Images de page
PDF
ePub

coniques. Il découvrit, indépendamment de Galilée, | leur existence; puisqu'il est souverainement bon, les lois générales du mouvement, et les développa | l'univers doit être le meilleur des univers possibles; mieux que lui: il se trompa sur celle du choc des corps, mais il a imaginé le premier de les chercher, et ila montré quels principes on devait employer dans cette recherche. On lui doit surtout d'avoir banni de la physique tout ce qui ne pouvait se ramener à des causes mécaniques ou calculables, et de la philosophie l'usage de l'autorité.

[ocr errors]

souverainement sage, il règle cet univers par les lois les plus simples. Si tous les phénomènes peuvent se concevoir, en ne supposant que des substances simples, il ne faut pas en supposer de composées, ni par conséquent d'étendues, susceptibles d'une division indéfinie. Or des êtres simples, pourvu qu'on leur suppose une force active, sont susceptibles de produire tous les phénomènes de l'étendue, tous ceux que présentent les corps en mouvement.

Quelques êtres simples ont des idées; telles sont les âmes humaines; tous seront donc susceptibles d'en avoir: mais leurs idées seront distinctes ou confuses, selon l'ordre que ces êtres occupent dans l'univers. L'âme de Newton, l'élément d'un bloc de marbre, sont des substances de la même nature; l'une a des idées sublimes, l'autre n'en a que de confuses.

Newton a l'honneur unique jusqu'ici d'avoir découvert une des lois générales de la nature; et quoique les recherches de Galilée sur le mouvement uniformément accéléré, celles de Huygens sur les forces centrales dans le cercle, et surtout la théorie des développées, qui permettait de considérer les éléments des courbes comme des arcs de cercle, lui eussent ouvert le chemin, cette découverte doit mettre sa gloire au-dessus de celle des philosophes ou des géomètres qui même auraient eu un génie égal au sien. Kepler n'avait trouvé que les lois du mouvement et des corps célestes; et Newton trouva la loi générale de la nature dont ces règles dépen-nable. Ce n'est point en vertu de sa nature que dent. La découverte du calcul différentiel le place au premier rang des géomètres de son siècle; et ses découvertes sur la lumière, à la tête de ceux qui ont cherché dans l'expérience le moyen de connaître les lois des phénomènes.

Leibnitz a disputé à Newton la gloire d'avoir trouvé le calcul différentiel; et, en examinant les pièces de ce grand procès, on ne peut sans injustice refuser à Leibnitz au moins une égalité tout entière. Observons que ces deux grands hommes se contentèrent de l'égalité, se rendirent justice, et que la dispute qui s'éleva entre eux fut l'ouvrage du zèle de leurs disciples. Le calcul des quantités exponentielles, la méthode de différencier sous le signe, plusieurs autres découvertes trouvées dans les lettres de Leibnitz, et auxquelles il semblait attacher peu d'importance, prouvent que, comme géomètre, il ne cédait pas en génie à Newton lui-même. Les idées sur la géométrie des situations, ses essais sur le jeu du solitaire, sont les premiers traits d'une science nouvelle qui peut être très utile, mais qui n'a fait encore que peu de progrès, quoique de savants géomètres s'en soient occupés. Il fit peu en physique, quoiqu'il sût tous les faits connus de tout temps, et même toutes les opinions des physiciens, parce qu'il ne songea point à faire des expériences nouvelles. Il est le premier qui ait imaginé une théorie générale de la terre, formée d'après les faits observés, et non d'après des dogmes de théologie; et cet essai est fort supérieur à tout ce que l'on a fait depuis en ce genre.

Son génie embrassa toute l'étendue des connaissances humaines; la métaphysique l'entraîna; il crut pouvoir assigner les principes de convenance qui avaient présidé à la construction de l'univers. Selon lui, Dieu, par son essence même, est nécessité à ne point agir sans une raison suffisante, à conserver dans la nature la loi de continuité, à ne point produire deux êtres rigoureusement semblables, parce qu'il n'y aurait point de raison de

Cet élément, placé dans un autre lieu, par la suite des temps peut devenir une âme raison

l'âme agit sur les monades qui composent le corps, et celles-ci sur l'àme; mais, en vertu des lois éternelles, l'âme doit avoir certaines idées, les monades du corps certains mouvements. Ces deux suites de phénomènes peuvent être indépendantes l'une de l'autre elles le sont donc, puisqu'une dépendance réelle est inutile à l'ordre de l'univers.

