Images de page
PDF
ePub

j'ai visité soigneusement les bibliothèques de Paris les plus riches en ces sortes de monumens; je n'ai pas laissé de pousser ma recherche dans les autres villes du royaume, autant qu'il a pu être permis à un homme de ma profession. Enfin, j'ai eu recours à mes amis et à mes confrères ; je les ai priés de fouiller dans leurs monastères, dans les cabinets des curieux, et généralement dans tous les endroits qui leur pourraient fournir quelque pièce propre à entrer dans le plan et la structure de mon ouvrage. Et certes, en cela j'ai sujet de me louer de la diligence de mes amis, et de me féliciter moi-même de l'heureux succès qu'a eu leur diligence. Car enfin, toutes choses ont réussi avec tant de bonheur et de conformité à mon dessein, que, hors quelques Actes qui n'avaient pas encore vu le jour, et qui le voient aujourd'hui pour la première fois, à peine y en a-t-il un ou deux qui n'aient été confrontés avec un ou plusieurs manuscrits, corrigés et revus sur eux avec une exactitude et une attention extraordinaire.

Au reste, quelque soin que j'aie pu apporter pour rendre ce recueil très-ample et très-correct, quelqu'application que j'aie eue à lui donner toute la perfection dont il est capable, je ne prétends pas y avoir mis tous les Actes véritables et légitimes qu'on peut recouvrer. Ce n'est pas non plus ma pensée, de faire passer pour illégitime et pour supposé, tout ce qui ne s'y trouvera pas compris ; je suis même prêt à recevoir pour authentiques, ceux qu'on me fera voir être marqués au coin de l'antiquité. Je ne contrains personne; chacun peut librement demeurer dans son opinion. Mais celle de M. Dodwel, touchant le petit nombre prétendu des Martyrs, n'est pas moins nouvelle qu'insoutenable, et nous allons tâcher, en la combattant, de faire voir qu'on ne doit pas juger du nombre des Martyrs, par celui des Actes qui nous en restent.

S. II.

1. Dissertation de Dodwel sur le petit nombre des Martyrs.

Il n'y a personne qui n'ait été surpris de voir, parmi les dissertations du sieur Henri Dodwel (1), sur les œuvres de saint Cyprien, celle qui a pour titre, du petit nombre des Martyrs. Cet auteur, homme d'ailleurs illustre par sa grande érudition et par la connaissance qu'il a de l'antitiquité, après avoir fait l'apologie des tyrans, et avoir tâché de décréditer les auteurs qui lui sont contraires, ou du moins après avoir fait quelques efforts pour les détourner dans un sens qui favorise son opinion; cet auteur, dis-je, prétend prouver qu'il y a eu très-peu de chrétiens qui aient souffert pour la foi, durant les anciennes persécutions, et que cette foule de Martyrs dont l'Eglise catholique honore la mémoire dans son office et dans ses martyrologes, n'y a été introduite qu'à la faveur de certains récits fabuleux, et par l'autorité de quelques moines oisifs, qui ont pris soin de les répandre parmi les fidèles, dont ils ont impudemment surpris la crédulité. Nous ne croyons pas que, quelque légère teinture qu'on ait de l'histoire ecclésiastique, on puisse ignorer que la tradition de l'Eglise touchant le grand nombre des Martyrs qu'elle révère, n'y ait été reçue par le consentement unanime de toutes les Eglises du monde, et suivant le sentiment général de tous les Pères; cependant nous avons cru devoir nous étendre un peu au long sur cette matière, soit pour empêcher que les ennemis des catholiques ne prennent leur silence pour un aveu de leur défaite, et pour ne pas laisser à des gens qui tirent avantage de tout, la vaine joie d'un triomphe imagi

(1) Imprim. à Oxford en 1684.

naire; soit pour venger l'injure qu'on fait aux Martyrs, et repousser la calomnie dont on prétend noircir l'Eglise, que saint Augustin appelle la Mère des Martyrs. Et afin d'éviter toute confusion, nous suivrons le même ordre qu'a suivì Dodwel : nous examinerons d'abord les objections générales qu'il propose, et descendant ensuite dans le détail, nous parcourrons avec lui chaque persécution en particulier.

