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vantage, c'est que cet automate s'étant approché d'une figure à peu près semblable, il s'en formera une troisième figure. Ces machines auront des idées; elles raisonneront, elles parleront comme vous; elles pourront mesurer le ciel et la terre. Mais je ne vous ferai point voir cette rareté, si vous ne me promettez que, quand vous l'aurez vue, vous avouerez que j'ai beaucoup d'esprit et de puissance.

MADÉTÈS.

Si la chose est ainsi, j'avouerai que vous en savez plus qu'Épicure, et que tous les philosophes

de la Grèce.

PLATON.

Hé bien, tout ce que je vous ai promis est fait. Vous êtes cette machine, c'est ainsi que vous êtes formé, et je ne vous ai pas montré la millième partie des ressorts qui composent votre existence; tous ces ressorts sont exactement proportionnés les uns aux autres; tous s'aident réciproquement: les uns conservent la vie, les autres la donnent, et l'espèce se perpétue de siècle en siècle par un artifice qu'il n'est pas possible de découvrir. Les plus vils animaux sont formés avec un appareil non moins admirable, et les sphères célestes se meuvent dans l'espace avec une mécanique encore plus sublime jugez après cela si un être intelligent n'a pas formé le monde, si vos atomes n'ont pas eu besoin de cette cause intelligente.

Madétès étonné demanda au magicien qui il était. Platon lui dit son nom : le jeune homme tomba à genoux, adora Dieu, et aima Platon toute sa vie.

Ce qu'il y a de très remarquable pour nous, c'est qu'il vécut avec les épicuriens comme auparavant. Ils ne furent point scandalisés qu'il eût changé d'avis. Il les aima, il en fut toujours aimé. Les gens de sectes différentes soupaient ensemble gaiement chez les Grecs et chez les Romains. C'était le bon temps.

SECONDE DIATRIBE DE L'ABBÉ BAZIN.
De Sanchoniathon.

Sanchoniathon ne peut être un auteur supposé. On ne suppose un ancien livre que dans le même esprit qu'on forge d'anciens titres pour fonder quelque prétention disputée. On employa autrefois des fraudes pieuses pour appuyer des vérités qui n'avaient pas besoin de ce malheureux secours. De zélés indiscrets forgèrent de très mauvais vers grecs attribués aux sibylles, des lettres de Pilate, et l'histoire du magicien Simon qui tomba du haut des airs aux yeux de Néron. C'est dans le même esprit qu'on imagina la donation de Constantin et les fausses décrétales. Mais ceux dont

nous tenons les fragments de Sanchoniathon ne pouvaient avoir aucun intérêt à faire cette lourde friponnerie. Que pouvait gagner Philon de Byblos, qui traduisit en grec Sanchoniathon, à mettre cette histoire et cette cosmogonie sous le nom de ce Phénicien? c'est à peu près comme si on disait qu'Hésiode est un auteur supposé.

Eusèbe de Césarée, qui rapporte plusieurs fragments de cette traduction faite par Philon de Byblos, ne s'avisa jamais de soupçonner que Sanchoniathon fût un auteur apocryphe. Il n'y a donc nulle raison de douter que sa Cosmogonie ne lui appartienne.

Ce Sanchoniathon vivait à peu près dans le temps où nous plaçons les dernières années de Moise. Il n'avait probablement aucune connaissance de Moïse, puisqu'il n'en parle pas, quoiqu'il fût dans son voisinage. S'il en avait parlé, Eusèbe n'eût pas manqué de le citer comme un témoignage authentique des prodiges opérés par Moïse. Eusèbe aurait insisté d'autant plus sur ce témoignage, que ni Manéthon, ni Cheremon, auteurs égyptiens, ni Ératosthène, ni Hérodote, ni Diodore de Sicile, qui ont tant écrit sur l'Égypte, trop occupés d'autres objets, n'ont jamais dit un seul mot de ces fameux et terribles miracles qui durent laisser d'eux une mémoire durable, et effrayer les hommes de siècle en siècle. Ce silence de Sanchoniathon a même fait soupçonner très justement à plusieurs docteurs qu'il vivait

avant Moïse.

