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il, veillez à fon paffage, & dites - lui qu'un ami l'attend dans le lieu où il doit fe rendre. Il manque de tout; ayez foin, je vous prie, de pourvoir à tous fes befoins. A mon retour je reconnoîtrai ce que vous aurez fait pour lui. Nous répondimes que chacun de nous étoit occupé, ou du travail des champs, ou des foins du ménage, & que nous n'avions pas le loifir de prendre garde aux paffans. Quittez tout plutôt, nous ditil, que de manquer de rendre à ce vieillard ce que vous lui devez. C'est votre Défenfeur, votre Libérateur, c'est Bélifaire enfin que je vous recommande; & il nous conta vos malheurs. A ce nom, qui nous eft fi cher, jugez de notre impatience. Mon fils a veillé toute la nuit à attendre fon Général, car il a eu l'honneur de fervir fous vos drapeaux quand vous avez délivré la Thrace; mes filles, dès le point du jour, ont été fur le feuil de la porte. A la fin nous vous poffédons. Difpofez de nous, de nos biens

ils font à vous. Le jeune Seigneur qui vous attend vous en offrira davantage, mais non pas de meilleur cœur, que nous le peu que nous avons.

Tandis

gage, le fils,

que le pere lui tenoit ce lanle fils, debout devant le Héros, le regardoit d'un air pensif, les mains jointes, la tête baiffée, la confternation, la pitié, & le respect fur le visage.

Mon ami, dit Bélifaire au vieillard je vous rends grace de votre bonne volonté. J'ai de quoi me conduire jufqu'à mon afyle. Mais dites-moi fi vous êtes auffi heureux que bienfaifant. Votre fils a fervi fous moi; je m'intéreffe à lui. Eft-il fage? Eft-il laborieux? Eft-il bon mari & bon pere? Il fait, répondit le vieillard attendri, ma confolation & ma joie. Il s'eft retiré du service, à la mort de fon frere aîné, couvert de blessures honorables; il me foulage dans mes travaux; il est l'appui de ma vieilleffe ; il a épousé la fille de mon ami; le ciel a béni cette union. Il eft vif; mais fa fem

me eft douce. Ma fille, que voilà, n'eft pas moins heureuse. Je lui ai donné un mari jeune, fage & homme de bien, qu'elle aime & dont elle est aimée. Tout cela travaille à l'envi, & me fait de petits neveux, dans lefquels je me vois revivre. J'approche de ma tombe avec moins de regret, en fongeant qu'ils m'aimeront encore, & qu'ils me béniront quand je ne ferai plus. Ah mon ami, lui dit Bélifaire, que je vous porte envie J'avois deux fils, ma plus belle efpérance; je les ai vu mourir à mes côtés. Dans ma vieilleffe il ne me refte qu'une fille, hélas, trop fenfible pour fon malheur & pour le mien. Mais le ciel foit loué mes deux enfans font morts en combattant pour la patrie. Ces dernieres paroles du Héros acheverent de déchirer l'ame du jeune homme qui l'écoutoit.

On fervit un repas champêtre : Bélifaire y répandit la joie, en faisant fentir à ces bonnes gens le prix de leur

obfcurité tranquille. C'est, disoit-il, l'état le plus heureux, & pourtant le moins envié, tant les vrais biens font peu connus des hommes.

Pendant ce repas le fils de la maison, muet, rêveur, préoccupé, avoit les yeux fixés fur Bélifaire ; & plus il l'observoit plus fon air devenoit fombre, & fon regard farouche. Voilà mon fils, difoit le vieux bon homme, qui fe rappelle vos campagnes. Il vous regarde avec des yeux ardens. Il a de la peine, dit le Héros, à reconnoître fon Général. On a bien fait ce qu'on a pu, dit le jeune homme, pour le rendre méconnoissable; mais fes Soldats l'ont trop présent pour le méconnoître jamais.

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Quand Bélifaire prit congé de fes hôtes, Mon Général, lui dit le même, permettez-moi de vous accompagner quelques pas d'ici. Et dès qu'ils furent en chemin, Souffrez, lui dit-il, que votre guide nous devance : j'ai à vous parler fans témoin. Je fuis indigné,

mon Général, du miférable état où l'on vous a réduit. C'est un exemple effroyable d'ingratitude & de lâcheté. Il me fait prendre ma patrie en horreur; & autant j'étois fier, autant je fuis honteux d'avoir verfé mon fang pour elle. Je hais les lieux où je fuis né, & je regarde avec pitié les enfans que j'ai mis au monde. Hé mon ami, lui dit le Héros,

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dans quel pays ne voit-on jamais les gens de bien victimes des méchans? Non, dit le Villageois, ceci n'a point d'exemple. Il y a dans votre malheur quelque chofe d'inconcevable. Ditesmoi quel en est l'auteur. J'ai une femme & des enfans; mais je les recommande à Dieu & à mon pere; & je vais arracher le cœur au traître qui.... Ah! mon enfant, s'écria Bélifaire, en le ferrant dans fes bras, la pitié t'aveugle & t'égare. Moi, je ferois d'un brave homme un perfide! d'un bon Soldat un affaffin ! d'un pere, d'un époux, d'un fils vertueux & fenfible un fcélérat, un forcené!

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