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demeurèrent dans un état assez tranquille, et par la miséricorde de Dieu, l'Eglise jouit d'une profonde paix par toute la terre. Après sa mort, Pertinax qui lui succéda, ayant aussi été tué, Didius Julianus fut élevé par des soldats à l'empire. Mais comme il se trouva alors partagé entre trois concurrens; Sévère, qui s'empara de la Pannonie; Niger, qui se rendit maître de l'Orient; et Albin, qui se saisit des Gaules; pendant que tout était en confusion dans l'état, et que trois grandes armées portaient la guerre et le trouble dans toutes les parties du monde, le calme et la paix régnaient dans l'Eglise. Cette paix ne fut interrompue que vers la dixième année de Sévère, et la deux cent deuxième de Jésus-Christ, quoique durant ce temps elle fût un peu altérée par le martyre de quelques chrétiens (1). Car l'on ne peut différer plus tard que jusqu'en deux cent, la mort des Martyrs Scillitains, qui souffrirent en Afrique, sous le proconsul Saturnin. Le consulat de Claudius, marqué dans leurs Actes, en est une preuve convaincante.

7. Persécution sous Sévère.

Eusèbe est si fort persuadé que sous l'empereur Sévère la persécution fut générale, qu'il n'a point fait difficulté d'avancer (2) « que, dans toutes les Eglises du monde, il » y eut des fidèles qui combattirent et donnèrent leur vie » pour la véritable religion. » Dodwel ne pouvant résister à la force de ces paroles, en paraît ébranlé, jusqu'à avouer que « la persécution, à la vérité, se répandit dans toutes » les provinces de l'empire; » mais se repentant aussitôt de cet aveu, et se mettant peu en peine de ce qu'on pourra penser d'une rétractation si soudaine et si mal colorée, il

(1) Euseb. et alii. (2) Lib. 6, hist. c. 1.

écrit que très-peu de Martyrs souffrirent alors; «< ce qu'il » est facile, dit-il, de prouver par l'histoire même d'Eusèbe, » où cet auteur, ni n'en rapporte un grand nombre, ni

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ne dit point en avoir omis un grand nombre. » Mais je ne comprends pas comme on peut faire dire à Eusèbe tout le contraire de ce qu'il dit en effet, et ce qu'il confirme par plus d'un endroit de ce sixième livre, et particulièment au chapitre second, où, à l'occasion de la persécution qui s'excita à Alexandrie, il se sert de ces mêmes termes « lorsque le feu de la persécution était le plus allumé, » et qu'un nombre infini de fidèles recevait tous les jours » la couronne du martyre. » Il est vrai qu'il n'en nomme que très-peu, parce que cela n'a aucun rapport à son dessein, soit qu'il en eût donné une liste dans un ouvrage exprès, soit qu'en cet endroit il ne parle des Martyrs qu'en passant, et qu'il n'ait en vue qu'Origène, comme la suite le fait assez connaître. Mais il marque positivement, au chapitre premier, qu'il en passe sous silence une infinité ; « car, après avoir dit qu'il n'y a point d'endroit où il n'y » ait eu des Martyrs illustres, il ajoute, que c'est à Alexandrie que la persécution a fait de plus grands ravages, où plusieurs généreux athlètes souffrirent. » Il ne nomme ensuite que Léonide (1)........ Il ne laisse pas cependant, dans la suite de ce récit de faire mention d'autres Martyrs que des disciples d'Origène, lorsqu'il dit, à la louange de ce grand homme, que les Martyrs de Jésus-Christ, soit qu'ils fussent connus d'Origène, soit qu'ils lui fussent inconnus " recevaient de lui toute sorte d'assistances et de bons offi» ces, et il les rendait à tous indifféremment, avec une promptitude merveilleuse, sans craindre le préfet Aquila, successeur de Létus. » Mais nous avons encore un témoin

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(1) Père d'Origène.

de cette persécution, d'un tres-grand poids; c'est Clément d'Alexandrie, qui, au rapport d'Eusèbe, écrivait ses stromates ou tapisseries, sous l'empire de Sévère. Il parle ainsi, au livre second. « Nous voyons tous les jours comme de nouveaux débordemens de Martyrs; on les tourmente à nos yeux, on les brûle, on les égorge...... » Et certes, la consternation était si grande parmi les chrétiens d'alors, qu'un auteur de ce temps-là, nommé Jude, écrit que la venue de l'Anté-Christ, prédite de siècle en siècle, n'était pas fort éloignée (1).