Ceux qui le font contemporain de Gédéon n'appuient leur sentiment que sur un abus des paroles de Sanchoniathon même. Il avoue qu'il a consulté le grand prêtre Jérombal. Or ce Jérombal, disent nos critiques, est vraisemblablement Gédéon. Mais pourquoi, s'il vous plaît, ce Jérombal était-il Gédéon? Il n'est point dit que Gédéon fût prêtre. Si le Phénicien avait consulté le Juif, il aurait parlé de Moïse, et des conquêtes de Josué. Il n'aurait pas admis une cosmogonie absolument contraire à la Genèse il aurait parlé d'Adam; il n'aurait pas imaginé des générations entièrement différentes de celles que la Genèse a consacrées.

Cet ancien auteur phénicien avoue en propres mots qu'il a tiré une partie de son histoire des écrits de Thaut, qui florissait huit cents ans avant lui. Cet aveu, auquel on ne fait pas assez d'attention, est un des plus curieux témoignages que l'antiquité nous ait transmis. Il prouve qu'il y avait donc déjà huit cents ans qu'on avait des livres écrits avec le secours de l'alphabet; que les nations cultivées pouvaient par ce secours s'entendre les unes les autres, et traduire réciproquement leurs ouvrages. Sanchoniathon entendait les livres de Thaut écrits en langue égyptienue. Le

premier Zoroastre était beaucoup plus ancien; et ses livres étaient la catéchèse des Persans. Les Chaldéens, les Syriens, les Persans, les Phéni- ciens, les Égyptiens, les Indiens, devaient nécessairement avoir commerce ensemble; et l'écriture alphabétique devait faciliter ce commerce. Je ne parle pas des Chinois, qui étaient depuis long-temps un grand peuple, et composaient un monde séparé.

Chacun de ces peuples avait déjà son histoire. Lorsque les Juifs entrèrent dans le pays voisin de la Phénicie, ils pénétrèrent jusqu'à la ville de Dabir, qui s'appelait autrefois la ville des lettres. «Alors Caleb dit : Je donnerai ma fille Axa pour « femme à celui qui prendra Eta, et qui ruinera ⚫ la ville des lettres. Et Othoniel, fils de Cenès, a frère puîné de Caleb, l'ayant prise, il lui donna • pour femme sa fille Axa. »

Il paraît par ce passage que Caleb n'aimait pas les gens de lettres : mais, si on cultivait les sciences anciennement dans cette petite ville de Dabir, combien devaient-elles être en honneur dans la Phénicie, dans Sidon, et dans Tyr, qui étaient appelés le pays des livres, le pays des archives, et qui enseignèrent leur alphabet aux Grecs!

Ce qui est fort étrange, c'est que Sanchoniathon, qui commence son histoire au même temps où commence la Genèse, et qui compte le même nombre de générations, ne fait pas cependant plus de mention du déluge que les Chinois. Comment la Phénicie, ce pays si renommé par ses expéditions maritimes, ignorait-elle ce grand événement?

Cependant l'antiquité le croyait ; et la magnifique description qu'en fait Ovide est une preuve que cette idée était bien générale; car, de tous les récits qu'on trouve dans les Métamorphoses d'Ovide, il n'en est aucun qui soit de son invention. On prétend même que les Indiens avaient déjà parlé d'un déluge universel avant celui de Deucalion. Plusieurs brachmanes croyaient, diton, que la terre avait essuyé trois déluges.

Il n'en est rien dit dans l'Ézour-Veidum, ni dans le Cormo-Veidam,que j'ai lus avec une grande attention; mais plusieurs missionnaires, envoyés dans l'Inde, s'accordent à croire que les brames reconnaissent plusieurs déluges. Il est vrai que chez les Grecs on ne connaissait que les deux déluges particuliers d'Ogygès et de Deucalion. Le seul auteur grec connu qui ait parlé d'un déluge universel, est Apollodore, qui n'est antérieur à notre ère que d'environ cent quarante ans. Ni Homère, ni Hesiode, ni Hérodote, n'ont fait mention du déluge de Noé; et le nom de Noé ne se trouve chez aucun ancien auteur profane.

