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tement instruit des affaires de l'Eglise grecque et de l'état de l'Eglise latine, ayant reçu de celle-là les premières connaissances de la religion chrétienne, et vivant actuellement dans celle-ci; le grand Irénée, dis-je, n'admet pas seulement cette multitude de Martyrs, mais il veut qu'elle soit la marque à laquelle on puisse reconnaître la véritable Eglise, et la discerner des autres sectes. C'est dans son livre contre les hérésies, c'est-à-dire dans un ouvrage composé, de l'aveu même de Dodwel, avant la persécution de l'Eglise de Lyon et au commencement de l'empire de Marc-Aurèle. Voici ses paroles (1): «Partout où l'Eglise se rencontre, cette sainte » Mère envoie au ciel avant elle, par le Martyre, une » multitude de ses enfans, qu'elle offre au Père comme un "} gage de l'extrême amour qu'elle a pour lui. Mais les autres assemblées non-seulement n'ont point de Martyrs ;.... » il n'y a que l'Eglise qui aime à souffrir les opprobres, » pour témoigner à Dieu quel est l'excès de sa charité, et quelle est la grandeur de la foi qui lui fait confesser » hautement Jésus-Christ. Souvent on l'a vue s'affaiblir » par la perte de son sang et de ses membres, puis tout » à coup se rétablir, reprendre de nouvelles forces, et re» devenir mère d'un plus grand nombre d'enfans. » Nous rapporterons les témoignages des autres Pères, lorsque nous traiterons des persécutions en particulier. Voyons cependant s'il est vrai qu'Eusèbe soit aussi favorable à Dodwel, qu'il ose s'en vanter.

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10. Réponse à une objection de Dodwel, tirée d'Eusèbe.

Eusèbe, comme nous l'avons déjà remarqué, avait recueilli dans deux ouvrages différens, les noms de tous les

(1) Lib. 4, c. 64.

Martyrs qui avaient pu venir à sa connaissance : le premier de ces recueils comprenait les Martyrs anciens; et le second, les Martyrs qui de son temps avaient souffert dans la Palestine. Nous donnerons celui-ci tout entier, et lorsque nous y aurons joint ce que le même auteur rapporte ailleurs de la même persécution, le lecteur pourra juger si Dodwel peut avec justice prétendre d'avoir Eusèbe dans son parti. A l'égard du premier recueil, qui ne se trouve plus depuis plusieurs siècles, Dodwel nous dit d'un ton affirmatif, que par l'histoire même d'Eusèbe on doit conclure qu'il ne contenait qu'un très-petit nombre de Martyrs. Il nous aurait fait plaisir de produire ces passages prétendus de l'histoire ecclésiastique, puisqu'il est constant, par divers endroits de cette histoire, que son auteur a reconnu une infinité de Martyrs, quoiqu'en effet il n'en ait nommé que très-peu. Nous ne chercherons point d'autres interprètes de la pensée d'Eusèbe, qu'Eusèbe même (1). Il dit donc que, durant la persécution de Trajan, plusieurs fidèles soutinrent généreusement le combat, quoiqu'ils se vissent attaqués de tous côtés par divers tourmens. Il assure que, sous Antonin, la constance d'une infinité de Martyrs se fit admirer de tout l'univers. Il décrit la persécution que Sévère alluma, pendant laquelle on vit d'illustres athlètes combattre pour la piété et pour la foi, dans toutes les Eglises du monde. Il parle dans les mêmes termes des persécutions de Dèce et de Valérien.

Pour ce qui regarde Prudence, l'on ne peut pas dire qu'il favorise le moins du monde Dodwel, si l'on ne nous fait voir que ce prince des poètes chrétiens s'est engagé à chanter dans ses vers tous les Martyrs qui furent jamais. Il fait l'éloge de plusieurs, il ne dit rien aussi de plusieurs; mais il est

(1) Lib. 3, c. 33. L. 5, initio. L. 6, c. 2.

étonnant que sa muse ne lui ait rien inspiré pour l'illustre Léocadie, dans l'Eglise de laquelle fut tenu le quatrième concile de Tolède.

