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bien circonspecte, une hardiesse bien mesurée, de peur qu'un degré de moins ne gâtât l'ouvrage, et qu'un degré de plus ne perdît l'auteur. »

Pavillon produit quelques poésies légères qui soutiennent sa réputation d'homme d'esprit; nous préférons ces Stances sur la mort :

« La vie est peu de chose, et sa fin n'est terrible Qu'à ceux qui n'ont jamais osé la méditer;

Rien ne doit être moins sensible

Que la perte d'un bien qu'on ne peut regretter.

Tout bonheur passager est peu digne d'envie ;
Chaque heure, chaque instant en peut finir le cours :
Ce qui fait la plus longue vie

N'est qu'un petit nombre de jours.

« Pour en conserver la mémoire

Un prince se sert vainement

Du marbre et de l'airain; ce riche monument
Un jour sera bien moins la marque de sa gloire
Que la preuve de son néant!

Les hommes, de tout temps, jugeant sans connaissance,
Par un faux éclat prévenus,

Ont souvent pris pour des vertus
Ce qui n'en a que l'apparence,
Et parmi les pauvres mortels
Quelquefois ceux que l'on encense
Ne sont que de grands criminels,
A qui notre seule ignorance

Au lieu de châtiments décerne des autels. »

Sillery eut l'honneur d'avoir pour parrain le pape

Alexandre VII, Fabio Chigi; de là son nom italien de Fabio; il joignit à l'étude approfondie du grec et de l'hébreu la composition de quelques poésies fugitives, ce noble délassement des prélats illustres. L'évêché d'Avranches lui fut donné en 1689, puis celui de Soissons. Il mourut en 1714, laissant son fauteuil au duc de La Force, pair de France, grand seigneur et grand protecteur des lettres, ce qui constitue à peu près tous ses titres.

Mirabaud tient de la même main la plume et l'épée. Jusques à quatre-vingt-six ans il conserva le feu de la jeunesse, la séve de l'âge mûr, une gaieté vive et douce, une sérénité d'âme, une aménité de mœurs qui, d'après ce que dit Buffon, faisaient disparaître la vieillesse, ou ne la laissaient voir qu'avec cette espèce d'attendrissement qui suppose bien plus que du respect. Ses ouvrages portent l'empreinte de son caractère: plus un homme est honnête et plus ses écrits lui ressemblent. >>

Watelet, artiste et poëte, composa l'Art de peindre, en vers faciles et peu châtiés; puis un dictionnaire de peinture, de gravure et de sculpture; puis un Essai sur les Jardins. « En le lisant, dit La Harpe, on sent le désir de connaître l'auteur et d'habiter sa demeure. » En somme, Watelet était un philosophe qui s'était arrangé pour être heureux, suivant l'expression de Marmontel; mais sous cette philosophie paisible on entrevoit parfaitement le système d'égoïsme qui bientôt va

amener toute une désorganisation sociale et finir par de terribles et sanglantes révolutions.

Sedaine succède à Watelet en 1786. Les succès de ses œuvres, jouées sur les trois plus grands théâtres de Paris, lui ouvrirent les portes de l'Académie lorsqu'il avait déjà atteint l'âge de celui qu'il venait y remplacer. La plus importante de ses compositions, le Philosophe sans le savoir, obtint de brillants suffrages; l'auteur y pèche cependant, non-seulement par le style, mais par l'invraisemblance des caractères, surtout de celui de son philosophe, qui ne l'est que de nom. Avec la Gageure imprévue, Richard Coeur-de-Lion, le Déserteur, Rose et Colas, l'Épître à son habit et quelques chansons, Sedaine parut novateur à son époque et paraît suranné à la nôtre. La musique de Grétry et de Monsigny sauve ses opéras de l'oubli.

<< Son talent, dit La Harpe, ne peut absolument se passer ni du théâtre ni de la musique, et pourtant n'est point méprisable. Il faut d'abord songer qu'il n'avait fait aucune espèce d'études, et ce n'était pas sa faute; ce fut au contraire un mérite à lui d'avoir commencé par être tailleur de pierres, ensuite maçon, et de s'être élevé de là jusqu'à la place de secrétaire de l'Académie d'Architecture, et même à celle d'académicien français, quoiqu'il eût à peine quelque théorie de l'architecture et qu'il n'en eût aucune de la grammaire. Je ne sais s'il était en état de bâtir une maison, mais je suis sûr qu'il n'était pas capable de

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rendre compte de la construction d'une phrase... Sedaine mourut le 17 mai 1797; il n'avait pas été réélu lorsque le Directoire rétablit les académies sous le titre d'Institut national.

Bien différent de celui dont il reçut, avant l'heure, le siége académique, voici l'un des écrivains les plus dangereux du dix-huitième siècle; il se montre à notre étude avec ses connaissances et ses erreurs. On sent que le souffle empoisonné de la fausse philosophie est passé sur cette société brillante, qui se contentait de la science et du génie du temps des Corneille et des Bossuet, et qui, du temps des Voltaire et des Diderot, eut besoin du sophisme et de l'incrédulité. Le mal était profond; tout était ébranlé, renversé, foudroyé. L'esprit humain avait fait la nuit de toutes parts; la chute des autels avait entraîné la chute des trônes; le sang avait coulé par torrents sur les places publiques et dans les temples profanés: 93 avait épouvanté le monde!..

L'Académie française, dispersée par l'orage révolutionnaire, ne se reconstituait, avec peine, que sous d'autres noms, d'autres titres, d'autres priviléges. Sedaine, comme nous l'avons dit, ne fut point rappelé parmi les nouveaux membres, et Volney fut élu à sa place. Il apprit sa nomination dans les vastes solitudes de l'Amérique, car c'était un rude voyageur que ce Constantin-François Chassebœuf, surnommé Volney! Dès sa jeunesse le goût des courses lointaines et péril

leuses s'était manifesté en lui, et le premier héritage qu'il recueillit lui servit à le satisfaire. Il partit pour l'Égypte.

Après avoir passé huit mois dans un couvent de Cophtes, sur les montagnes du Liban, et s'y être livré à l'étude difficile de la langue arabe, il parcourut l'Égypte et la Syrie avec un courage infatigable, visitant, explorant les villes et les déserts, et cherchant des souvenirs et des doutes au sein des tombeaux. D'autres hommes de génie devaient, plus tard, retirer de plus utiles fruits de leurs pèlerinages en pareilles contrées, et découvrir autre chose que l'athéisme dans les antiques splendeurs du berceau du monde.

En attendant les Lamartine et les Chateaubriand, Volney écrivit son fameux ouvrage, intitulé les Ruines, ou Méditations sur les Révolutions des empires. Le venin de l'erreur circule à grands flots à travers ces pages, belles de style, fausses de raisonnement.

Une mélancolie étudiée charme d'abord et séduit le lecteur; mais il ne tarde pas, avec un coup d'œil sûr, à sentir la nullité des pensées de l'auteur, le mensonge de ses déductions, la faiblesse de sa logique, la pauvreté de ses conceptions, l'orgueil de sa philosophie, ou plutôt de sa sophistique, qui est la philosophie retournée; il ne tarde pas à sentir que ses larmes mêmes sont du poison qui, en coulant sur l'humanité, ne peuvent que la flétrir et la dessécher, au lieu de l'améliorer et de la faire fleurir pour le ciel dans les sentiers de la

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