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PRÉFACE

JE sçais, & je ne dois pas diffimuler qu'on peut regarder le fait fur lequel est établi le plan de ce petit Ouvrage, plutôt comme une opinion populaire, que comme une vérité hiftorique. Mais cette opinion a fi bien prévalu, & l'idée de Bélifaire aveugle & mendiant eft devenue fi familiere, qu'on ne peut guere penfer à lui, fans le voir comme je l'ai peint.

Sur tout le refte, à peu de chofe près, j'ai fuivi fidélement l'hiftoire, & Procope a été mon guide. Mais je n'ai eu aucun égard

a

à ce libelle calomnieux, qui lui eft attribué, sous le titre d'Anecdotes, ou d'Hiftoire fecrete. Il eft pour moi de toute évidence que cet amas informe d'injures groffieres & de fauffetés palpables, n'est point de lui, mais de quelque Déclamateur auffi mal adroit que méchant (a).

Aucun des Ecrivains du tems de Procope, aucun de ceux qui l'ont fuivi, dans l'intervalle de cinq cens ans, n'a parlé de ces Anecdotes. Agathias contemporain de Procope, en faisant l'énumération de fes Ouvrages, ne dit pas un mot de celui-ci. On le tenoit caché, me dira-t-on; Mais

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(a) On a foupçonné qu'il étoit d'un Avocat de Céfarée. Mém. de l'Acad. des Infcrip. & Belles Lett. T. 21.

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du moins, trois cens ans après, il auroit dû être public: le favant Photius auroit dû le connoître ; & il ne le connoiffoit pas. Suidas, Ecrivain du onzieme fiécle, eft le premier qui ait attribué à Procope cette fatyre méprisable; & le plus grand nombre des Savans ont répété fans difcuffion ce qu'en avoit dit Suidas (a). Quelques-uns cependant ont douté que ce Livre fût de Procope (b); il y en a même qui l'ont nié ; & de ce nombre eft Eichelius, dans la Préface & les remarques de l'édition qu'il en a donnée. Il commence par faire voir qu'il n'eft ni vrai, ni vraisemblable que Procope en foit l'Au

) Voffius, Grotius, &c.

(b) Le Pere Combefils, la Mothele-Vayer, &c..

teur; & en fuppofant qu'il le fût, il ajoute que dans une déclamation fi outrée, fi impudente & fi abfurde, il feroit indigne de foi. Ce qui me confond, c'eft que l'illuftre Auteur de l'efprit des Loix ait donné quelque croyance à un Libelle fi manifeftement fuppofé. Je fçais de quel poids est fon autorité; mais elle céde à l'évidence.

Le moyen de croire en effet qu'un homme d'Etat, eftimé de fon fiécle, pour le plaifir de diffamer ceux qui l'avoient comblé de biens, ait voulu fe diffamer lui-même, en réduifant la poftérité au choix, de le regarder comme un calomniateur atroce comme un lâche adulateur ? Le moyen de croire qu'un Ecrivain, jufque-là fi judicieux, eut perdu

ou

le fens & la pudeur, au point de vouloir qu'on prît, fur fa parole, pour un homme ébété, pour un ruftre imbécile (a), Justin, ce sage & vertueux vieillard, qui, de l'état le plus obfcur & des plus bas emplois de la Milice, étant monté aux plus hautes grades par fa valeur & fes talens, avoit fini par réunir les vœux du Sénat, du peuple & des armées, Empereur ? Le moyen de croire qu'un homme qui avoit écrit l'hiftoire de fon tems avec tant d'honnêteté, de décence & de fageffe,

ait

& par

être élu

pu dire de Justinien, qu'il étoit Stupide & pareffeux comme un âne, qui fe laiffe mener par le licou, en

(a) Infignis homo ftoliditatis, fummâ cum infantiâ fummáque cum rufticitate conjuncta.

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