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croit qu'on vient l'enlever une feconde fois; & fa fille toute tremblante le ferre dans fes bras, avec des cris perçans. Mon pere, dit-elle, ah mon pere! faut-il encore nous féparer !

A l'inftant même on vient leur dire que la cour du Château fe remplit d'hommes armés, qui environnent un char. Bélifaire fe montre; & le Chef des Bulgares l'abordant avec fes captifs, Héros de la Thrace, lui dit-il, voilà deux hommes qui te réclament, & qui fe difent tes amis. Qu'ils fe nomment, dit Bélifaire. Je fuis Tibére, dit l'un d'eux, & mon pere eft pris avec moi. Oui, s'écria Bélifaire, oui fans doute, ce font mes voifms, mes amis. Mais vous, qui me les amenez, de quel droit font-ils en vos mains? Qui êtes-vous? Nous fommes Bulgares, dit le Chef; & nos droits font les droits des armes. Mais il n'eft rien qui ne céde au refpect que nous avons pour toi. Ce feroit mal fervir un Prince qui t'honore, que do

A

manquer d'égards pour ceux qui te font chers. Grand homme, tes amis font libres, & ils te doivent leur liberté.

A ces mots l'Empereur & Tibére tendirent les bras à leur Libérateur; & Bélifaire fe fentant enveloppé de leurs chaînes, Quoi, dit-il, vos mains font captives! & il détacha leurs liens.

Quels furent dans l'ame de l'Empereur l'étonnement, la joie & la confufion! O vertu, dit-il, en lui-même, Ô vertu, quel eft ton pouvoir! Un pauvre aveugle, du fond de fa mifere, imprime le refpect aux Rois! défarme les mains des barbares! & rompt les chaînes de celui !..... Grand Dieu ! i l'univers voyoit ma honte !..... Ah! ce feroit en-core un châtiment trop doux.

Les Bulgares vouloient lui rendre tout ce qu'il leur avoit donné. Non, leur ditil, gardez ces dons, & foyez fûrs que j'y joindrai la rançon qui vous eft pro

mife.

Leur Chef, en quittant Bélisaire,

lui

demanda s'il ne le chargeoit d'aucun ordre auprès de fon Roi. Dites-lui que je fais des vœux, répondit le Héros, pour qu'un fi vaillant Prince foit l'allié de ma Patrie, & l'ami de mon Empereur.

O Bélifaire! s'écria Justinien, quand il fut revenu du trouble que ce péril lui avoit caufé, ô Bélifaire ! quel afcendant vous avez fur l'ame des peuples ! les ennemis mêmes de l'Empire font vos amis! Ne vous étonnez pas, lui dit Bélifaire en fouriant, de mon crédit chez les Bulgares. Je fuis fort bien avec leur Roi. Il y a même très-peu de jours que nous avons foupé enfemble. Où donc, lui demanda Tibére? Dans fa tente, dit le vieillard : j'ai oublié de vous le dire. Lorsque je me rendois ici, ils m'ont arrêté comme vous fur la route, & ils m'ont mené dans leur camp. Leur Roi m'a bien reçu, m'a donné à fouper, m'a fait coucher fous fes pavillons; & le lendemain je me fuis fait remettre au lieu même où l'on m'avoit

pris. Quoi, dit Juftinien, ce Roi fçait qui vous êtes, & il ne vous a pas retenu! Il en avoit bien quelque envie, dit Bélifaire; mais fes vues & mes principes ne fe font pas trouvés d'accord. II me parloit de me venger! Me venger, moi! la digne cause pour mettre mon pays en feu je l'ai remercié, comme vous croyez bien; & il m'en eftime davantage.

Ah! quels remors! Quels remors éternels pour l'ame de Juftinien, lui dit Juftinien lui-même, s'il fçait jamais quel a été l'excès de fon ingratitude! Où trouvera-t-il un ami comme celui qu'il a perdu ? Et n'eft-il pas indigne d'en avoir jamais, après fon horrible injuftice?

Non, reprit Bélifaire, ne l'outragez pas. Plaignez, respectez fa vieilleffe. Vous allez voir comment il a été furpris. Ma ruine a eu trois époques. La premiere fut mon entrée dans Carthage. Maître du Palais de Gelimer, je fis de

fon trône un Tribunal où je fiégeai pour rendre la justice. Mon intention étoit de donner aux loix un appareil plus impofant; mais on n'étoit pas obligé de lire dans ma pensée ; & lorsqu'on s'affied fur un trône, on a bien l'air de l'effayer. Je fis donc là une imprudence: ce ne fut pas la feule. J'eus la curiofité de me faire fervir à la table de Gelimer, & à la maniere des Vandales par les Officiers de leur Roi. C'en fut allez pour faire croire que je voulois prendre fa place. Le bruit en courut à la Cour. Pour le détruire, je demandai mon retour après ma victoire ; & Juftinien récompenfa ma fidélité par le plus beau triomphe. Je menois Gelimer captif, avec sa femme & fes enfans, & les tréfors accumulés que les Vandales, depuis un fiècle, avoient ravis aux nations. L'Empereur me reçut dans le Cirque; & en le voyant fur ce trône élevé qu'en touroit un peuple innombrable, tendre la main à fon fujet, avec une grace mê

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