La mention de ce déluge universel, faite en

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détail et avec toutes ses circonstances, n'est que dans nos livres sacrés. Quoique Vossius et plusieurs autres savants aient prétendu que cette inondation n'a pu être universelle, il ne nous est pas permis d'en douter. Je ne rapporte la Cosmogonie de Sanchoniathon que comme un ouvrage profane. L'auteur de la Genèse était inspiré, et Sanchoniathon ne l'était pas. L'ouvrage de ce Phénicien n'est qu'un monument précieux des anciennes erreurs des hommes.

C'est lui qui nous apprend qu'un des premiers cultes établis sur la terre fut celui des productions de la terre même; et qu'ainsi les ognons étaient consacrés en Égypte bien long-temps avant les siècles auxquels nous rapportons l'établissement de cette coutume. Voici les paroles de Sanchoniathon : « Ces anciens hommes consacrèrent des « plantes que la terre avait produites; ils les cru« rent divines: eux et leur postérité, et leurs « ancêtres, révérèrent les choses qui les faisaient << vivre; ils leur offrirent leur boire et leur man«ger. Ces inventions et ce culte étaient conformes « à leur faiblesse et à la pusillanimité de leur es« prit. »>

Ce passage si curieux prouve invinciblement que les Égyptiens adoraient leurs ognons longtemps avant Moïse; et il est étonnant qu'aucun livre hébraïque ne reproche ce culte aux Égyptiens. Mais voici ce qu'il faut considérer. Sanchoniathon ne parle point expressément d'un Dieu dans sa Cosmogonie : tout chez lui semble avoir son origine dans le chaos; et ce chaos est débrouillé par l'esprit vivifiant qui se mêle avec les principes de la nature. Il pousse la hardiesse de son système jusqu'à dire « que des animaux qui « n'avaient point de sens engendrèrent des animaux intelligents. »

«

Il n'est pas étonnant, après cela, qu'il reproche aux Égyptiens d'avoir consacré des plantes. Pour moi, je crois que ce culte des plantes utiles à l'homme n'était pas d'abord si ridicule que Sanchoniathon se l'imagine. Thaut, qui gouvernait une partie de l'Égypte, et qui avait établi la théocratie huit cents ans avant l'écrivain phénicien, était à la fois prêtre et roi. Il était impossible qu'il adorât un ognon comme le maître du monde ; et il était impossible qu'il présentât des offrandes d'ognons à un ognon; cela eût été trop absurde, trop contradictoire: mais il est très naturel qu'on remerciât les dieux du soin qu'ils prenaient de substanter notre vie, qu'on leur consacrât longtemps les plantes les plus délicieuses de l'Égypte, et qu'on révérât dans ces plantes les bienfaits des dieux. C'est ce qu'on pratiquait de temps immémorial dans la Chine et dans les Indes.

J'ai déjà dit ailleurs qu'il y a une grande diffé

rence entre un ognon consacré et un ognon dieu. Les Égyptiens, après Thaut, consacrèrent des animaux mais certainement ils ne croyaient pas que ces animaux eussent formé le ciel et la terre. Le serpent d'airain élevé par Moïse était consacré ; mais on ne le regardait pas comme une divinité. Le térébinthe d'Abraham, le chêne de Mambrès, étaient consacrés, et on fit des sacrifices dans la place même où avaient été ces arbres jusqu'au temps de Constantin; mais ils n'étaient point des dieux. Les chérubins de l'arche étaient sacrés, et n'étaient pas adorés.

Les prêtres égyptiens, au milieu de toutes leurs superstitions, reconnurent un maître souverain de la nature; ils l'appelaient Knef ou Knufi; ils le représentaient par un globe. Les Grecs traduisirent le mot Knef par celui de Demiourgos, artisan suprême, feseur du monde.

