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vail & de l'induftrie, fouler aux pieds. toutes les loix de la nature & de l'équité, & chercher dans la destruction une fubfiftance incertaine. Penfez avec effroi, Seigneur, que pour ravager nos campagnes, il faut laiffer les vôtres fans Laboureurs & fans moiffons; que pour nourrir une portion de l'humanité, il faut en égorger une autre ; & que votre peuple lui-même arrofe de fon fang les pays qu'il vient défoler. Hé quoi, la guerre, dit le Bulgare, n'eft- elle pas chez vous la même ? Non, dit Bélifaire & le but de nos armes, c'eft la paix après la victoire, & la félicité pour gage de la paix. Il eft aifé, dit le Bulgare, d'être généreux quand on eft le plus fort. N'en parlons plus. J'honore en toi, illuftre & malheureux vieillard, cette fidélité digne d'un autre prix. Repofe près de

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moi cette nuit dans ma tente. Tu diras. demain où tu veux que je te fasse remmener. Où l'on m'a pris, dit Bélifaire; & il dormit tranquillement.

Le lendemain le Roi des Bulgares, en prenant congé du Héros, voulut le combler de préfens. C'est la dépouille de ma patrie que vous m'offrez, lui dit Bélifaire vous rougiriez pour moi de m'en voir revêtu. Il n'accepta que de quoi fe nourrir lui & fon guide fur la route; & la même escorte le remit où elle l'avoit rencontré.

CHAPITRE IV.

IL n'étoit plus qu'à douze milles du Château ou fa famille s'étoit retirée ; mais fatigué d'une longue courfe, il demanda à son jeune guide s'il ne voyoit pas devant lui quelque village où fe repofer. J'en vois un, lui dit celui-ci ; mais il eft éloigné faites-vous y conduire. Non, dit le Héros, je l'exposerois à être pillé par ces gens-là; & il renvoya fon escorte.

lui

arrivé au village, il fut furpris d'entendre, Le voilà, c'eft lui, c'est lui-même. Qu'est-ce ? demanda-t-il : C'est toute une famille qui vient au devant de vous, répondit fon conducteur. Dans ce moment un vieillard s'avance. Seigneur, dit-il à Bélifaire en l'abordant, pouvons-nous fçavoir qui vous êtes? Vous voyez bien, répondit Bélifaire, que je fuis un pauvre, & non pas un Seigneur.

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hélas ! C'eft ce qui nous

Un pauvre, confond, reprit le payfan, s'il eft vrai, comme on nous l'a dit, que vous foyez Bélifaire. Mon ami, lui dit le Héros parlez plus bas; & fi ma mifere vous touche, donnez-moi l'hofpitalité. A peine il achevoit ces mots, qu'il fe fentit embraffer les genoux; mais il releva bien vîte le bon homme, & fe fit conduire fous fon humble toit.

Mes enfans, dit le payfan à fes deux filles & à fon fils, tombez aux pieds de ce Héros. C'est lui qui nous a fauvés du ravage des Huns. Sans lui le toit que nous habitons auroit été réduit en cendre; fans lui vous auriez vu votre pere égorgé & vos enfans menés en efclavage; fans lui, mes filles, vous n'auriez peut-être jamais ofé lever les yeux : vous lui devez plus que la vie. Refpectez-le encore davantage dans l'état où vous le voyez ; & pleurez fur votre patrie.

Bélifaire, ému jufqu'au fond de l'ame, d'entendre autour de lui cette famille

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reconnoiffante le combler de bénédictions ne repondoit à ces transports qu'en preffant tour à tour dans fes bras le pere & les enfans. Seigneur, lui dirent les deux femmes, recevez auffi dans votre fein ces deux innocens dont vous êtes le fecond pere. Nous leur rappellerons fans ceffe le bonheur qu'ils auront eu de baifer leur libérateur, & de recevoir fes careffes. A ces mots, l'une & l'autre mere lui présenta fon fils, le mit fur fes genoux; & ces deux enfans fouriant au Héros, & lui tendant leurs foibles mains, fembloient auffi lui rendre graces. Ah! dit Bélifaire à ces bonnes gens, me trouvez-vous encore à plaindre ? Et croyez-vous qu'il y ait au monde en ce moment un mortel plus heureux que moi? Mais dites-moi qui m'a fait connoître. Hier, lui dit le pere de famille, un jeune Seigneur nous demanda fi nous n'avions pas vu paffer un vieillard qu'il nous dépeignit. Nous lui répondimes que non. Hé bien, nous dit

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