[ocr errors]
[ocr errors]

"

[ocr errors]

2. Objections générales de Dodwel.

Dodwel nous objecte, en premier lieu, que si le nom»bre des Martyrs eût été aussi considérable que nous le prétendons, il eût été presque impossible que leurs noms se fussent perdus. Car comme, suivant le témoi» gnage de saint Cyprien (1), on en faisait mémoire tous » les ans, leurs noms étaient écrits dans les fastes de l'Eglise, afin qu'on pût célébrer leur fête selon le rang qu'ils avaient dans ces martyrologes. Au reste, ces sor»tes de registres étaient tenus avec beaucoup de soin et » d'exactitude, comme on peut le voir par les louanges » que ce saint évêque donne, dans une de ses lettres, à un nommé Tertule, dont il prise extrêmement la dili» gence et l'application à s'acquitter de ce ministère (2). » Cette même lettre nous apprend que, tout occupé qu'il >> fût de ses fonctions épiscopales, il ne laissait pas de » donner ses soins pour tenir en bon ordre ces fastes sa» crés. Il est encore certain qu'on y écrivait les noms de » tous ceux qui mourraient pour la foi; on ne faisait alors aucune différence des personnes. Les Martyrs d'une con>>dition servile ou peu relevée, les enfans, les femmes,

[ocr errors]

(1) Ep. 39, edit. Oxon. (2) Ejusd. ed. Epist. 12.

» que

[ocr errors]
[ocr errors]

» les catéchumènes mêmes y avaient leur place, aussi bien les Martyrs d'une naissance illustre et d'une qualité distinguée; témoin ce jeune enfant qui souffrit avec >> saint Romain; témoin encore sainte Félicité et sainte Blandine, toutes deux esclaves, et tant d'autres Martyrs >> d'un nom obscur, que ni l'âge, ni l'état, ni le sexe » moins noble n'excluaient pas du rang d'honneur qu'on » donnait à tous ceux qui perdaient la vie pour Jésus» Christ, et dont les Actes et les noms ayant été recueil» lis avec un si grand soin, devaient être parvenus jusqu'aux siècles suivans. De plus, le commerce continuel » que la charité entretenait entre les Eglises, faisait passer >> les noms des Martyrs dans les provinces étrangères, par » le moyen des lettres circulaires, dont quelques-unes » sont venues jusqu'à nous, tant était grand, ajoute Dod» wel, l'application qu'avaient les premiers chrétiens, à » instruire la postérité de tout ce qui regardait les Martyrs; de sorte que rien n'a dû échapper à sa connais

"

"

[ocr errors]

"

" sance.

>> Jetons maintenant les yeux, contenue ce savant Anglais, sur ce qui nous reste de ces sacrés monumens; » consultons les anciens auteurs, qui avaient encore entre » les mains les mémoires que nous n'avons plus, combien " y trouverons-nous peu de Martyrs? Le calendrier de Bu» chérius fut fait au quatrième siècle, et à peine y trouve» t-on, dans chaque mois, trois ou quatre Martyrs; et plus les martyrologes remontent vers les premiers temps » de l'Eglise, plus ils sont succincts. Les homélies que » les saints Pères prononçaient aux solennités des Martyrs, en contiennent un très-petit nombre : Eusèbe en recon» naît peu, soit dans son livre des Martyrs de la Pales» tine, qui nous reste, soit dans son recueil des anciens

>>

[ocr errors]
[ocr errors][ocr errors]

Martyrs, que nous avons perdu, et dont il nous apprend

quelque chose dans son histoire ecclésiastique. Le Livre

[ocr errors]

"

[ocr errors]
[ocr errors]

"

» des couronnes, que Prudence avait exprès composé à la gloire des Martyrs, n'en fait pas un grand dénombrement et Origène ne dit-il pas en termes formels, écrivant contre Celse, que le nombre de ceux qui ont versé >> leur sang pour Jésus-Christ, est très-peu considérable? » On trouve, outre cela, peu d'édits contre les chrétiens, et avant Dioclétien l'on compte peu d'empereurs qui les » aient persécutés ouvertement, du moins si nous en croyons » deux témoins irréprochables, et nullement suspects; » Tertullien dans son apologétique, et Lactance dans l'ou>> vrage admirable qu'il a laissé de la mort des persécu»teurs. On sait même que la plupart des empereurs qui » passent pour les ennemis déclarés de l'Eglise, étaient » des princes d'un esprit paisible, et dont les inclinations étaient assez portées à la douceur, et que pour les au» tres, ils étaient amis des chrétiens; ils les protégeaient » hautement, et pourvoyaient à leur sûreté par des rescrits et des ordonnances. Il y a apparence que les gouverneurs des provinces n'étaient pas fort cruels, sous des » empereurs, si moderés, et l'on peut croire que ces pre>> miers officiers de l'empire aimaient à faire leur cour à >> leurs maîtres, en imitant leur clémence. Saint Ambroise nous en assure, dans une de ses lettres (1): Je sais, dit-il, que plusieurs magistrats païens se sont vantés » d'avoir rapporté à Rome les haches et les faisceaux de » leur magistrature, sans les avoir trempés dans le sang. » Voilà un abrégé des objections de Dodwel; il faut maintenant répondre à chacune en particulier.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

(1) Epist. 68.

« PrécédentContinuer »