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CHAPITRE VII.

VOILA OILA donc où habite celui qui m'a rendu tant de fois vainqueur! dit Juftinien, en avançant fous un vieux portique en ruine. Belifaire, à leur arrivée, fe leva pour les recevoir. L'Empereur, en voyant ce vieillard vénérable dans l'état où il l'avoit mis, fut pénétré de honte & de remords. Il jetta un cri de douleur, & s'appuyant fur Tibére, il se couvrit les yeux avec fes mains, comme indigne de voir le jour que Bélifaire ne voyoit plus. Quel cri viens-je d'éntendre, demanda le vieillard? C'est mon pere que je vous amene, dit Tibére, & que votre malheur touche sensiblement. Où eft-il, reprit Bélifaire, en tendant les mains? Qu'il approche, & que je l'embraffe ; car il a un fils vertueux. Juftinien fut obligé de recevoir les embraffemens de Bélifaire; & fe fentant

preffé contre son sein, il fut fi violemment ému, qu'il ne put retenir fes fanglots & fes larmes. Modérez, lui dit le Héros, cet excès de compaffion : je ne fuis peut-être pas auffi malheureux qu'il vous femble. Parlons de vous, & de ce jeune homme, qui vous donnera de la confolation dans vos vieux ans. Oui, dit l'Empereur en s'interrompant à chaque mot, oui.... fi vous daignez permettre... qu'il vienne recueillir les fruits de vos leçons. Et que lui apprendrois-je, dit le vieillard, qu'un pere fage & homme de bien n'ait pu lui apprendre avant moi? Ce que peut-être je connois le moins, dit l'Empereur, c'eft la Cour, c'est le pays où il doit vivre ; & depuis longtems j'ai fi peu communiqué avec des hommes, que le monde eft pour moi prefque auffi nouveau que pour lui. Mais vous qui avez vu les chofes fous tant de faces diverfes, de quel fecours ne lai ferez-vous pas, fi vous voulez bien l'éclairer? S'il vouloit apprendre à fixer

la fortune, dit Bélifaire, il s'adresseroit mal, comme vous voyez; mais s'il ne veut être qu'un homme de bien à fes périls & rifques, je puis lui être de quelque utilité. il est bien né, c'est l'effentiel. Il eft vrai, dit Juftinien, que fa nobleffe eft ancienne. Ce n'eft pas ce que j'ai voulu dire; mais cela même est un avantage, pourvu qu'on n'en abuse pas. Sçavez-vous, jeune homme, pourfuivit Bélifaire, ce que c'eft que la nobleffe? Ce font des avances que la Patrie vous fait, fur la parole de vos ancêtres, en attendant que vous foyez en état de faire honneur à vos garants. Et ces avances, dit l'Empereur, font quelquefois bien hazardées. N'importe, reprit le vieillard, ce n'en est pas moins une trèsbelle institution. Je crois voir, lorsqu'un enfant de noble origine vient au monde, foible, nud, indigent, imbécile, comme le fils d'un Laboureur, je crois voir la Patrie qui va le recevoir, & qui lui dit : Enfant je vous falue, vous qui me

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ferez dévoué, vous qui ferez vaillant, généreux, magnanime comme vos peres. Ils vous ont laiffé leur exemple; j'y joins leurs titres & leur rang, double raifon pour vous d'acquérir leurs vertus. Avouez, continua le vieillard, que parmi les actes les plus folemnels il n'y a rien de plus magnifique. Cela l'eft trop, dit Justinien. Quand on veut élever les ames, dit Bélifaire, il faut en agir grandement. Et puis, croyez vous qu'il n'y

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pas de l'économie dans cette magnificence? Ah! quand elle ne produiroit que deux ou trois grands hommes par génération, l'Etat n'auroit pas à fe plaindre il feroit bien dédommagé. Mon ami, dit-il au jeune homme, il faut que vous foyez l'un de ceux qui le dédommagent. Là, s'adreffant à l'Empereur, Vous m'avez permis, lui dit-il, de lui parler en pere? Ah je vous en conjure, lui dit Justinien. Hé bien, mon fils, commencez donc par vous perfuader que la noblesse est comme la flamme,

qui

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qui fe communique, mais qui s'éteint dès qu'elle manque d'aliment. Souvenez-vous de votre naiffance, puifqu'elle impofe des devoirs ; fouvenez-vous de vos aïeux, puisqu'ils font pour vous des exemples; mais gardez-vous de croire que la nature vous ait tranfmis leur gloire comme un héritage, dont vous n'ayez plus qu'à jouir; gardez-vous de cet orgueil impatient & jaloux qui, fur la foi d'un nom, prétend que tout lui céde & s'indigne des préférences que le mérite obtient fur lui. Comme l'ambition a un faux air de noblesse, elle se glisse aifément dans le cœur d'un homme bien né; mais cette passion, dans fes excès, a fa baffeffe tout commé une autre. Elle fe croit haute, parce qu'elle range audeffous d'elle tous les devoirs de l'honnête homme; & fi vous voulez fçavoir ce qu'elle en fait, regardez un oiseau de proie, planer le matin fur la campagne, & choifir d'un œil avide, entre mille animaux tremblans, celui dont il

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