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est pas question; il semble qu'il soit fait pour parler et non pas pour voir. Il n'est point ferme sur ses pieds, car le temps, qui est son fléau, l'ébranle à tous les instants et détruit tout ce qu'il a fait. On a dit autrefois que ses mains étaient avides; je laisse décider cela à ceux qui le savent mieux que moi. »

On voit que ce n'est pas d'aujourd'hui que la plupart des écrivains trouvent spirituel de se moquer des Quarante, jusqu'au moment où ils parviennent, à force de sollicitations et de démarches, nous ne voulons pas dire à force de flatteries, à

« Tomber de chute en chute au trône académique.

Dès 1726 Montesquieu avait vendu sa charge et quitté la magistrature pour compléter et mûrir par des voyages dans une partie de l'Europe les recherches et les études auxquelles il s'était déjà livré. Rentré en France, il mit bientôt au jour ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Un des critiques les plus fins, les plus ingénieux et les plus élégants de notre siècle, n'a pas hésité à dire que, dans cet ouvrage, le style de Montesquieu est aussi achevé que naturel et rapide. C'est cependant celui où l'on pourrait signaler un plus grand nombre de négligences et même d'incorrections; mais ces défauts disparaissent sous la richesse du sujet et devant les vastes proportions du plan dans lequel l'auteur l'a développé. On y voit réellement Rome naître, grandir, vivre et se mouvoir jusqu'au moment où, comme tous les êtres individuels ou sociaux, et suivant

une loi invariable de la Providence, elle finit par décroître et tomber sous les conséquences naturelles des causes qui ont le plus directement contribué aux progrès de sa puissance.

En effet, dit Montesquieu, la grandeur de l'État fit la grandeur des fortunes particulières; mais, comme l'opulence est dans les mœurs, et non pas dans les richesses, celles des Romains, qui ne laissaient pas d'avoir des bornes, produisirent un luxe et des profusions qui n'en avaient point. Ceux qui avaient d'abord été corrompus par leurs richesses le furent ensuite par leur pauvreté. Avec des biens au-dessus d'une condition privée il fut difficile d'être un bon citoyen; avec les désirs et les regrets d'une grande fortune on fut prêt à tous les attentats, et, comme dit Salluste, on vit une génération de gens qui ne pouvaient avoir de patrimoine ni souffrir que d'autres en eussent. >>

Ces quelques lignes nous semblent suffire pour donner à nos lecteurs une idée de l'ample brièveté et de la concision énergique qui caractérisent le style de l'auteur.

Nous ne craignons pas de dire que cet ouvrage est son principal titre de gloire, bien que nous sachions qu'en formulant un pareil jugement nous adoptons une opinion qui étonnera les nombreux admirateurs de l'Esprit des Lois. Montesquieu a travaillé vingt ans à cette dernière œuvre; en la terminant il a cru pouvoir s'écrier avec une certaine complaisance Italiam! Italiam! comme les compagnons d'Enée en abordant au Latium; et Voltaire a osé

ajouter « Le genre humain avait perdu ses titres; << Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus. >> L'exagération d'un pareil éloge permet à la postérité d'en sourire, d'autant plus qu'il ne saurait avoir aucun sens sérieux; mais il s'explique dans la bouche du philosophe de Ferney précisément par les idées et les opinions, plus ou moins dangereuses, que l'auteur de l'Esprit des Lois a répandues dans son ouvrage. Il s'en faut qu'il ne renferme pas d'excellentes choses et des matériaux abondants, dont les hommes instruits pourront longtemps se servir avec avantage; mais l'ordonnance générale et l'exécution du livre ne nous paraissent pas telles qu'on puisse le considérer comme un de ces monuments devant lesquels doive s'incliner l'esprit humain. Il y a certaine question capitale, comme celle de l'histoire et du rôle des moines au moyen âge, qui semble avoir presque complétement échappé au génie si pénétrant de Montesquieu, ou il ne les voit apparaître, à l'horizon du passé, qu'à travers le voile épais des préjugés du xvi° siècle.

Sept ans environ après la publication de l'Esprit des Lois Montesquieu tomba malade; sa santé était naturellement délicate, et elle s'était encore affaiblie par l'effet infaillible des études continuelles auxquelles il avait consacré sa vie. Il succomba le 10 février 1755, et ses derniers moments ne laissent aucun doute sur ses sentiments religieux. Malgré leurs indécisions, les âmes droites et sincères finissent toujours par

revenir au christianisme. Quelque temps avant sa mort il disait :

« Quand l'immortalité de l'âme serait une erreur, je serais fàché de ne pas la croire. J'avoue que je ne suis pas si humble que les athées. Je ne sais comment ils pensent; mais, pour moi, je ne veux pas troquer l'idée de mon immortalité contre celle de la béatitude d'un jour. Je suis charmé de me croire immortel comme Dieu même. Indépendamment des idées révélées, les idées métaphysiques me donnent une bien forte espérance de mon bonheur éternel, à laquelle je ne voudrais pas renoncer. »

RÉCAPITULATION.

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Conrart. 1634. Le président Roze. 1675. Sacy. 1701. -Montesquieu. 1728. Châteaubrun. 1755. - Chastellux. 1775.-Nicolaï. 1789.-François de Neufchâteau. 1795. — M. Lebrun. 1828.

SEPTIÈME FAUTEUIL.

PELLISSON. FENELON. - DELAVIGNE.-M. SAINTE-BEUVE.

Pellisson se fit connaître d'une manière brillante par son Histoire de l'Académie, ouvrage qui lui ouvrit les portes de ce sanctuaire des lettres; ce fut justice! On décida d'une voix unanime que la première place vacante lui serait réservée; en attendant on lui donna le droit d'assister aux séances, avec cette distinction glorieuse que la même faveur ne pourrait être accordée à personne pour quelque considération que ce fût.

Ce qui fait encore plus d'honneur à Pellisson, c'est la magnanimité avec laquelle il se déclara le défenseur de Fouquet après la disgrâce de ce ministre.

Aussi mérita-t-il d'avoir pour amis les hommes les plus distingués de l'époque, et M1le de Scudéri,

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