Ces idées sont grandes et vastes; on ne peut qu'admirer le génie qui en a conçu l'ordre et l'ensemble; mais il faut avouer qu'elles sont dénuées de preuves, que nous ne connaissons rien dans la nature, sinon la suite des faits qu'elle nous présente, et ces faits sont en trop petit nombre pour que nous puissions deviner le système général de l'univers. Du moment où nous sortons de nos idées abstraites et des vérités de définition pour examiner le tableau que présente la succession de nos idées, ce qui est pour nous l'univers, nous pouvons y trouver, avec plus ou moins de probabilité, un ordre constant dans chaque partie, mais nous ne pouvons en saisir l'ensemble; et jamais, quelques progrès que nous fassions, nous ne le connaîtrons tout entier.

Leibnitz fut encore un publiciste profond, un savant jurisconsulte, un érudit du premier ordre. Il embrassa tout dans les sciences historiques, politiques, comme dans la métaphysique et dans les sciences naturelles; partout il porte le même esprit, s'attachant à chercher des vérités générales, soumettant à un ordre systématique les objets les plus dépendants de l'opinion et qui semblent s'y refuser le plus.

Malebranche ne fut qu'un disciple de Descartes; supérieur à son maître lorsqu'il explique les erreurs des sens et de l'imagination, modèle plus parfait d'un style noble, simple, animé par le seul amour de la vérité, sans d'autres ornements que la grandeur ou la finesse des idées. Ce style, la seule éloquence qui convienne aux sciences, à des ouvrages faits pour éclairer les hommes, et

siècle.

La Dissertation sur la nature et la propagation du Feu concourut pour le prix de l'académie des sciences en 1758.

Trois pièces furent couronnées : l'une était de Léonard Euler, célèbre dès lors comme l'un des plus grands géomètres de l'Europe. Il établit que le feu est un fluide très élastique contenu dans les corps. Le mouvement, ou l'action de ce fluide, rompt les obstacles qui dans les corps s'opposent à son explosion, et ils brûlent: si ce mouvement ne fait qu'agiter les parties de ces corps, sans dévelop per le feu qu'ils contiennent, ces corps s'échauffent, mais ils ne brûlent pas.

non pour amuser la multitude, était celui de Bacon, | ennemis que des hommes bien au-dessous de leur de Descartes, de Leibnitz. Mais Malebranche, écrivant dans sa langue naturelle, et lorsque la langue et le goût étaient perfectionnés, peut seul, parmi les écrivains du siècle dernier, être regardé comme un modèle; c'est là aujourd'hui presque tout son mérite, et la France, plus éclairée, ne le place plus à côté de Descartes, de Leibnitz, et de Newton. Après ces grands hommes, on admirait Kepler, qui découvrit les lois du mouvement des planètes; Galilée, qui calcula les lois de la chute des corps et celles de leur mouvement dans la parabole, per. fectionna les lunettes, découvrit les satellites de Jupiter et les phases de Vénus, établit le véritable système des corps célestes sur des fondements inébranlables, et fut persécuté par des théologiens ignorants, et par les jésuites, qui ne lui pardonnaient pas d'être un meilleur astronome que les professeurs du grand Jésus: Huygens enfin, à qui l'on doit la théorie des forces centrales, qui condui sit à la méthode de calculer le mouvement dans les courbes, la découverte des centres d'oscillation, la théorie de l'art de mesurer le temps, la découverte de l'anneau de Saturne, et celle des lois du choc des corps. Il fut l'homme de son siècle qui, par la force et le genre de son génie, approcha le plus près de Newton, dont il a été le précurseur.

Voltaire rend ici justice à tous ces hommes illustres; il respecte le génie de Descartes et de Leibnitz, le bien que Descartes a fait aux hommes, le service qu'il a rendu en délivrant l'esprit humain du joug de l'autorité, comme Newton et Locke le guérirent de la manie des systèmes; mais il se permit d'attaquer Descartes et Leibnitz, et il y avait du courage dans un temps où la France était cartésienne, où les idées de Leibnitz régnaient en Allemagne et dans le nord.