Ce que je crois très vraisemblable et très vrai, c'est que les premiers législateurs étaient des hommes d'un grand sens. Il faut deux choses pour instituer un gouvernement; un courage et un bon sens supérieurs à ceux des autres hommes. Ils imaginent rarement des choses absurdes et ridicules, qui les exposeraient au mépris et à l'insulte. Mais qu'est-il arrivé chez presque toutes les nations de la terre, et surtout chez les Égyptiens? Le sage commence par consacrer à Dieu le bœuf qui laboure la terre, le sot peuple adore à la fin le bœuf, et les fruits mêmes que la nature a produits. Quand cette superstition est enracinée dans l'esprit du vulgaire, il est bien difficile au sage de l'extirper.

Je ne doute pas même que quelque schoen d'Égypte n'ait persuadé aux femmes et aux filles des bateliers du Nil que les chats et les ognons étaient de vrais dieux. Quelques philosophes en auront douté, et sûrement ces philosophes auront été traités de petits esprits insolents, et de blasphémateurs : ils auront été anathématisés et persécutés. Le peuple égyptien regarda comme un athée le Persan Cambyse, adorateur d'un seul dieu, lorsqu'il fit mettre le bœuf Apis à la broche. Quand Mahomet s'éleva dans la Mecque contre le culte des étoiles, quand il dit qu'il ne fallait adorer qu'un seul Dieu unique dont les étoiles étaient l'ouvrage, il fut chassé comme athée, et sa tête fut mise à prix. Il avait tort avec nous, mais il avait raison avec les Mecquois.

Que conclurons-nous de cette petite excursion sur Sanchoniathon? qu'il y a long-temps qu'on se moque de nous; mais qu'en fouillant dans les débris de l'antiquité, on peut encore trouver sous ces ruines quelques monuments précieux, utiles à qui veut s'instruire des sottises de l'esprit humain.

TROISIÈME DIATRIBE DE L'ABBÉ BAZIN.
Sur l'Egypte.

J'ai vu les pyramides, et je n'en ai point été émerveillé. J'aime mieux les fours à poulets, dont l'invention est, dit-on, aussi ancienne que les pyramides. Une petite chose utile me plaît; une monstruosité qui n'est qu'étonnante n'a nul mérite à mes yeux. Je regarde ces monuments comme des jeux de grands enfants qui ont voulu faire quelque chose d'extraordinaire, sans imaginer d'en tirer le moindre avantage. Les établissements des Invalides, de Saint-Cyr, de l'École militaire, sont des monuments d'hommes.

Quand on m'a voulu faire admirer les restes de ce fameux labyrinthe, de ces palais, de ces temples, dont on parle avec tant d'emphase, j'ai levé les épaules de pitié; je n'ai vu que des piliers sans proportions, qui soutenaient de grandes pierres plates; nul goût d'architecture, nulle beauté; du vaste, il est vrai, mais du grossier. Et j'ai remarqué (je l'ai dit ailleurs) que les Égyptiens n'ont jamais eu rien de beau que de la main des Grees. Alexandrie seule, bâtie par les Grecs, a fait la gloire véritable de l'Égypte.

A l'égard de leurs sciences, si dans leur vaste bibliothèque ils avaient eu quelques bons livres d'érudition, les Grecs et les Romains les auraient traduits. Non seulement nous n'avons aucune traduction, aucun extrait dè leurs livres de philosophie, de morale, de belles-lettres, mais rien ne nous apprend qu'on ait jamais daigné en faire.

Quelle idée peut-on se former de la science et de la sagacité d'un peuple qui ne connaissait pas même la source de son fleuve nourricier? Les Éthiopiens, qui subjuguèrent deux fois ce peuple mou, lâche, et superstitieux, auraient bien dû lui apprendre au moins que les sources du Nil étaient en Éthiopie. Il est plaisant que ce soit un jésuite portugais qui ait découvert ces sources.

