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Mais dans un Etat Monarchique bien constitué, où la plénitude de l'autorité réfide dans un feul, fans jaloufie & fans partage, où par conféquent toute la puiffance du Souverain eft dans la ri→ cheffe, le bonheur & la fidélité de fes Sujets, le Prince n'a aucune raifon de furprendre le peuple: le peuple n'a aucune raifon de fe défier du Prince : les Grands ne peuvent fervir, ni trahir l'un fans l'autre ; ce feroit même en eux une fureur abfurde que de porter le Prince à la tyrannie, ou le peuple a la révolte. Premiers Sujets, premiers Citoyens, ils font efclaves fi l'Etat de vient Defpotique; ils retombent dans la foule, fi l'Etat devient Républicain: ils tiennent donc au Prince par leur fupériorité fur le peuple: ils tiennent au peuple par leur dépendance du Prince, & par-tout ce qui leur eft commun avec le peuple, liberté, proprié→ té, fûreté, &c. Ainfi les Grands font attachés à la Conftitution monarchique

par intérêt & par devoir, deux liens indiffolubles lorfqu'ils font entrelacés.

Cependant l'ambition des Grands femble devoir tendre à l'Ariftocratie. Mais quand le peuple s'y laifferoit conduire, la fimple nobleffe s'y opposeroit, à moins qu'elle ne fût admife au partage de l'autorité : condition qui donneroit aux premiers de l'Etat vingt mille égaux au lieu d'un maître, & à laquelle par conféquent il ne fe réfoudront jamais car l'orgueil de dominer, qui fait feul les révolutions, fouffre bien moins impatiemment la fupériorité d'un feul, que l'égalité d'un grand nombre.

Le défordre le plus effroyable de la Monarchie, c'eft que les Grands parvien nent à ufurper l'autorité qui leur eft confiée, & qu'ils tournent contre le Prince, & contre l'Etat lui-même, les forces de l'Etat, déchiré par les factions. Telle étoit la fituation de la France, lorfque le Cardinal de Richelieu, ce génie

hardi & vafte, ramena les Grands fous l'obéiffance du Prince, & les peuples fous la protection de la loi. On lui remais proche d'avoir été trop loin; peutêtre n'avoit-il pás d'autres moyens d'affermir la Monarchie, de rétablir dans fa direction naturelle ce grand arbre par l'orage, que de le plier dans le fens oppofé.

courbé

La France formoit autrefois un gouvernement fédératif tres-mal combiné, & fans ceffe en guerre avec lui-même. Depuis Louis XI tous ces Co - Etats avoient été réunis en un; mais les grands Vaffaux confervoient encore dans leurs Domaines l'autorité qu'ils avoient eue fous leurs premiers Souverains ; & les Gouverneurs, qui avoient pris la place de ces Souverains, s'en attribuoient la puiffance. Ces deux partis oppofoient à l'autorité du Monarque des obftacles qu'il falloit vaincre. Le moyen le plus doux, & par conféquent le plus fage, étoit d'attirer à la Cour ceux qui, dans

l'éloignement, & au milieu des peuples accoutumés à leur obéir, s'étoient rendus fi redoutables. Le Prince fit briller les diftinctions & les graces; les Grands accoururent en foule; les Gouverneurs furent captivés, leur autorité perfonnelle s'évanouit en leur abfence; leurs Gouvernemens héréditaires devinrent amovibles, & l'on s'affura de leurs fucceffeurs; les Seigneurs oublierent leurs Vaffaux, & ils en furent oubliés; leurs Domaines furent divifés, aliénés, dégradés infenfiblement, & il ne refta plus du gouvernement féodal que des

blafons & des ruines.

Ainsi la qualité de Grand de la Cour n'eft plus qu'une foible image de la qualité de Grand du Royaume. Quelques-uns doivent cette diftinction à leur naissance. La plûpart ne la doivent qu'à la volonté du Souverain; car la volonté du Souverain fait les Grands, comme elle fait les Nobles, & rend la Grandeur ou perfonnelle, ou héréditaire à

fon gré. Nous difons perfonnelle ou héréditaire, pour donner au titre de Grand toute l'étendue qu'il peut avoir; mais on ne doit l'entendre à la rigueur que de la Grandeur héréditaire, telle que les Princes du Sang la tiennent de leur naiffance, & les Ducs & Pairs de la volonté de nos Rois. Les premieres places de l'Etat s'appellent dignités dans l'Eglife & dans la Robe, grades dans l'épée, places dans le Ministére, Charges dans la Maison Royale; mais le titre de Grand, dans fon étroite acception, ne convient qu'aux Pairs du Royaume.

Cette réduction du gouvernement féodal à une grandeur qui n'en eft plus que l'ombre, a dû coûter cher à l'Etat ; mais à quelque prix qu'on achéte l'unité du pouvoir & de l'obéiffance, l'avantage de n'être plus en bute au caprice aveugle & tyrannique de l'autorité fiduciaire, le bonheur de vivre fous la tutele inviolable des loix, toujours prê

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