On doit regarder cet ouvrage comme un exposé des principales découvertes de Newton, très clair et très suffisant pour ceux qui ne veulent pas suivre des démonstrations et des détails d'expérience.

Euler joignit à sa pièce la formule de la vitesse du son que Newton avait cherchée en vain; et cette addition étrangère, mais fort supérieure à l'ouvrage même, paraît avoir décidé les juges du prix.

Les deux autres pièces, l'une du jésuite Lozerande de Fiesc, et l'autre de M. le comte de Créqui- Canaple, sont d'un genre différent : l'une explique tout par les petits tourbillons de Malebranche, l'autre par deux courants contraires d'un fluide éthéré. L'honneur que recurent ces deux pièces prouve combien la veritable physique, celle qui s'occupe des faits et non des hypothèses, celle qui cherche des vérités et non des systèmes, était alors peu connue, même dans l'académie des sciences. Un reste de cartésianisme, qu'on trouvait dans un ouvrage, paraissait presque un mérite qu'il fallait encourager. Cette sagesse avec laquelle Newton s'était contenté de donner une loi générale qu'il avait découverte sans chercher la cause première de cette loi, que ni l'étude des phénomènes, ni le calcul, ne pouvaient lui révéler: cette sagesse ramenait, disait-on, dans la physique les qualités oclosophique d'ignorer la cause d'un fait, cultes des anciens, comme s'il n'était pas plus phide que créer, pour l'expliquer, des tourbillons, des courants, et des fluides.

Les pièces de madame du Châtelet et de Voltaire sont les seules où l'on trouve des recherches de physique et des faits précis et bien discutés. Les

Lorsqu'il parut, il était utile aux savants même ; il n'existait encore nulle part un tableau aussi précis de ces découvertes importantes; la plupart des phy-juges des prix, en leur accordant cet éloge, déclasiciens les combattaient sans les connaître. Voltaire a contribué plus que personne à la chute du cartésianisme dans les écoles, en rendant populaires les vérités nouvelles qui avaient détruit les erreurs de Descartes : et quand l'auteur d'Alzire daignait faire un livre élémentaire de physique, il avait droit à la reconnaissance de son pays, qu'il éclairait; à celle des savants, qui ne devaient voir dans cet ouvrage qu'un hommage rendu aux sciences et à leur utilité par le premier homme de la littérature.

La réponse à quelques objections faites contre l'ouvrage précédent prouve combien alors la philosophie de Newton était peu connue, et par conséquent combien l'entreprise de Voltaire était utile. Nous remarquerons que, dans la vieillesse de Voltaire et après sa mort, on a répété les mêmes objections tant il est vrai qu'il n'avait plus alors pour

:

rèrent qu'ils ne pouvaient approuver l'idée qu'on y donnait de la nature du feu; déclaration qu'ils auraient dû faire avec encore plus de raison pour deux au moins des ouvrages couronnés. L'académie, à la demande des deux auteurs, fit imprimer ces pièces dans le recueil des prix, à la suite de celles qui avaient partagé ses suffrages.

madame du Châtelet, l'idée que la lumière et la On doit remarquer surtout, dans l'ouvrage de chaleur ont pour cause un même élément; lumineux, lorsqu'il se meut en ligne droite; échauffant, quand ses particules ont un mouvement irrégulier: il échauffe sans éclairer, lorsqu'un trop petit nombre de ses rayons part de chaque point en ligne droite pour donner la sensation de la lumière; il luit sans échauffer, lorsque les rayons en ligne droite, en assez grand nombre pour donner la sensation de

lumière, ne sont pas assez nombreux pour produire | qu'une critique. Les opinions de madame du Châ

celle de chaleur ; c'est ainsi que l'air produit du son ou du vent, suivant la nature du mouvement qui lui est imprimé.

On trouve aussi dans la même pièce l'opinion que les rayons différemment colorés ne donnent pas un égal degré de chaleur; madame du Châtelet annonce ce phénomène que M. l'abbé Rochon a prouvé depuis par des expériences suivies.