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Mais de tous les écrivains ecclésiastiques, il n'y en a point qui ait laissé un tableau plus fidèle de cette persécution, que Tertullien, ni qui l'ait représentée avec des couleurs plus vives. Elle lui a donné lieu de composer plusieurs ouvrages, d'où nous tirerons seulement quelques passages, pour servir de montre et d'échantillon, puisqu'autrement il faudrait copier ses livres entiers. Voici le premier crayon qu'il en fait, dans son apologétique (2): « vous attachez » les chrétiens à des croix.... vous les liez à des poteaux.... vous leur arrachez les entrailles avec des ongles de fer.... on nous coupe la tête, on nous expose aux bêtes........... on nous brûle tout vifs.... on nous relègue dans des îles » désertes.... Il se plaint qu'on viole impunément les tom» beaux des chrétiens.... qu'on les appelle, par une rail

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lerie sanglante, des fagots de sarment (3), » parce que, par une cruauté inouie, on les attachait à des pieux revêtus de javelles de sarment, comme d'une robe, auxquelles on mettait le feu ensuite. Enfin, il conclut de cette sorte cette éloquente pièce (4): « Courage donc, messieurs; ne vous >> relâchez point, ô équitables juges! mais plus équitables encore au goût du peuple, si, pour lui complaire, vous

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(1) Euseb. 1. 6, c. 7. (2) Cap. 12. (3) Cap. 30. (4) Cap. 50.

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>> vouliez immoler tous les chrétiens: persécutez, tour» mentez, condamnez, exterminez-nous.... » Car le peuple et les magistrats étaient également animés à la perte des chrétiens, ce qui fait dire à Tertullien (1): « toutes les fois » que vous vous déchaînez contre les chrétiens, vous le » faites en partie de votre propre mouvement, et en par» tie pour obéir aux lois; mais il arrive souvent que le peuple qui nous hait, vous prévient, et sans attendre vos arrêts, se jette sur nous de son autorité privée, nous poursuit à coups de pierres, et nous fait périr par le feu.» Je prie le lecteur de remarquer en passant, que cela était fort ordinaire au peuple, de répandre le sang des chrétiens, et de pousser sa fureur jusqu'à le massacrer tumultuairement et sans aucune forme de justice; ce que Dodwel nie cependant plus d'une fois dans sa dissertation. Au reste, il importe peu que cette apologie ait été écrite à Rome ou à Carthage, puisqu'étant adressée aux premiers officiers de l'empire, il paraît assez que la persécution dont elle parle, n'était pas renfermée dans un seul endroit; et Tertullien même s'y sert souvent du mot de Président, qui était un terme affecté aux gouverneurs de province, et qui désignait leur rang et leur dignité. Il ne parle pas de cette persécution d'une manière plus favorable et d'un ton plus radouci, dans ses autres ouvrages. Il dit, dans son premier livre aux nations, « que les chrétiens confessent dès qu'ils sont interrogés, qu'ils font gloire d'être condamnés, et qu'il faut employer la violence pour les contrain» dre à nier ce qu'ils ont une fois confessé sans violence............ » Dans son exhortation aux Martyrs, qu'il nomme des Martyrs désignés et prêts de souffrir, il les encourage à endurer généreusement toutes sortes de supplices. Enfin il s'écrie,

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(1) Apolog. 37.

dans son Scorpiaque (1): « La canicule est montée sur l'ho

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rison; le cinocéphale vomit de tous côtés le feu de sa » rage; la persécution est allumée ici le glaive, là les flammes, là le cirque, tous est mis en usage pour tourmenter les chrétiens. Les prisons sont remplies de fidèles qui, n'ayant éprouvé que les fouets et les ongles de fer, soupirent apres le martyre qu'ils n'ont fait que goûter en passant. Pour nous autres qui ne nous trouvons » pas sous la main des persécuteurs, nous sommes desti» nés à leur fournir le plaisir de la chasse, et nous attendons à tous momens qu'on lâche sur nous une meute >> de bourreaux..... notre nom seul nous rend l'abomina>>tion des hommes..... l'on nous produit devant les puissances de la terre, l'on nous interroge, l'on nous met à la question, l'on nous égorge. » L'Octave de Minutius Félix parle comme l'apologétique de Tertullien (2). « Est-il

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un spectacle plus digne de toute l'attention du Ciel, qu'un chrétien combattant contre la douleur ? Il est tranquille aux menaces des tyrans; les plus affreux supplices ne lui font pas faire le moindre mouvement irrégulier; le >> bruit de la mort ne l'épouvante pas, et il foule aux pieds toutes ses horreurs.... » Et voulant montrer que toute la valeur des héros de l'ancienne Rome n'avait rien qui pût égaler la grandeur du courage des héros du christianisme. « Combien, dit-il, en a-t-on vu parmi nous, qui » n'ont pas seulement mis un bras dans un brasier ardent, comme Mutius Scévola fit autrefois, mais qui s'y sont » lancés tout entiers, sans faire entendre le moindre gé» missement! Le sexe le plus faible et l'âge le plus tendre se moquent des gibets et des tortures, affrontent les » bêtes les plus farouches, et vont hardiment à la mort,

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(1) Cap. 1. (2) Ce célèbre avocat de Rome y écrivait ce dialogue au même temps que Tertullien publiait son apologétique.

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