Images de page
PDF
ePub

» avantage de faire de grandes chofes, » & de les célébrer dignement «. C'est un Roi qui reconnoit que la gloire des Nations eft dans les mains des gens de lettres.

Mais, il faut l'avouer, ceux-ci ont trop fouvent oublié la dignité de leur état; & leurs éloges proftitués aux crimes heureux, ont fait de grands maux à la terre.

Demandez à Virgile quel étoit le droit des Romains fur le refte des hommes; il vous répond hardiment,

Parcere fubjeétis, & debellare fuperbos.

pen

Demandez à Solis ce qu'on doit fer de Cortès & de Montézuma, des Mexiquains & des Espagnols: il vous répond que Cortès étoit un héros, & Montézuma un tyran; que les Mexiquains étoient des barbares, & les Efpagnols des gens de bien.

En écrivant, on adopte un perfonnage, une Patrie ;

& il femble qu'il

n'y ait plus rien au monde, ou que tout foit fait pour eux feuls. La Patrie d'un fage eft la terre, fon héros eft le humain.

genre

Qu'un Courtifan foit un flatteur, fon état l'excufe en quelque forte, & le rend moins dangereux. On doit fe défier de fon témoignage : il n'est pas libre. Mais qui oblige l'homme de lettres à fe trahir lui-même & fes femblables, la nature & la vérité ?

Ce n'est pas tant la crainte, l'intérêt, la baffeffe, que l'éblouiffement, l'illufion, l'enthousiasme, qui ont porté les gens de lettres à décerner la gloire aux forfaits éclatans. On eft frappé d'une force d'efprit ou d'ame, furprenante dans les grands crimes, comme dans les grandes vertus. Les imaginations vives n'en ont vu l'explosion que comme un développement prodigieux des refforts de la nature, comme un tableau magnifique à peindre. En admirant la caufe, on a loué les effets: ainfi les tyrans de

la terre en font devenus les héros.

Les hommes nés pour la gloire, l'ont cherchée où l'opinion l'avoit mife. Alexandre avoit fans ceffe devant les yeux la fable d'Achille; Charles XII, l'hiftoire d'Alexandre : de-là cette émulation funefte qui, de deux Rois pleins de valeur & de talens, fit deux guerriers impitoyables. Le roman de QuinteCurce a peut-être fait les malheurs de la Suéde; le poëme d'Homére, les malheurs de l'Inde; puiffe l'histoire de Charles XII ne perpétuer que fes ver

tus!

Le Sage feul eft bon poëte, difoient les Stoïciens. Ils avoient raifon : fans

un efprit droit & une ame pure, l'imagination n'eft qu'une Circé, & l'harmonie qu'une Sirene.

-Il en eft de l'Hiftorien & de l'Orateur comme du Poëte : éclairés & vertueux, ce font les organes de la juftice, les flambeaux de la vérité; paffionnés & corrompus, ce ne font plus que les

courtisans de la profpérité, les vils adulateurs du crime.

Les Philofophes ont ufé de leurs droits, & parlé de la gloire en maî

tres.

[ocr errors]

Sçavez-vous (dit Pline à Trajan) » où réfide la gloire véritable, la gloire » immortelle d'un Souverain? Les arcs de triomphe, les ftatues, les temples » même & les autels, font démolis par le tems; l'oubli les efface de la terre. » Mais la gloire d'un Héros, qui, fupé»rieur à fa puissance illimitée, fçait la dompter & y mettre un frein, cette gloire inaltérable flcurira même en » vieilliffant ".

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» En quoi reffembloit à Hercule ce jeune infenfé qui prétendoit fuivre fes » traces (dit Sénéque en parlant d'A»lexandre) lui qui cherchoit la gloire » fans en connoître ni la nature ni les limites, & qui n'avoit pour vertu » qu'une heureuse témérité? Hercule ne vainquit jamais pour lui-même; il

[ocr errors]

دو

[ocr errors]

traverfa le monde pour le

venger, &

[ocr errors]

» non pour l'envahir. Qu'avoit-il befoin de conquêtes, ce Héros l'ennemi » des méchans, le vengeur des bons, » le pacificateur de la terre & des mers? Mais Alexandre, enclin dès l'enfance à la rapine, fut le défolateur des Nations, le fléau de fes amis & de fes > ennemis. Il faifoit confifter le fouverain bien à fe rendre redoutal le à » tous les hommes; il oublioit que cet » avantage lui étoit commun, non feu»lement avec les plus féroces, mais encore avec les plus lâches & les plus » vils des animaux, qui fe font craindre * par leur venin ".

[ocr errors]

C'eft ainfi que les hommes, nés pour inftruire & pour juger les autres hommes, devroient leur préfenter fans ceffe en oppofition, la valeur protectrice & la valeur destructive, pour leur apprendre à diftinguer le culte de l'amour, de celui de la crainte, qu'ils confondent le plus fouvent.

« PrécédentContinuer »