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fait offrir le falut & la liberté (a ).

Je crois connoître, mes amis, deux cens mille hommes dans l'Empire, capables d'en faire autant, s'ils avoient un Paul à leur tête; & de ces dignes chefs vous en avez encore: la victoire vous les a nommés. Ne croyez donc pas que tout foit perdu avec de pareilles reffources. Ignorez-vous à quel point la profpérité, l'abondance, la population peuvent multiplier les forces d'un Etat? Rappellez-vous feulement ce qu'étoient autrefois, je ne dis pas les Gaules, que nous avons perdues, & lâchement abandonnées (b); mais l'Espagne, la Gréce, l'Italie, la République de Carthage, & tous ces Royaumes d'Afie, depuis le Nil

[a) Leonard Aretin. De Bell, Ital. Adverfus Gothos. L. 4.

(b) Les Empereurs, pour délivrer Rome & l'Italie du joug des Goths, leur avoient cédé les plus belles Provinces de la Gaule. Facta eft fervitus noftra pratium fecuritatis aliens. Sidon." Apolli. L. 7. Ep. 7.

jufqu'au fond de l'Euxin. Souvenez-vous que Romulus, qui n'avoit d'abord qu'une Légion (a), laiffa en mourant quarante-fept mille Citoyens fous les armes; & jugez de ce que peut le Regne d'un homme, habile, actif & vigilant. L'État eft ruiné, dit-on. Quoi, l'Hefpérie & la Sicile, l'Espagne, la Libie & l'Égypte, la Béotie & la Macédoine, & ces belles plaines d'Asie qui faifoient la richeffe de Darius & d'Alexandre, font-elles devenues ftériles? Elles manquent d'hommes! Ah! qu'ils y foient heureux ; ils y viendront en foule; & pour lors, mes amis, j'oferai proposer le vafte plan que je médite, & qui feul rendroit cet Empire plus puiffant qu'il ne fut jamais. Quel eft-il donc ce plan, demanda l'Empereur? Le voici, reprit Bélifaire.

(a) La légion n'étoit alors que de 3000 hom*mes de pied & de 300 hommes de cheval- Voy. Denis d'Halic. & Plutarque, vie de Romulus.

La guerre, comme nous la faisons, excede les armées par de trop longues marches & par des travaux exceffifs. Elle donne à nos ennemis le tems de nous furprendre par des incurfions foudaines, que les lignes de Vétérans & de Soldats cultivateurs, dont on a bordé nos limites, n'ont pas la force de foutenir & avant que le légions aient volé au point de l'attaque, l'épouvante, la défolation, le ravage ont fait de rapides progrès. (a). Pour oppofer à ces torrens une digue toujours préfente, je demanderais qu'on rendît tout cet Empire militaire enforte que tout homme libre feroit Soldat, mais feulement pour la

:

(a) Sous Augufte, les marches ou frontieres n'étoient qu'au nombre de neuf. Il y avoit établi les légions à pofte fixe. Mais le nombre des Provinces qu'il falloit garder s'étant accrû, les légions n'y pouvoient plus fuffire; & Conftantin, en les retirant dans l'intérieur des Provinces, y avoit foiblement fuppléé par des lignes de Vétérans.

défense du pays. Ainfi chaque Préfecture compoferoit une armée, dont les Cités formeroient les cohortes, les Provinces les légions, avec des points de raliement, où le Soldat, au fon de la trompette fe rangeroit fous les drapeaux.

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Ces troupes auroient l'avantage d'être attachées à leur pays natal, qu'elles cultiveroient, qu'elles feroient fleurir qu'elles peupleroient elles-mêmes. Et vous prévoyez avec quelle ardeur elle défendroient leur foyer (a).

Dans un vaste Empire, rien de plus difficile à établir que l'opinion de la caufe commune. Des peuples féparés par les mers s'intéreffent peu l'un & l'autre. Le midi ne prend aucune part aux dangers qui menacent le nord. Le Dalmate, l'Illyrien, ne fçait pas pour

(a) La terre donne à fes Laboureurs le courage de la défendre : elle met fes fruits, comme un prix, au milieu du jeu, pour le vainqueur, Xénop. Traité du ménage.

quoi on le fait paffer en Afie: il lui eft égal que le Tigre coule fous nos loix ou fous les loix du Perfe. La difcipline le retient, l'espoir du butin l'encourage; mais la réflexion, la fatigue, l'ennui, le premier mouvement d'impatience ou de frayeur lui fait abandonner une cause qui n'eft pas la fienne. Au lieu que dans mon plan, la Patrie n'eft plus un nom vague, une chimere pour le Soldat; c'est un objet préfent & cher, auquel chacun est attaché par tous les noeuds de la nature. Citoyens, pourroit-on leur dire, en les → menant à l'ennemi, c'eft le champ qui vous a nourri, c'eft le toit qui vous a » vus naître, c'est le tombeau de vos pe

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res, le berceau de vos enfans, le lit de

vos femmes que vous défendez «. Voilà des intérêts fenfibles & puiffans. Ils ont fait plus de Héros que l'amour même de la gloire. Jugez de leur effet fur des ames accoutumées dès l'enfance aux rigueurs de la difcipline & à l'image des combats.

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