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mônes qu'il mendiait des passants. Le prévenu se borne à dire qu'il a reçu ces aumônes, mais qu'il ne les a pas sollicitées.

Je ne crois pas, dit le juge (M. Beadon), qu'il soit possible de trouver une accusation de mendicité mieux établie; quand vous pérorez dans les rues ou les parcs, et que vous recevez des pièces de monnaie, vous rentrez dans la catégorie des mendiants, et vous êtes passible des pénalités portées par les lois qui prohibent la mendicité. Je ne veux pas, puisque c'est la première fois que cela vous arrive, vous envoyer en prison; mais à l'avenir, je ne reculerai pas devant cette mesure. Si vous voulez vous conformer désormais à la loi, je vais vous ACQUITTER; si vous la transgressez de nouveau, je vous condamnerai à la prison.

« Le prévenu: Je remercie Votre Honneur de son obligeance; mais je ne croyais pas violer la loi.

Le juge: Je vous répète que ce que vous avez fail est contraire à la loi, et que si vous recommencez, je la ferai exécuter.

• Samuel Owen se retire en remerciant de nouveau le magistrat (1). › >

J'ai voulu, par cette citation, qu'on vît agir et fonctionner la mesure facultative de l'admonition admise par la loi anglaise.

En France, le Tribunal le plus indulgent n'eût pu se dispenser de prononcer quinze jours ou un mois d'emprisonnement!

Témoin l'exemple ci-après que j'emprunte à notre Gazette des Tribunaux, et que je trouve reproduit dans le Moniteur du 8 janvier 1861:

Julie Sérigal est une de ces femmes dont l'existence est un long martyre. Son mari, ouvrier serrurier, boit tout ce qu'il gagne : trois fois il a vendu son mobilier, et c'est avec le salaire de son état de lingère que la malheureuse doit pourvoir aux besoins de sa famille. Le 14 du mois dernier elle était aux abois, ne sachant où trouver le pain du jour, lorsqu'une voisine vient la prier d'aller lui faire enregistrer un bail sous seing privé, et lui remet 10 fr. à cet effet. Le lendemain 15, son mari devait toucher 33 fr., montant de son salaire de la semaine. Elle pensa qu'elle pouvait attendre au lendemain pour faire enregistrer

(1) Gazette des Tribunaux, octobre 1860.

le bail et disposa des 10 fr. à elle confiés pour payer de petites deltes à ses fournisseurs et avoir quelques provisions pour elle et ses enfants. Mais, le lendemain, la paye du mari n'arrive pas; dans le courant de la semaine, il avait demandé des à-compte et ne rapportait que 8 fr. à la maison. La voisine, apprenant que son bail n'est pas enregistré, va aussitôt porter plainte, et Julie Sérigal est arrêtée.

La malheureuse femme, jeune encore (elle n'avait pas trente ans), mais étiolée par le travail, la misère et la souffrance, raconte simplement son histoire. Elle n'a voulu faire de tort à personne, dit-elle; elle avait la conviction de remplacer le lendemain l'argent dont elle avaitdisposé; elle ajoute qu'avec les 8 fr. que son mari lui a apportés et une petite somme qu'elle a empruntée, elle a complété les 10 fr. nécessaires à l'enregistrement du bail.

M. le président : Ainsi, le bail serait enregistré?

La prévenue: Oui, monsieur, et quand je l'ai remis à madame Vincent, elle a bien regretté de m'avoir fait arrêter.

En présence de tant et de si touchantes circonstances atténuantes réunies, le tribunal aurait été heureux de pouvoir acquitter la pauvre femme; mais le délit étant constant, la loi a dû être appliquée; elle l'a été dans la mesure la plus large de l'indulgence, quinze jours de prison. (Gazette des Tribunaux.)

Ainsi, en France, la plus grande bienveillance du juge se traduit toujours nécessairement par l'application d'une peine; et d'une peine d'incarcération, si l'inculpé est dans l'indigence. En Angleterre, la loi n'a jamais songé à enchaîner l'indulgence du juge; elle lui maintient la plus belle et la plus sainte des prérogatives; « la souveraine appréciation suivant l'impression de sa conscience! »

Telle est la différence des deux systèmes, et cette différence est surtout frappante alors qu'il s'agit d'inculpés qui, à part le léger délit qu'on leur reproche, sont sous tous les rapports honorables.

C'est à ces bienveillantes pratiques qu'il faut surtout attribuer la popularité et le respect dont jouit en Angleterre la justice répressive!

