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Illogique surtout; car, puisque la loi reconnaît, pour les récidivistes, la nécessité d'aggraver la peine, en dehors du cercle de la latitude ordinaire; et puisqu'elle permet à leur égard d'élever jusqu'au double la mesure normale du maximum; est-ce que, pour être conséquente, elle ne devrait pas reconnaître aussi la nécessité d'alléger la répression des délinquants primaires, en dehors du cercle de cette latitude; et, par suite, permettre qu'on pût, à leur égard, abaisser la répression au-dessous du minimum des pénalités édictées ? Sans cela, je vous le demande, comment la rigueur sera-t-elle légitime envers les récidivistes, si [elle n'a sa justification et en quelque sorte son correctif, dans la mansuétude admise envers ceux dont la situation, devant la justice, est l'exacte contrepartie de l'état de récidive?

La répression n'est équitable que lorsque ses sévérités ont leur juste contre-poids dans sa clé mence (1)!

Mais je veux aller plus loin, et l'on va voir jusqu'à quel point le système que j'ose combattre est essentiellement irrationnel. Ici, mon raisonnement semble acquérir une précision toute mathématique.

« La théorie des circonstances atténuantes, di

nommé A..., crémier, marié, père de famille, sans antécédents judiciaires, en vertu de la loi du 27 mars 1851, à vingt jours de prison, 50 fr. d'amende et à l'affiche du jugement, pour mise en vente de lait falsifié. Le condamné, la veille du jour où la Cour devait statuer sür son appel, s'est suicidé, écrivant à sa malheureuse femme qu'il ne pouvait survivre au déshonneur de cette peine d'emprisonnement. (1) ◄ Justicia et misericordía co-ambulent. ›

<< sais-je en 1844, est une des plus belles conquêtes << de la philosophie moderne; par elle, la Justice se « trouve avoir aujourd'hui, dans sa balance, des me«sures parfaitement égales de sévérité et d'indul<< gence. Elle peut enfin, pesant d'une main les <«< circonstances aggravantes, et de l'autre, les cir« constances atténuantes, rétablir ou conserver toujours l'équitable et vraie proportion entre le délit et « le châtiment. Après une longue série d'efforts et de «<luttes, notre orgueilleuse civilisation en est péni<< blement revenue à ce limpide précepte du Deutéro«< nome: « Pro mensurâ peccati erit et plagarum nume« rus (1).

Par ces paroles j'exprimais à mon insu plutôt l'aspiration élevée de la Justice absolue que l'exacte vérité des faits.

En effet, puisqu'au cas de circonstances aggravantes la loi élève généralement la peine au-dessus de la latitude afférente aux méfaits non aggravés, est-ce qu'il n'y a pas égale justice et convenance, au cas de circonstances atténuantes, d'abaisser la peine au-dessous de la latitude afférente aux méfaits non atténués? Or, pour que la loi ait dans sa balance, ainsi je le disais, des mesures parfaitement égales de sévérité et d'indulgence, c'est-à-dire pour qu'elle soit rigoureusement logique, est-ce qu'il n'est pas indispensable qu'elle pose, en regard de cette surélévation de peine qu'elle inflige, aux méfaits aggravés, un surabaisse

(1) Bonneville, De la récidive, t. I,
p. 22.

que

ment de répression en faveur des méfaits atténués? Qu'en un mot, le juge ait la faculté, dans le second cas, d'abaisser la répression au-dessous de l'extrême limite des pénalités comme, dans le premier, il a le pouvoir de l'élever au-dessus du maximum ?...

Et pourtant, je le répète, dans le système de la plupart des Codes modernes, ce surabaissement de la répression est impossible en matière de délits, par la raison qu'on n'y trouve aucune mesure juridique, dont le juge puisse faire usage, au-dessous du dernier échelon de la peine proprement dite: au-dessous de l'emprisonnement et de l'amende (1).

Il y a là évidemment une lacune à combler, soit pour parer aux inconvénients que j'ai signalés, soit pour rendre à l'administration de la justice répressive son caractère de raison absolue, d'équité distributive et de rigoureuse logique !

