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chargeoit de cet attentat. Les Chefs obftinés au filence, avoient péri dans les fupplices, fans nommer l'auteur du complot; c'étoit la feule préfomption que l'on eût contre Bélifaire: auffi, manque de preuve, le laissoit-on languir ; & l'on efpéroit que fa mort difpenferoit de le convaincre.Cependant ceux de ses vieux Soldats qui étoient répandus parmi le peuple, redemandoient leur Général, & répondoient de fon innocence. Ils fouleverent la multitude, & menacerent de forcer les prifons, s'il n'étoit mis en liberté. Ce foulevement irrita l'Empé reur; & Théodore ayant faifi l'inftant où la colére le rendoit injufte, Hé bien, dit-elle, qu'on le leur rende, mais hors d'état de les commander. Ce Confeil affreux prévalut : ce fut l'arrêt de Bélifaire.

Dès que le peuple le vit fortir de fa prifon, les yeux crevés, ce ne fut qu'un cri de douleur & de rage. Mais Bélifaire l'appaisa. Mes enfans, leur dit-il, l'Em

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pereur a été trompé : tout homme est fujet a l'être il faut le plaindre & le fervir. Mon innocence eft le feul bien qui me refte; laiffez la moi. Votre révolte ne me rendroit pas ce que j'ai perdu; elle m'ôteroit ce qui me confole de cette perte. Ces mots calmerent les efprits. Le peuple offrit à Bélifaire tout ce qu'il poffédoit; Bélifaire lui rendit grace. Donnez-moi feulement, dit il un de vos enfans, pour me conduire où ma famille m'attend.

Son aventure avec les Bulgares l'ayant détourné de fa route, Tibére l'avoit devancé. Le bruit d'un char, dans la cour du Château, avoit fait treffaillir Antonine & Eudoxe : celle-ci avoit accouru, le cœur faifi & palpitant; mais hélas ! au lieu de fon pere, ne voyant qu'un jeune inconnu elle retourne vers fa mere. Ce n'est pas lui, dit-elle en foupirant.

Un vieux Domestique de la maison, appellé Anfelme, ayant abordé Tibére,

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Tibére lui demande fi ce 'n'eft point là que Bélifaire eft retiré. C'est ici que fa femme & fa fille l'attendent, répondit le fidéle Anfelme; mais leur efpérance eft tous les jours trompée. Hé plut au ciel moi-même être à fa place, & le fçavoir en liberté il eft en liberté, lui dit Tibére; il vient ; vous l'allez bientôt voir il devroit même être arrivé.-Ah! venez donc, venez donner cette bonne nouvelle à fa famille. Je vais vous annoncer. Madame, s'écria-t-il, en courant vers Antonine, réjouiffez-vous. Mon bon Maître eft vivant; il eft libre; il vous est rendu. Un jeune homme eft là qui l'affure, & qui croyoit le retrouver ici. A ces mots, toutes les forces d'Antonine se ranimerent. Où est-il, cet étranger ce mortel généreux, qui s'intéreffe à nos malheurs ? Qu'il vienne, ah ! qu'il vienne, dit-elle. Non, plus de malheurs s'écria Eudoxe, en fe jettant fur le lit de fa mere, & en la preffant dans fes bras. Mon pere eft vivant; il eft en liberté;

nous l'allons revoir. Ah, ma mere! oublions nos peines. Le ciel nous aime; il nous réunit.

Me rendez-vous la vie, demanda Antonine à Tibére? Eft-il bien vrai que mon époux triomphe de fes ennemis ?. Le jeune homme pénétré de douleur, de n'avoir à leur donner qu'une fauffe joie, répondit, qu'en effet Bélifaire étoit libre, qu'il l'avoit vu, qu'il lui avoit parlé; & que le croyant rendu auprès de fa famille, il venoit lui offrir les fervices d'un bon voifin.

Eudoxe, qui avoit les yeux attachés fur Tibére, fut frappée de l'air de tristeffe qu'il tâchoit de diffimuler. Vous portez, lui dit-elle, dans notre exil la plus douce confolation ; & loin de jouir du bien que vous nous faites, vous femblez renfermer quelque chagrin profond! Eft-ce notre mifére qui vous afflige? Ah! que mon pere arrive, qu'il rende la fanté à cette moitié de lui-même ; & vous verrez fi l'on a befoin de richeffe pour être heureux.

La nature dans ces momens eft fi touchante par elle-même, qu'Eudoxe n'eut befoin que de fes fentimens pour attendrir & pour charmer Tibére. Il ne vit point fi elle étoit belle; il ne vit qu'une fille vertueufe & tendre, que fon courage, fa piété, fon amour pour fon pere élevoit au-deffus du malheur. Ne prenez point, Madame, lui dit-il, ce fentiment que je ne puis cacher, pour une pitié offenfante. Dans quelque état que Bélifaire & fa famille foient réduits, leur infortune même fera digne d'envie. Que parlez-vous d'infortune, reprit la mere ? Si on a rendu à mon époux la liberté, on a reconnu fon innocence ; il faut donc qu'il foit rétabli dans fes honneurs & dans fes biens.

Madame, lui dit Tibére, ce feroit vous préparer une surprise trop cruelle, que de vous flatter fur fa fituation. Il n'a dû fa délivrance qu'à l'amour du peuple. C'est à la crainte d'un fouléve-ment qu'on a cédé; mais en y cédant,

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