Madame du Châtelet admettait enfin l'existence d'un feu central; opinion susceptible d'être prouvée par des observations et des expériences, mais que dans ces derniers temps un assez grand nombre de physiciens ont mieux aimé admettre qu'examiner, parce qu'il est très commode, quand on fait un système, d'avoir une si grande masse de chaleur à sa disposition.

La pièce de Voltaire est la seule qui contienne quelques expériences nouvelles; il y règne cette philosophie modeste, qui craint d'affirmer quelque chose au-delà de ce qu'apprennent les sens et le calcul; les erreurs sont celles de la physique du temps où elle a été écrite; et, s'il nous était permis d'avoir une opinion, nous oserions dire que si l'on met à part la formule de la vitesse du son, qui fait le principal mérite de la dissertation d'Euler, l'ouvrage de Voltaire devait l'emporter sur ses concurrents, et que le plus grand defaut de sa pièce fut de n'avoir pas assez respecté le cartesianisme, et la méthode d'expliquer qui était alors encore à la mode parmi ses juges.

telet s'éloignaient moins de celles de Voltaire.

La dissertation sur les changements arrivés dans le globe parut sans nom d'auteur, et l'on ignora long-temps qu'elle fût de Voltaire. Buffon ne le savait pas lorsqu'il en parla dans le premier volume de l'Histoire naturelle avec peu de ménagement. Voltaire, que les injures des naturalistes ne ramenèrent point, persista dans son opinion. Au reste, il ne faut pas croire que les vérités d'histoire naturelle, que Voltaire a combattues dans cet ouvrage, fussent aussi bien prouvées dans le temps où il s'occupait de ces objets qu'elles l'ont été de nos jours.

On donnait gravement les coquilles fossiles pour des preuves des médailles du déluge de Noé; ceux qui étaient moins théologiens les fesaient servir de base à des systèmes dénués de probabilité, contredits par les faits, ou contraires aux lois de la mécanique. Depuis et avant Thalès on a expliqué de mille façons différentes la formation d'un univers dont on connaît à peine une petite partie.

Bacon, Newton, Galilée, Boyle, qui nous ont guéris de la fureur des systèmes en physique, ne l'ont point diminuée en histoire naturelle. Les hommes renonceront difficilement au plaisir de créer un monde. Il suffit d'avoir de l'imagination et une connaissance vague des phénomènes que l'on veut expliquer; on est dispensé de ces travaux minutieux et pénibles qu'exigent les observations, de ces longs calculs, de ces méditations profondes que demandent les recherches mathématiques. On bannit ces restrictions, ces petits doutes qui im

La dissertation sur les forces vives fut présentée à l'académie des sciences en 1742; cette compagnie en fit l'eloge dans son histoire; elle n'était pasportunent, qui gåtent la rondeur des phrases les alors dans l'usage de faire imprimer les ouvrages qui lui étaient présentés par d'autres que par ses membres.

Voltaire y soutient l'opinion générale des Français et des Anglais contre celle des savants de l'Allemagne et du nord. On commençait à se douter alors que cette mesure des forces, qui partageait tous les savants de l'Europe, était non une question de géométrie ou de mécanique, mais une dispute de métaphysique, et presque une dispute de mots. D'Alembert est le premier qui l'ait dit hautement des philosophes l'avaient soupçonné; mais pour se faire écouter des combattants, il fallait un philosophe qui fût en même temps un grand géomètre.

Madame du Châtelet était en France à la tête des Leibnitziens; l'amitié n'empêcha point Voltaire de combattre publiquement son opinion; et cette opposition n'altéra point leur amitié.

L'ouvrage qui suit est un extrait ou plutôt une critique des institutions physiques de cette femme célèbre; c'est un modèle de la manière dont on doit combattre les ouvrages de ceux que l'on estime; les opinions y sont attaquées sans ménagement; mais l'auteur qui les soutient y est respecté. Il serait difficile que l'amour-propre le plus délicat fût blessé d'une pareille critique.