SECTION III.

DE L'ADMONITION CANONIQUE.

Entre le droit pénal purement répressif (vindicta) et le droit pénal, qui tend à prévenir et à réformer (pæna medicinalis), il y a tout l'espace qui sépare le paganisme des fraternelles et généreuses idées du christianisme (1).

(1) Jus criminale, jam apud antiquissimos populos, et apud ipsos Romanos, eam præcipue rationem puniendi secutum est, ut, quod corporeæ hominum naturæ consonum magis videatur esse, iræ et ultioni

On ne devra donc pas s'étonner que l'église, qui a tant contribué aux progrès du droit criminel, ait été la première à inaugurer les salutaires principes de l'admonition et à y convier les chefs d'états;

« Vides, écrivait le page Grégoire II à l'Empereur Léon Isaure, et pontificum et imperatorum discrimen ? Si quispiam te offenderit, domum ejus publicas et spolias, solam illi vitam relinquens, tandemque illum etiam vel suspendio necas, vel capite truncas, vel relegas; eumque a liberis et ab omnibus cognatis et amicis suis amandas. Pontifices non ità. Sed ubi peccaverit quis et confessus fuerit, suspendii vel amputationis capitis loco, Evangelium et crucem cervicibus ejus circumponunt (1). »

En effet, l'Église croyait ne devoir frapper un coupable de censure ou autre peine, que lorsqu'elle s'était efforcée de le ramener au devoir par la voie maternelle de l'admonition. « Eum, quem pœnâ emendare volumus, psychologica quædam experientia non priùs pænd afficiendum esse nos docet, quam pœná reverd, ut ita dicam, dignum sese esse, CONTUMACEM nimirum se ostenderit. Inesse viro criminoso talem con

offensi satisfiat, Longè verò aliud fuit ingenium doctrinæ christianæ, quæ eum ad omnem hominum vitam et naturam ordinandam sese pertinere profiteatur, tum hac quoque in disciplinâ plurimum valens, divinam gratiam perdi non posse nequitiâ humanâ ideoque puniendum esse voluit, ut peccatores emendentur atque in gremium salutis redeant. Itaque primis seculis, ex quo Christi præcepta omnem antiquitatis rationem funditus subverterent, omnes pœnæ ecclesiasticæ censuræ erant; id est pœnæ nimirum medicinales. (Mendelssohn-Bartholdy, De monitione canonicâ, Heidelbergæ, 1860.)

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(1) Van Espen. opera omnia, part. III, tit. xI. De pœnis, 2.

tumaciam, judicare qui possunt nisi anteà animum ejus quasi tentaverint, quæsierintve, num penitus obduratus sit? Itaque ADMONITIO quædam præcedere sententiam penalem censuræ debet, quá nùm verè contumax peccator sit, demonstretur. »

à

Et dans sa mansuétude, elle ne se bornait pas une seule admonition. Elle exigeait, avant de punir, que le coupable eût été par trois fois averti, dans des termes et suivant un mode différents.

a Tribus igitur admonitionibus, duabus quidem privatis, tertia coram congregatione communionis, pro nihilo habitis, Christus peccatorem tanquàm contumacem et incorrigibilem pœnæ ecclesiasticæ vinculo astringendum, eamque pœnam medicinalem esse vult (1). »

On comprend que ce mode préventif n'était possible que pour les infractions peu graves, et qu'il eût été un abus, à l'égard des méfaits impliquant, pour la religion ou la société, un grand scandale et un dommage considérable.

Aussi cette exception, commandée par la raison autant que par la nécessité des choses, avait-elle été formellement consacrée par le pape Alexandre III, dans le concile de Latran, en 1159:

« Præsenti decreto statuimus, ut nec prælati, nisi canonicâ monitione præmissâ, suspensionis vel excommunicationis sententiam ferant in subjectos, nisi fortè talis sit culpa, quæ ipso suo genere, suspensionis vel excommunicationis poenam inducat (2). » ропат

(1) Mendelssohn-Bartholdy, ibid., I, p. 11. (2) C. 26, X, De appell. 2, 28.

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