Ce qu'on a vanté du gouvernement égyptien me paraît absurde et abominable. Les terres, diton, étaient divisées en trois portions. La première appartenait aux prêtres, la seconde aux rois, et la troisième aux soldats. Si cela est, il est clair que le gouvernement avait été d'abord, et très longtemps, théocratique, puisque les prêtres avaient pris pour eux la meilleure part. Mais comment les rois souffraient-ils cette distribution? apparemment ils ressemblaient aux rois fainéants: et comment les soldats ne détruisirent-ils pas cette administration ridicule? Je me flatte que les Persans, et après eux les Ptolémées, y mirent bon ordre; et je suis bien aise qu'après les Ptolémées, les Romains, qui réduisirent l'Égypte en province

de l'empire, aient rogné la portion sacerdotale. Tout le reste de cette petite nation, qui n'a jamais monté à plus de trois ou quatre millions d'hommes, n'était donc qu'une foule de sots esclaves. On loue beaucoup la loi par laquelle chacun était obligé d'exercer la profession de son père. C'était le vrai secret d'anéantir tous les talents. Il fallait que celui qui aurait été un bon médecin ou un sculpteur habile restât berger ou vigneron ; que le poltron, le faible, restât soldat; et qu'un sacristain, qui serait devenu un bon général d'armée, passât sa vie à balayer un temple.

La superstition de ce peuple est, sans contredit, ce qu'il y a jamais eu de plus méprisable. Je ne soupçonne point ses rois et ses prêtres d'avoir été assez imbéciles pour adorer sérieusement des crocodiles, des boucs, des singes, et des chats; mais ils laissèrent le peuple s'abrutir dans un culte qui le mettait fort au-dessous des animaux qu'il adorait. Les Ptolémées ne purent déraciner cette superstition abominable, ou ne s'en soucièrent pas. Les grands abandonnent le peuple à sa sottise, pourvu qu'il obéisse. Cléopâtre ne s'inquiétait pas plus des superstitions de l'Égypte, qu'Hérodote de celles de la Judée.

Diodore rapporte que du temps de Ptolémée Aulètes, il vit le peuple massacrer un Romain qui avait tué un chat par mégarde. La mort de ce Romain fut bien vengée, quand les Romains dominèrent. Il ne reste, Dieu merci, de ces malheureux prêtres d'Égypte, qu'une mémoire qui doit être à jamais odieuse. Apprenons à ne pas prodiguer

notre estime.

QUATRIÈME DIATRIBE DE L'ABBÉ BAZIN.
Sur un peuple à qui on a coupé le nez et laissé les
oreilles.

Il y a bien des sortes de fables; quelques unes ne sont que l'histoire défigurée, comme tous les anciens récits de batailles, et les faits gigantesques dont il a plu à presque tous les historiens d'embellir leurs chroniques. D'autres fables sont des allégories ingénieuses. Ainsi Janus a un double visage qui représente l'année passée et l'année commençante. Saturne, qui dévore ses enfants, est le temps qui détruit tout ce qu'il a fait naître. Les muses, filles de la Mémoire, vous enseignent que sans mémoire on n'a point d'esprit; et que, pour combiner des idées, il faut commencer par retenir des idées. Minerve, formée dans le cerveau du maître des dieux, besoin d'explication. Vénus, la déesse de la beauté, accompagnée des Grâces, et mère de l'Amour, la ceinture de la mère, les flèches, et le bandeau du fils, tout cela parle assez de soi-même.

n'a pas

Des fables qui ne disent rien du tout, comme Barbe bleue et les contes d'Hérodote, sont le fruit d'une imagination grossière et déréglée qui veut amuser des enfants et même malheureusement des hommes: l'Histoire des deux voleurs qui venaient toutes les nuits prendre l'argent du roi Rampsinitus, et de la fille du roi, qui épousa un des deux voleurs, l'Anneau de Gygès, et cent autres facéties, sont indignes d'une attention sérieuse.