mieux arrangées: et si le système réussit, si l'on en impose à la multitude, si l'on a le bonheur de n'être qu'oublié des hommes vraiment éclairés, on a pris encore un bon parti pour sa gloire. Newton survécut près de quarante ans à la publication du livre des Principes, et Newton mourant ne comptait pas vingt disciples hors de l'Angleterre : il n'était pour le reste de l'Europe qu'un grand géomètre. Un système absurde, mais imposant, a presque autant de partisans que de lecteurs. Les gens oisifs aiment à croire, à saisir des résultats bien prononcés; le doute, les restrictions les fatiguent; l'étude les dégoûte. Quoi! il faudra plusieurs années d'un travail assidu pour se mettre en état de comprendre deux cents pages d'algèbre qui apprendront seulement comment l'axe de la terre se meut dans les cieux; tandis qu'en cinquante pages bien commodes à lire, on peut savoir, sans la moindre peine, quand et comment la terre, les planètes, les comètes, etc., etc., ont été formées !

Voltaire attaqua la manie des systèmes; et c'est un service important qu'il a rendu aux sciences. Cet esprit de système nuit à leurs progrès en présentant à la jeunesse des routes fausses où elle s'égare, en enlevant aux vrais savants une partie de la gloire qui doit être réservée aux travaux utiles et solides. Prétendre qu'il a répandu le goût des sciences, c'est L'extrait de la pièce sur le feu est plus un éloge dire que la Princesse de Clèves, et les Anecdotes de la

[blocks in formation]

A MADAME

LA

MARQUISE DU CHATELET.

AVANT-PROPOS.

MADAME,

Ce n'est point ici une marquise, ni une philosophie imaginaire. L'étude solide que vous avez faite de plusieurs vérités, et le fruit d'un travail respectable, sont ce que j'offre au public pour votre gloire, pour celle de votre sexe, et pour l'utilité de quiconque voudra cultiver sa raison et jouir sans peine de vos recherches. Toutes les mains ne savent pas couvrir de fleurs les épines des sciences; je dois me borner à tâcher de bien concevoir quelques vérités, et à les faire voir avec ordre et clarté, ce serait à vous à leur prêter des

ornements.

Ce nom de Nouvelle philosophie ne serait que le titre d'un roman nouveau, s'il n'annonçait que les conjectures d'un moderne opposées aux fantaisies des anciens. Une philosophie qui ne serait établie que sur des explications hasardées ne mériterait pas, en rigueur, le moindre examen; car il y a un nombre innombrable de manières d'arriver à l'erreur, et il n'y a qu'une seule route vers la vérité il y a donc l'infini contre un à parier qu'un philosophe qui ne s'appuiera que sur des hypothèses ne dira que des chimères. Voilà pour quoi tous les anciens qui ont raisonné sur la physique, sans avoir le flambeau de l'expérience, n'ont été que des aveugles qui expliquaient la nature des couleurs à d'autres aveugles.

[ocr errors]

Cet écrit ne sera point un cours de physique complet. S'il était tel, il serait immense; une seule partie de la physique occupe la vie de plusieurs hommes, et les laisse souvent mourir dans l'incertitude.

Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire seulement une idée nette de ces ressorts si déliés et si puissants, de ces lois primitives de la nature que Newton a découvertes; à examiner jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, et où il s'est arrêté. Nous commencerons, comme lui, par la lumière : c'est, de tous les corps qui se font sentir à nous, le plus délié, le plus approchant de l'infini en petit; c'est pourtant celui que nous connaissons davantage. On l'a suivi dans ses mouvements, dans ses effets: on est parvenu à l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui de tous les corps dont la nature intime est le plus developpée ; c'est celui qui nous approche le plus près des premiers ressorts de la nature.

On tâchera de mettre ces Éléments à la portée de ceux qui ne connaissent de Newton et de la philosophie que le nom seul. La science de la nature est un bien qui appartient à tous les hommes: tous voudraient avoir connaissance de leur bien, peu ont le temps ou la patience de le calculer; Newton a compté pour eux. Il faudra ici se contenter quelquefois de la somme de ses calculs: tous les jours un homme public, un ministre, se forme une idée juste du résultat des opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux out vu pour lui, d'autres mains ont travaillé, et le mettent en état, par un compte fidèle, de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près

dans le cas de ce ministre.

La philosophie de Newton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de personnes aussi inintelligible que celle des anciens : mais l'obscurité des Grecs venait de ce qu'en effet ils n'avaient point de lumières, et les ténèbres de Newton viennent de ce que sa lumière était trop loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités; mais il les a cherchées, et placées dans un abîme; il faut y descendre, et les apporter au grand jour.

