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répondit Bélifaire; mais je reconnois une belle ame à la fenfibilité que vous témoignez pour mon malheur. Dans ce moment je défire d'être feul avec moimême mon ame ébranlée a besoin de fe raffermir en filence. Mais pour l'avenir, j'accepte une partie de ce que vous me propofez, le plaifir de vivre en bons voifins & de communiquerenfemble. J'aime la jeuneffe: l'ame encore neuve dans cet âge heureux, eft fufceptible des impreffions du bien; elle s'enflame & s'éleve au grand; & rien encore ne la retient captive. Venez me voir; je ferai bien aife de converfer

avec vous.

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Si vous me croyez digne de ce commerce, reprit Tibére, pourquoi ne le ferois-je pas de vous pofféder tout-à-fait ? Mes aïeux feront honorés de voir leur héritage devenir votre bien, & leur demeure votre afyle. Vous y ferez révéré, fervi avec un faint refpect par tout ce qui m'environne; & c'est à mon exem

ple qu'on s'empreffera de remplir ce pieux devoir.

Jeune homme, lui dit Bélifaire, vous êtes bon; mais ne faifons point d'imprudence. Dites-moi, car il y a dix ans que je vis éloigné du monde, quel est l'état de votre pere, & quelles & quelles vues il a fur vous. Nous fommes iffus, lui dit Tibére, de l'une de ces familles que Conftantin appella de Rome, & qu'il combla de bienfaits. Mon pere a fervi fous le regne de Juftin avec affez de diftinction. Il étoit eftimé & chéri de fon Maître. Sous le nouveau regne, on obtint fur lui des préférences qu'il croyoit injuftes: il fe retira il s'en eft repenti; & il a pour moi l'ambition qu'il n'eut pas affez pour lui-même. Il fuffit, lui dit Bélifaire je ne veux mettre aucun obftacle à l'avancement de fon fils. En fuivant le mouvement de votre cœur, vous ne fentez que le plaifir d'être généreux; & en effet c'eft une douce chofe. Mais je vois pour vous le danger de vous en

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velopper dans la difgrace d'un profcrit. Mon ami, que la Cour ait raifon, ou qu'elle ait tort, elle ne revient pas. Elle oublie un coupable qu'elle a puni; mais elle hait toujours un innocent qu'elle a facrifié; car fon nom feul eft un reproche, & fon existence péfe, comme un remors, à fes perfécuteurs.

Je me charge, dit le jeune homme, de juftifier ma conduite. L'Empereur a pu fe laiffer tromper; mais il fuffira qu'on l'éclaire.

Il ne faut

pas même y penser, dit le Héros le mal eft fait puiffe-t-il

:

l'oublier pour le repos de fa vieilleffe!

Hé bien donc, infifta Tibére, foyez encore plus généreux. Epargnez - lui le reproche éternel de vous avoir laiffé languir dans la mifére. L'indigne état où je vous vois, eft un fpectacle déshonorant pour l'humanité, honteux pour le trône, révoltant pour les gens de bien, & décourageant pour vos pareils.

Ceux qu'il découragera, répondit

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Bélifaire, ne feront point mes pareils. Je crois au furplus, comme vous, que mon état peut inspirer l'indignation avec la pitié. Un pauvre aveugle ne fait point d'ombrage, & peut faire compaffion. Auffi mon deffein eft-il de mé cacher & fi je me fuis fait connoître à vos compagnons, c'est un mouvemeut d'impatience contre de jeunes étourdis, qui m'a fait commettre cette imprudence. Ce fera la derniere de ma vie ; & mon afyle fera mon tombeau. Adieu. L'Empereur peut ne pas fçavoir que les Bulgares font dans la Thrace; ne négligez pas de l'en faire avertir.

Le jeune homme fe retira bien affligé de n'avoir pas mieux réufli; & il rendit à l'Empereur ce que lui avoit dit Bélifaire. Juftinien fit marcher quelques troupes; & peu de jours après on l'affura que les Bulgares avoient été chaffés. A préfent, dit-il à Tibére nous pouvons aller fans danger voir ce malheureux vieillard. Je pafferai pour votre

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pere; & vous aurez foin de ne rien dire qui puiffe le défabufer. Une maifon de plaifance, à moitié chemin de la retraite de Bélifaire, fut le lieu d'où l'Empereur fe dérobant aux yeux de fa Cour, alla le voir le lendemain.

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