11. Dernière preuve de Dodwel, fondée sur la clémence des empereurs.

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Voici enfin la dernière ressource de Dodwel; c'est la clémence des empereurs romains. « Il y a eu peu d'em» pereurs, dit-il, qui aient persécuté l'Eglise ; l'on trouve » peu d'édits rendus contre les fidèles, et plusieurs de ces princes affectaient si fort la réputation d'être clémens, qu'ils voulaient même paraître ne punir les coupables qu'à regret. Il ne faut point douter, ajoute-t-il, que les » ministres de princes si débonnaires ne se soient fait un devoir d'imiter la douceur de leurs maîtres. » Mais pour renverser cet argument de Dodwel, il n'y a qu'à présupposer cette vérité constante, que ce qui excitait les persécutions contre l'Eglise, n'était pas toujours la rigueur des édits, ou l'animosité des juges particuliers, ou les clameurs du peuple, comme le répète si souvent Dodwel; mais la disposition de la jurisprudence romaine, dont les lois ne souffraient dans l'empire aucune religion étrangère (1). Or, les chrétiens non-seulement voulaient introduire une religion étrangère et nouvelle ( au moins les Romains le pensaient ainsi), mais ils soutenaient de plus, que toute autre religion que la leur était fausse et ridicule. La puissance des empereurs, quelqu'absolue qu'elle fût en toute autre chose, était contrainte de se soumettre à ces lois, sur-tout lorsque, du consentement de tout l'empire, elles se trouvaient fortifiées par de nouveaux décrets. Ce qu'Ori

(1) Cicer, lib. 2, de leg.

gène confirme d'une manière élégante et ironique le sénat, dit-il (1), le peuple et les empereurs ont ordonné qu'il n'y aurait plus de chrétiens. Tertullien reconnaît pa reillement qu'il y avait des lois rendues contre le christianisme (2). On ne doit donc pas s'étonner, après cela, si malgré la paix donnée par les empereurs à l'Eglise, les chrétiens ne laissaient pas d'être souvent déférés et punis, comme on peut le voir par la mort de saint Apollonius, qui fut condamné à perdre la tête, par un arrêt du sénat, rendu en exécution d'un ancien décret de cette compagnie, qui avait par-là prétendu empêcher que les chrétiens, après avoir été dénoncés, ne fussent renvoyés absous. Par la même raison, Marin ne put éviter la mort, quoique Galien eût fait publier un édit en faveur des chrétiens. Mais quand des lois si sévères venaient à recevoir une nouvelle force des ordonnances du prince, c'était pour lors que la persécution s'allumait avec violence; on recherchait les chrétiens avec une extrême exactitude, et lorsqu'ils étaient pris, on leur faisait souffrir tout ce que la rage des persécuteurs pouvait inventer de supplices nouveaux. Ce n'est pas que ces ordonnances du prince fussent toujours nécessaires pour autoriser la persécution, et nous voyons par cette fameuse lettre de Pline le jeune à Trajan, qu'il ne laissait pas de poursuivre et condamner les chrétiens, quoiqu'il n'y eut alors, selon Dodwel même, aucun édit rendu contr'eux. Il n'osa toutefois d'abord suspendre ces cruelles exécutions, sans un rescrit de l'empereur, n'ayant pris la résolution de le consulter, qu'après en avoir fait mourir plusieurs, et que la multitude de ceux qui restaient à punir, l'eût déterminé à faire cesser les supplices. Au reste, nous apprenons de Lactance, que le nom

(1) Hom. 9 in Josue. (2) Apol. c. 37.

bre de ces édits n'était pas si peu considérable que le prétend Dodwel, puisque, selon cet ancien auteur (1), « un » proconsul se servant du pouvoir que lui donnait sa

charge, ramassa en sept volumes les rescrits et les or>> donnances des empereurs contre les chrétiens, afin que » les juges pussent trouver dans ce recueil tous les genres » de tourmens dont ils devaient se servir pour punir ceux » qui seraient convaincus de n'adorer qu'un seul Dieu. » Et il ne sert de rien de nous opposer la modération de quelques empereurs, et leurs inclinations à la clémence, puisque ceux-là même à qui les auteurs païens attribuaient ces vertus, ont été en effet les plus cruels persécuteurs des chrétiens. Et l'on ne s'étonnera pas de ce que la conduite de ces princes envers les fidèles, quelqu'inhumaine qu'elle fût, ne passait pas pour cruauté, si l'on considère que les chrétiens étaient regardés comme des sacriléges, des ennemis publics et des gens noircis des plus énormes crimes. Suétone en était bien persuadé, lorsqu'entre les ordonnances dignes de louange qu'il dit avoir été publiées pas Néron, il met celles qui décernaient des peines contre les chrétiens : une sorte d'hommes, dit-il, adonnés à une nouvelle superstition et à la magie. Pour la douceur qu'on attribue aux juges et aux gouverneurs de provinces, la voici dépeinte par Lactance, avec des traits admirables.

«Ils font sentir au corps des douleurs exquises et recher» chées, et ils ne craignent rien davantage, que de voir » mourir ceux qu'ils tourmentent. Leur cruauté insatiable et opiniâtre leur fait prendre soin des plaies qu'ils ont » faites; ils les guérissent, afin que les membres renou» velés soient en état de soutenir de nouveaux tourmens, et que les veines se remplissent d'un nouveau sang qu'ils

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(1) Lib. 5 inst., cap. 11. Domitius.

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