On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle propriété de la matière découverte par Newton. On sera obligé de parler de quelques singularités qui se sont trouvées sur la route dans cette carrière; mais on ne s'écartera point du but.

Ceux qui voudront s'instruire davantage liront les excellentes Physiques des s'Gravesande, des Keill, des Musschenbroek, des Pemberton, et s'approcheront de Newton par degrés.

[blocks in formation]

Lorsque je mis pour la première fois votre nom respectable à la tête de ces Éléments de philosophie, je m'instruisais avec vous. Mais vous avez pris depuis un vol que je ne peux plus suivre. Je me trouve à présent dans le cas d'un grammairien qui aurait présenté un essai de rhétorique à Démosthène ou à Cicéron. J'offre de simples éléments à celle qui a pénétré toutes les profondeurs de la géométrie transcendante, et qui, seule parmi nous, a traduit et commenté le grand Newton.

Ce philosophe recueillit pendant sa vie toute la gloire qu'il méritait; il n'excita point l'envie, parce qu'il ne put avoir de rival. Le monde savant fut son disciple; le reste l'admira sans oser prétendre à le concevoir. Mais l'honneur que vous lui faites aujourd'hui est sans doute le plus grand qu'il ait jamais reçu. Je ne sais qui des deux je dois admirer davantage, ou Newton, l'inventeur du calcul de l'infini, qui découvrit de nouvelles lois de la nature, et qui anatomisa la lumière; ou vous, madame, qui, au milieu des dissipations attachées à votre état, possédez si

bien tout ce qu'il a inventé. Ceux qui vous voient à la cour ne vous prendraient assurément pas pour un commentateur de philosophie; et les savants qui sont assez savants pour vous lire se douteront en

core moins que vous descendez aux amusements de ce monde avec la même facilité que vous vous élevez aux vérités les plus sublimes. Ce naturel et cette simplicité, toujours si estimables, mais si rares avec des talents et avec la science, feront au moins qu'on vous pardonnera votre mérite. C'est en général tout ce qu'on peut espérer des personnes avec lesquelles on passe la vie ; mais le petit nombre d'esprits supérieurs qui se sont appliqués aux mêmes études que vous aura pour vous la plus grande vénération, et la postérité vous regardera avec étonnement. Je ne suis pas surpris que des personnes de votre sexe aient régné glorieusement sur de grands empires. Une femme, avec un bon conseil, peut gouverner comme Auguste mais pénétrer par un travail infatigable dans des vérités dont l'approche intimide la plupart des hommes, approfondir dans ses heures de loisir ce que les philosophes les plus instruits étudient sans relâche, c'est ce qui n'a été donné qu'à vous, madame; et c'est un exemple qui sera bien peu imité, etc.

ÉCLAIRCISSEMENTS NECESSAIRES

DONNÉS PAR VOLTAIRE LE 20 MAI 1738,

SUR LES ÉLÉMENTS DE LA PHILOSOPHIE DE NEWTON 1.

Ayant enfin reçu un exemplaire de mes Eléments de Newton, je me suis cru dans la nécessité indispensable de donner les éclaircissements suivants, qui doivent servir d'introduction, et que les libraires doivent distribuer avec un très grand errata à ceux qui ont lu ce livre.

Éclaircissement sur la lumière.

4o J'entends dire qu'on trouve une espèce de contradiction au chapitre deuxième, où je parle de cette belle expérience que fait sans doute M. Nollet expérience par laquelle la lumière rejaillit et passe du fond d'un cristal en haut; je dis que cette lumière rejaillit aussi du vide même. Il n'y a là aucune contradiction, la chose n'est pas moins certaine qu'étonnante; il est indubitable qu'un rayon de lumière, tombant sous un certain angle comme de 42 degrés sur un cristal, n'entre que très peu dans l'air qui touche le fond de ce cristal, mais rentre presque tout entier dans le

' Ces Eclaircissements furent imprimés au-devant de l'édition de 1758 des Eléments de la philosophie de Newton. Ils portent sur l'édition d'Amsterdam dont les premiers chapitres seulement sont de Voltaire.

« PrécédentContinuer »