Images de page
PDF
ePub

fes larmes ; & tantôt repouffant fa fille avec effroi, Meurs, lui difoit-elle ; il n'y a dans la vie de fuccès que pour les méchans, de bonheur que pour les infâmes.

De cet accès elle tomba dans un abatement mortel; & ces violens efforts de la nature ayant achevé de l'affoiblir, elle expira quelques heures après.

Un vieillard aveuglé, une femme morte, une fille au défespoir, des larmes, des cris, des gémiffemens, & pour comble de maux, l'abandon, la folitude & l'indigence, tel eft l'état où la fortune préfente aux yeux de Tibére une maison trente ans comblée de gloire & de profpérité. Ah, dit-il, en fe rappellant les paroles d'un Sage, voilà donc le fpectacle auquel Dieu fe complaît l'homme jufte luttant contre l'adverfité, & la domptant par fon courage !

Bélifaire laiffa un libre cours à la douleur de fa fille, & lui-même il s'abandonna à toute fon affliction; mais après

avoir payé à la nature le tribut d'une ame fenfible, il fe releva de fon accablement avec la force d'un Héros.

Eudoxe étouffoit fes fanglots de peur de redoubler la douleur de fon pere. Mais le vieillard qui l'embraffoit fe fentoit baigné de ses pleurs. Tu te défoles, ma fille, lui dit-il, de ce qui doit nous affermir, & nous élever au-deffus des difgraces. Après avoir expié les erreurs de fa vie, ta mere jouit d'une éternelle paix; & c'eft elle à préfent qui nous plaint d'être obligés de lui furvivre. Cette froide immobilité, où elle laisse fa dépouille, annonce le calme où fon ame eft plongée. Vois comme tous les maux d'ici-bas font vains: un foufle, un inf tant les diffipe. La Cour & l'Empire ont difparu aux yeux de ta mere; & du sein de fon Dieu, elle ne voit ce monde que comme un point dans l'immensité. Voilà ce qui fait dans le malheur la confolation & la force du fage. Ah! don

[ocr errors]

nez la moi, cette force que la nature

me refufe, pour refifter à tant de maux. J'aurois fupporté la mifére; mais voir une mere adorée mourir de douleur dans mes bras ! Vous voir, mon pere, dans l'horrible état où la cruauté des hommes vous a mis !.... Ma fille, lui dit le Héros en me privant des yeux, ils n'ont fait que ce que la vieilleffe ou la mort alloit faire; & quant à ma fortune, tu en aurois mal joui, fi tu ne fçais pas t'en paffer. Ah, le ciel m'eft témoin, ditelle, que ce n'eft pas fa perte qui m'afflige. Ne t'afflige donc plus de rien, lui dit fon pere; & de fa main il effuya fes pleurs.

Bélifaire, inftruit qu'un jeune inconnu attendoit le moment de lui parler, le fit venir, & lui demanda ce qui l'amenoit. Ce n'eft pas le moment, lui dit Tibére, de vous offrir des confolations. Illuftre & malheureux vieillard, je refpecte votre douleur, je la partage, & je demande au ciel qu'il me permette de l'adoucir. Jufque-là, je n'ai qu'à mêler

mes larmes à celles que je vois répandre.

gna

le

corps

Bientôt vint le moment de rendre à Antonine les devoirs de la fépulture; & Bélifaire, appuyé fur fa fille, accompade fa femme au tombeau. La douleur du Héros étoit celle d'un Sage elle étoit profonde, mais fans éclat, & foutenue de majesté. Sur fon vifage étoit peint le deuil, mais un deuil filentieux & grave. Son front élevé, fans défier le fort, fembloit s'expofer à fes coups.

:

Tibére lui-même affifta à cette trifte cérémonie. Il fut témoin des regrets touchans qu'Eudoxe donnoit à fa mere, & il en revint pénétré.

Bélifaire alors s'adreffant à lui, Brave jeune homme, lui dit-il, c'est vous, je le vois, qui avez pris foin de me rẻcommander fur la route; apprenez-moi qui vous êtes, & ce qui peut m'attirer cet empreffement généreux. Je m'appelle Tibére, répondit le jeune homme: J'ai fervi fous Narsès en Italie ; j'ai fait

depuis la guerre de Colchide. Je fuis l'un de ces Chaffeurs à qui vous avez demandé l'afyle, & dont vous avez fi bien réprimé l'imprudence. Je n'ai pas eu de paix avec moi-même, que je ne fois venu vous demander pardon, & une grace encore plus chere. Je fuis riche : c'est un malheur peut-être ; mais fi vous vouliez, ce feroit un bien. J'ai près d'ici une maison de campagne; & toute mon ambition feroit de la confa crer, en en faifant l'afyle d'un Héros. Ma tendre vénération pour vous est un titre fi fimple, que je n'oferois m'en prévaloir il fuffit d'aimer la Patrie pour partager la difgrace de Bélifaire, & pour chercher à l'adoucir. Mais un intérêt digne de vous toucher, c'est le mien, c'est celui d'un jeune homme, qui défire paffionnément d'être admis dans l'intimité d'un Héros, & de puifer dans fon ame, comme à la fource de la fageffe, de la gloire & de la vertu.

Vous honorez trop ma vieilleffe, lui

« PrécédentContinuer »