Mais il faut avouer qu'on trouve dans l'ancienne histoire des traits assez vraisemblables qui ont été négligés dans la foule, et dont on pourrait tirer quelques lumières. Diodore de Sicile, qui avait consulté les anciens historiens d'Égypte, nous rapporte que ce pays fut conquis par des Éthiopiens je n'ai pas de peine à le croire; car j'ai déjà remarqué que quiconque s'est présenté pour conquérir l'Égypte en est venu à bout en une campagne; excepté nos extravagants croisés, qui y furent tous tués ou réduits en captivité, parce qu'ils avaient affaire, non aux Égyptiens, qui n'ont jamais su se battre, mais aux mamelucs, vainqueurs de l'Égypte, et meilleurs soldats que les croisés. Je n'ai donc nulle répugnance à croire qu'un roi d'Égypte, nommé par les Grecs Amasis, cruel et efféminé, fut vaincu, lui, et ses ridicules prêtres, par un chef éthiopien nommé Actisanes, qui avait apparemment de l'esprit et du courage.

Les Égyptiens étaient de grands voleurs; tout le monde en convient. Il est fort naturel que le nombre des voleurs ait augmenté dans le temps de la guerre d'Actisanes et d'Amasis. Diodore rapporte, d'après les historiens du pays, que le vainqueur voulut purger l'Égypte de ces brigands, et qu'il les envoya vers les déserts de Sinaï et d'Oreb, après leur avoir préalablement fait couper le bout du nez, afin qu'on les reconnût aisément, s'ils s'avisaient de venir encore voler en Égypte. Tout cela est très probable.

Diodore remarque avec raison que le pays où on les envoya ne fournit aucune des commodités de la vie, et qu'il est très difficile d'y trouver de l'eau et de la nourriture. Telle est en effet cette malheureuse contrée depuis le désert de Pharam jusque auprès d'Éber.

Les nez coupés purent se procurer, à force de soins, quelques eaux de citerne, ou se servir de quelques puits qui fournissaient de l'eau saumâtre et malsaine, laquelle donne communément une espèce de scorbut et de lèpre. Ils purent encore,, ainsi que le dit Diodore, se faire des filets avec lesquels ils 'prirent des cailles. On remarque en effet que tous les ans des troupes innombrables de cailles passent au-dessus de la mer Rouge, et viennent dans ce désert. Jusque-là cette histoire

n'a rien qui révolte l'esprit, rien qui ne soit vraisemblable.

Mais si on veut en inférer que ces nez coupés sont les pères des Juifs, et que leurs enfants, accoutumés au brigandage, s'avancèrent peu à peu dans la Palestine, et en conquirent une partie, c'est ce qui n'est pas permis à des chrétiens. Je sais que c'est le sentiment du consul Maillet, du savant Fréret, de Boulanger, des Herbert, des Bolingbroke, des Toland. Mais quoique leur conjecture soit dans l'ordre commun des choses de ce monde, nos livres sacrés donnent une tout autre origine aux Juifs, et les font descendre des Chaldéens par Abraham, Tharé, Nachor, Sarug, Rehu', et Phaleg.

Il est bien vrai que l'Exode nous apprend que les Israélites, avant d'avoir habité ce désert, avaient emporté les robes et les ustensiles des Égyptiens, et qu'ils se nourrirent de cailles dans le désert; mais cette légère ressemblance avec le rapport de Diodore de Sicile, tiré des livres d'Égypte, ne nous mettra jamais en droit d'assurer que les Juifs descendent d'une horde de voleurs à qui on avait coupé le nez. Plusieurs auteurs ont en vain tâché d'appuyer cette profane conjecture sur le psaume LXXX, où il est dit « que « la fête des trompettes a été instituée pour faire « souvenir le peuple saint du temps où il sortit de « l'Égypte, et où il entendit alors parler une « langue qui lui était inconnue. »>

supérieur. Moins nous pouvons y atteindre, plus nous devons les respecter.

