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veut être avili, rebuté, privé des droits de Citoyen & de Sujet fidéle; & toutes les fois que dans un Etat on fera deux claffes d'hommes, dont l'une écartera l'autre des avantages de la fociété, quel que foit le motif de l'exhérédation, la claffe profcrite regardera la Patrie comme fa marâtre. Le plus frivole objet devient grave, dès qu'il influe férieufement fur l'état des Citoyens. Et croyez que cette influence eft ce qui anime les partis. Qu'on attache le même intérêt à une difpute élevée fur le nombre des grains de fable de la mer; on verra naître les mêmes haines. Le fanatisme n'eft le plus fouvent (a) que l'envie, la cupidité, l'orgueil, l'ambition, la haine, la vengeance qui s'exercent au nom du ciel; & voilà de quels Dieux un Souverain

(a) Privata caufa pietatis aguntur obtentu, & cupiditatum quifque fuarum religionem habet velut pedifequam. (Le Pape Leon à l'Empereur Théodofe).

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crédule & violent fe rend l'implacable Miniftre. Qu'il n'y ait plus rien à gagner fur la terre à fe débattre pour le ciel ; que le zéle de la vérité ne foit plus un moyen de perdre fon rival ou fon ennemi, de s'élever fur leurs débris, de s'enrichir de leurs dépouilles, d'obtenir une préférence à laquelle ils pouvoient pretendre; tous les efprits fe calmeront, toutes les fectes feront tranquilles.

Et la caufe de Dieu fera abandonnée, dit Juftinien.

Dieu n'a pas befoin de vous pour foutenir fa cause, dit Bélifaire. Eft-ce en vertu de vos Edits que le foleil fe leve, & que les étoiles brillent au ciel ? La vérité luit de fa propre lumiére; & on n'éclaire pas les efprits avec la flamme des buchers. Dieu remet aux Princes le foin de juger les actions des hommes; mais il fe réserve à lui feul le droit de juger les pensées; & la preuve que la vérité ne les a pas pris pour arbitres, c'est qu'il n'en eft aucun qui foit exempt d'erreur.

Si la liberté de penfer eft fans frein, dit l'Empereur, la liberté d'agir fera bientôt de même.

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Point du tout, reprit Bélifaire : c'eftl'homme rentre fous l'empire des loix; & plus cet empire fe renfermera dans fes limites naturelles, moins il aura befoin de force pour maintenir l'ordre & la paix. La Justice eft le point d'appui de l'autorité; & celle-ci n'eft chancelante que lorfqu'elle eft hors de fa bafe. Comment voulez-vous accoutumer les hommes à voir un homme s'ériger en Dieu, & commander, les armes à la main, de croire ce qu'il croit, de penfer comme il pense? Demandez à vos Généraux fi l'on perfuade à coups d'épée? Demandez-leur ce qu'a fait en Afrique la rigueur & la violence exercée fur les Vandales. J'étois en Siçile; Salomon y arriva furieux & désespéré. » Tout eft perdu en Afrique ( me dit-il): les » Vandales font révoltés; Carthage eft prife, elle eft au pillage; & dans fes

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» murs & dans les campagnes on nage » dans des flots de fang; & cela, poar

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quelques rêveurs qui ne s'entendent » pas eux-mêmes, & qui jamais ne feront » d'accord. Si l'Empereur s'en mêle, s'il donne des Edits pour des fubtili» tés où il ne comprend rien, il n'a qu'à mettre fes Docteurs à la tête de »fes armées pour moi j'y renonce; je » fuis au désespoir «. Ainfi me parla ce brave homme. Entre nous il avoit raifon. C'est bien affez des paffions humaines pour troubler un fi vafte Empire, fans que le fanatifme encore y vienne agiter fes flambeaux.

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Et qui appaifera les troubles élevés ? demanda l'Empereur. L'ennui, répondit Bélifaire, l'ennui de difputer fur ce qu'on n'entend pas, fans être écouté de perfonne. C'est l'attention qu'on a donnée aux nouveautés, qui a produir tant de novateurs. Qu'on n'y mette aucune importance; bientôt la mode en paffera; & ils prendront d'autres moyens pour

devenir des perfonnages. Je compare tous ces gens-là à des champions dans l'arêne. S'ils étoient feuls, ils s'embrafferoient. Mais on les regarde; ils s'égorgent.

En vérité, dit le jeune homme, fes raifons me perfuaderoient. Ce qui m'en afflige, dit l'Empereur, c'eft qu'il rend le zéle d'un Prince inutile à la religion.

Le ciel m'en préserve, dit Bélifaire! Je suis bien fûr de lui laiffer le plus infaillible moyen de la rendre chere à fes peuples: c'eft de faire juger de la fainteté de fa croyance par la fainteté de fes mœurs; c'eft de donner fon regne pour exemple & pour gage de la vérité qui l'éclaire & qui le conduit. Rien de plus aifé, en faisant des heureux, que de faire des profélites ; & un Monarque jufte a lui feul plus d'empire fur les efprits, que tous les perfécuteurs ensemble. Il eft plus commode fans doute de faire égorger les hommes que de les perfuamais fi les Souverains demandoient

der;

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