ce que j'ai fait, je le ferois encore: car la force de l'ame, comme celle du corps, eft le fruit de la tempérance. Sans elle point de défin- · téressement; fans le défintéreffement point de vertu. Je demandois à un berger pourquoi fes chiens étoient fi fidéles. C'eft, me dit-il, parce qu'ils ne vivent que de pain. Si je les avois

nourris de chair, ils feroient des loups. Je fus frappé de fa réponse. En général, mes amis, la plus fùre façon de réprimer les vices, c'eft de reftraindre les befoins.

Tout cela eft poffible dans une armée, dit l'Empereur, mais impraticable dans un Etat. Il n'en eft pas des loix civiles comme des loix militaires : celles ci refferrent la liberté dans un cercle bien plus étroit. Aucune loi ne peut empêcher le Citoyen de s'enrichir par des moyens honnêtes; aucune loi ne peut l'empêcher de difpofer de fes richeffes & d'en jouir paifiblement. Il est censé les avoir acquifes par fon travail, fon induftrie, fes talens, fon mérite, ou celui de fes peres. Il a le droit de les diffiper, comme celui de les enfouir. J'en fuis d'accord, dit Bélifaire. Je vais plus loin, dit l'Empereur : fi les richeffes d'un Etat fe trouvent accumulées dans les mains d'une claffe d'hommes, il eft bon qu'elles fe répan

dent, & que le travail & l'industrie les tirent de mains de l'oifiveté. Je conviens encore de cela, dit le Héros. J'ajoute, pourfuivit Juftinien, que la délicateffe, la fenfualité, l'oftentation, la magnificence, les fantaifies du goût, les caprices de la mode, les recherches de la molleffe & de la vanité font de ces détails qui échappent à la police la plus févére, & que les loix ne peuvent s'en mêler fans une efpece de tyrannie. A Dieu ne plaife, dit le vieillard, que je veuille que les loix s'en mêlent. Voilà donc le luxe protégé, reprit Juftinien, par tout ce qu'il y a de plus inviolable parmi les hommes, la liberté, la propriété, peut-être auffi l'utilité publique. J'accorde tout, excepté ce pointlà, dit Bélifaire. Mais enfin, dit le Prince, vous avouerez que le luxe anime & fait fleurir les arts; qu'il rend les hommes industrieux, actifs, capables d'émulation; qu'il oppofe à leur indolence & à leur penchant vers l'oifiveté, l'ai

guillon des nouveaux befoins, & le défir des jouiffances.

le

Je conviens, dit Bélifaire, que luxe eft doux à ceux qui en jouiffent, & profitable à ceux qui les en font jouir; & que les loix doivent laiffer ce commerce libre & tranquille. N'eft - ce pas ce que vous voulez ?

Je veux plus, reprit l'Empereur : je prétends que, de proche en proche, fon influence fe répand fur toutes les claffes de l'Etat, même fur celle des Labouà qui elle procure un un débit plus facile & plus avantageux des fruits de

reurs,

leurs travaux.

C'est ici, dit Bélifaire, que l'apparence vous féduit: car ce qui revient à la claffe des Laboureurs, des prodigalités du luxe, a déja été pris fur elle ; & tous les hommes qu'il emploie, font autant d'étrangers qu'il lui donne à nourrir. Rappellez-vous l'idée que nous nous fommes faite de la fociété primitive. Quel en eft le but? N'eft-ce pas de ren

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