C'est dans ce même esprit et avec ce caractère purement miséricordieux que l'admonition vient d'être rétablie dans le nouveau Code portugais. Elle n'y figure plus au nombre des peines. Elle est une simple mesure d'avertissement que le juge a la faculté de substituer à la peine.

Les articles qui régissent l'admonition sont ainsi

conçus :

« Art. 81. Ne sont pas considérées comme peine :

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« § 4. L'admonition que le juge peut substituer à l'applica<<tion de la peine dans le cas de l'article 119.

« Art. 119. Toutefois les juges pourront, lorsqu'il existera des cira constances atténuantes exceptionnelles et lorsque le délinquant aura « toujours tenu une conduite irréprochable, se borner à l'admonester « (admonestar-le), en l'avertissant qu'à la prochaine infraction il en« courra, comme récidiviste, la peine prévue par la loi.

« § unique. Les juges devront ne pas oublier que l'admonition « n'est pas une réprimande (reprehensao), mais un avertissement (ad« vertencia) en termes convenables, fait sans appareil anormal de « publicité, à ceux qui n'ont pas encore perdu tout sentiment du de<<< voir. >>

On voit que l'admonition, ainsi entendue, est l'entière réalisation du système que j'ai ci-dessus développé. Elle consacre, en les légalisant et améliorant, les usages bienveillants de la justice anglaise. Elle reproduit les sages prescriptions des Codes de Bavière et d'Italie, auxquelles l'expérience imprime une si précieuse autorité pratique. J'ajoute, en terminant, qu'elle n'est pas seulement une mesure généreuse et humaine, mais qu'elle a surtout l'avantage de compléter logiquement l'harmonieux ensemble de la législation pénale.

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QUE L'ADMONITION EST PLUS QUE JAMAIS DANS L'ESPRIT DES MOEURS

MODERNES.

L'avertissement public, même en présence d'une infraction caractérisée, est tellement dans nos mœurs que la loi le consacre dans une des plus hautes matières de notre droit national.

On sait que les articles 201 à 206 du Code pénal prononcent diverses peines contre les membres du clergé dont les discours ou mandements blessent les droits de l'autorité. Or, à côté de ces articles de pénalité, le Gouvernement lui-même admet, comme tempérament et à titre purement gracieux, l'usage des articles 6 et 8 de la loi du 18 germinal an X, qui permettent de déférer, comme d'abus, ces mêmes infractions à la juridiction du Conseil d'État; d'où il résulte que ce grand corps politique a le pouvoir, selon l'exigence des cas, ou de renvoyer l'affaire à la juridiction criminelle, chargée de l'application du Code pénal, ou de la terminer en la forme administrative par une simple déclaration d'abus. « Cette déclaration, ainsi que l'observait M. le conseiller d'État Suin, n'est pas une peine, mais un avertissement salutaire (1). »

(1) Rapp. de M. Suin, Conseiller d'État du 16 mars 1861, sur le mandement de Mgr l'évêque de Poitiers. Les fautes reprochées à ce prélat constituaient, dit M. Suin, un crime et un délit caractérisés. Ils

C'est l'admonition publique substituée, eu égard aux circonstances atténuantes, aux peines sévères que prononce le Code pénal. Et cette faculté alternative de châtiment ou d'admonition reste confiée à la prudence discrétionnaire du Conseil d'État.

Qu'on me permette de citer un autre exemple qui atteste à quel point la généreuse mesure de l'admonition est dans la pensée de tous les hommes éminents en France.

Personne n'ignore la disposition de l'article 42 de la Constitution impériale, modifié par le décret organique du 7 février 1852. Cet article exige que le compte rendu des séances du Sénat et du Corps législatif ne soit publié, dans les journaux, que par la reproduction des débats, insérés in extenso, ou du compte rendu rédigé sous l'autorité du président.

<< Toute contravention à l'art. 42 de la Constitution, dit le décret organique de 1852, sera punie d'une amende de 1,000 à 5,000 fr. »

Or, récemment, M. le baron de Ravinel signalait au Corps législatif une suppression, faite par le journal le Siècle, de vingt-quatre lignes de ce compte rendu officiel, tout en déclarant que son intention n'était pas de réclamer un acte de sévérité.

auraient dû motiver le renvoi devant la juridiction criminelle. Le Conseil d'État, en optant pour la simple admonition administrative, a admis des circonstances atténuantes. Il a considéré que ce prélat était traduit pour la première fois; qu'il avait écrit son mandement dans la chaleur d'un débat sur une question irritante; qu'enfin le mandement n'avait éveillé aucun écho dans le cœur des fidèles. (Ibid.)

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