Images de page
PDF
ePub

Cour,Madame, lui dit-elle, en fe jetgenoux, Bélifaire a eu plus

tant à fes

d'une fois le bonnheur de fauver l'Em

pire, il demande pour récompenfe que le crime qu'on lui impute lui foit déclaré hautement, & qu'on oblige fes ennemis à l'accufer en face, au Tribunal de l'Empereur. La liberté de les confondre eft la feule grace qui foit digne de lui. Théodore lui fit figne de fe lever, & lui répondit avec un front de glace : Si Bélifaire eft innocent, il n'a rien à craindre; s'il eft coupable, il connoit assez la clémence de fon Maître, pour fçavoir comment le fléchir. Allez, Madame ; je n'oublierai point que vous avez eu part à mes bontés. Ce froid accueil, ce congé brufque avoit accablé Antonine. Pâle & tremblante elle s'éloigna, fans que perfonne osât lever les yeux fur elle; & Barfamès, qu'elle rencontra, paffoit luimême fans la voir, fi elle ne l'eût abordé. C'étoit l'Intendant des Finances, le favori de Théodore. Antonine le fupplia

de vouloir bien lui dire quel étoit le crime dont on accufoit Bélifaire. Moi, Madame, lui dit-il ? Je ne fçais rien, je ne puis rien, je ne me mêle de rien que de mon devoir. Si chacun en faifoit autant, tout le monde feroit tranquille. Ah! le complot eft formé, dit-elle & Bélifaire eft perdu. Plus loin elle rencontra un homme qui lui devoit fa fortune, & qui la veille lui étoit tout dévoué. Elle veut lui parler; mais fans daigner l'entendre, Je fçais vos malheurs lui dit-il, & j'en fuis défolé; mais pardon : j'ai une grace à folliciter; je n'ai pas un moment à perdre. Adieu Madame; perfonne au monde ne vous eft plus attaché que moi. Elle alla retrouver fa fille; & une heure après on lui annonça qu'il falloit fortir de la Ville, & fe rendre à ce vieux Château qui fut marqué pour leur exil.

La vue de ce Château folitaire & ruiné, où Antonine fe voyoit comme enfevelie, acheva de la défoler. Elle y

[ocr errors]

tomba malade en arrivant ; & l'ame fenfible d'Eudoxe fut déchirée entre un pere accufé, détenu dans les fers, livré en proie à fes ennemis, & une mere dont la vie, empoifonnée par le chagrin, n'annonçoit plus qu'une mort lente. Les jours, les plus beaux jours de cette aimable fille étoient remplis par les tendres foins qu'elle rendoit à fa mere ; fes nuits fe paffoient dans les larmes ; & les momens que la nature en déroboit à la douleur, pour les donner au

Sommeil, étoient troublés par d'effroyables fonges. L'image de fon pere au fond d'un cachot, courbé fous le poids de fes fers, la pourfuivoit fans ceffe ; & les funeftes preffentimens de fa mere redoubloient encore fa frayeur.

La connoiffance profonde & terrible qu'Antonine avoit de la Cour, lui faifoit voir la haine & la rage déchaînées contre fon époux. Quel triomphe, difoit-elle, pour tous ces lâches envieux, que, depuis tant d'années, le bonheur

d'un

d'un homme vertueux humilie & tourmente, quel triomphe pour eux de le voir accablé ! Je me peins le fourire de la malignité, l'air mystérieux de la calomnie, qui feint de ne pas dire tout ce qu'elle fçait, & femble vouloir ménager l'infortuné qu'elle affaffine. Ces vils flatteurs, ces complaisans si bas, je les vois tous, je les entends infulter à notre ruine. O ma fille! dans ton malheur tu as du moins la confolation de n'avoir point de reproche à te faire ; & moi, j'ai à rougir de mon bonheur paffé, plus que de mes calamités préfentes. Les fages leçons de ton pere m'importunoient : il avoit beau me recommander de fuir les piéges de la Cour, de mettre ma gloire & ma dignité dans des mœurs fimples & modeftes, de chercher la paix & le bonheur dans l'intérieur de ma maison, & de renoncer à un esclavage dont la honte feroit le prix ; j'appellois humeur fa triste prévoyance, je m'en plaignois à fes ennemis. Quel égarement! quel

C

affreux retour! C'eft un coup de foudre qui m'éclaire ; je ne vois l'abîme qu'en y tombant. Si tu fçavois, ma fille, avec quelle froideur l'Impératrice m'a renvoyée, elle à qui mon ame étoit affervie, elle dont les fantaifies étoient mes feules volontés ! Et cette Cour, qui la veille me fourioit d'un air fi complaifant!... Ames cruelles & perfides !..... Aucun, dès qu'on m'a vu fortir, les yeux baiffés & pleins de larmes, aucun n'a daigné m'aborder. Le malheur est pour eux comme une pefte, qui les fait reculer d'effroi.

Telles étoient les réflexions de cette femme , que fa chûte , en la détrompant de la Cour, n'en avoit pas détachée, & qui aimoit encore ce qu'elle méprifoit.

Un an écoulé, rien ne tranfpiroit du procès de Bélifaire. On avoit découvert une confpiration; on l'accufoir de l'avoir tramée; & la voix de fes ennemis, qu'on appelloit la voix publique, le

[ocr errors]
« PrécédentContinuer »