Quelques écrivains ont soupçonné que ces voleurs chassés sont les mêmes que les Juifs qui errèrent dans le désert, parce que le lieu où ils restèrent quelque temps s'appela depuis Rhinocolure, nez coupé, et qu'il n'est pas fort éloigné du mont Carmel, des déserts de Sur, d'Éthan, de Sin, d'Oreb, et de Cadès-Barné.

On croit encore que les Juifs étaient ces mêmes brigands, parce qu'ils n'avaient pas de religion fixe; ce qui convient très bien, dit-on, à des voleurs; et on croit prouver qu'ils n'avaient pas de religion fixe, par plusieurs passages de l'Écri

ture même.

Juifs, prétend que la religion juive ne fut établie L'abbé de Tilladet, dans sa dissertation sur les que très long-temps après. Examinons ses raisons.

4o Selon l'Exode, Moïse épousa la fille d'un prêtre de Madian, nommé Jéthro; et il n'est point dit que les Madianites reconnussent le même dieu qui apparut ensuite à Moïse dans un buisson vers le mont Oreb.

2o Josué, qui fut le chef des fugitifs d'Égypte après Moïse, et sous lequel ils mirent à feu et à sang une partie du petit pays qui est entre le Jourdain et la mer, leur dit, chap. xxiv: « Otez du milieu « de vous les dieux que vos pères ont adorés dans « la Mésopotamie et dans l'Égypte, et servez Ado« naï..... Choisissez ce qu'il vous plaira d'adorer, Ces Juifs, dit-on, étaient donc des Égyptiens« sopotamie, ou les dieux des Amorrhéens dans la << ou les dieux qu'ont servis vos pères dans la Méqui furent étonnés d'entendre parler au-delà de la mer Rouge un langage qui n'était pas celui d'É

« terre desquels vous habitez. »

gypte; et de là on conclut qu'il n'est pas hors degion n'était pas encore fixée, c'est qu'il est dit au 5o Une autre preuve, ajoute-t-on, que leur relivraisemblance que les Juifs soient les descendants de ces brigands que le roi Actisanes avait chassés.

Un tel soupçon n'est pas admissible. Premièrement parce que s'il est dit dans l'Exode que les Juifs enlevèrent les ustensiles des Égyptiens avant d'aller dans le désert, il n'est point dit qu'ils y aient été relégués pour avoir volé. Secondement, soit qu'ils fussent des voleurs ou non, soit qu'ils fussent Égyptiens ou Juifs, ils ne pouvaient guère entendre la langue des petites hordes d'Arabes bédouins qui erraient dans l'Arabie déserte au nord de la mer Rouge; et on ne peut tirer aucune induction du psaume LXXX, ni en faveur des Juifs, ni contre eux. Toutes les conjectures d'Hérodote, de Diodore de Sicile, de Manéthon, d'Ératosthène, sur les Juifs, doivent céder sans contredit aux vérités qui sont consacrées dans les livres saints. Si ces vérités, qui sont d'un ordre supérieur, ont de grandes difficultés, si elles atterrent nos esprits', c'est précisément parce qu'elles sont d'un ordre

livre des Juges, chap. 1er, « Adonai (le Seigneur) « conduisit Juda, et se rendit maître des mon« tagnes : mais il ne put se rendre maître des << vallées. »

L'abbé de Tilladet et Boulanger infèrent de là que ces brigands, dont les repaires étaient dans les creux des rochers dont la Palestine est pleine, reconnaissaient un dieu des rochers et un des vallées.

4o Ils ajoutent à ces prétendues preuves ce que Jephté dit aux chefs des Ammonites, chap. 11, « Ce « que Chamos votre dieu possède ne vous est-il « pas dû de droit? de même ce que notre dieu « vainqueur a obtenu doit être en notre pos

<< session. »

M. Fréret infère de ces paroles que les Juifs reconnaissaient Chamos pour dieu aussi bien qu'Adonaï et qu'ils pensaient que chaque nation avait sa divinité locale.

5o On fortifie encore cette opinion dangereuse par ce discours de Jérémie, au commencement du

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