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CHAPITRE IX.

Des pénalités pécuniaires.

SOMMAIRE.

I. De l'amende comme peine par excellence.

§ 1.

Que l'amende est, de toutes les peines, la plus généreuse, la plus libérale, la plus divisible, la plus économique, souvent la plus analogue au délit et la plus efficace.

§ 2.-Ancien abus des amendes et des confiscations. Que, par une exagération contraire, l'amende n'a plus, dans nos lois modernes, le rôle important que sa nature lui assigne.

II. Que l'amende devrait être la peine principale ou accessoire de toute infraction.

§ 1.

Que très-souvent, l'amende suffit comme peine unique. - Qu'au cas d'insuffisance, on doit l'édicter comme peine accessoire, sauf a compléter au besoin la répression par les peines d'incarcération et autres.

§ 2. Efficacité spéciale de la peine d'amende appliquée aux méfaits de cupidité.

§ 3.

Son efficacité réelle pour la plupart des autres infractions.

On a vu que, depuis 1826, date de la création des statistiques criminelles, le nombre des méfaits en France avait constamment suivi une marche ascendante, en dehors de proportion avec l'accroissement annuel de la population (1), et qu'à partir de 1854 seulement, le Gouvernement impérial était parvenu d'abord à arrêter ce flot envahissant de la criminalité,

(1) Tome 1er, p. 2 et suiv.

puis à le faire peu à peu rétrograder (1). Toutefois, ce progrès de la moralité sociale, tel heureux et remarquable qu'il soit, est loin encore de satisfaire aux légitimes exigences de notre civilisation. Nous devons redoubler d'efforts pour restreindre de plus en plus ce nombre annuel d'infractions (2), qui, à part les périls et les hontes qu'il inflige au pays, constitue, pour sa prospérité, une énorme et incontestable source de préjudices matériels.

Dans cet état de choses, il nous a paru opportun de rechercher si, par une heureuse modification de notre théorie actuelle des amendes, il ne serait pas facile de fortifier, dans une certaine mesure, l'action préventive et répressive des lois pénales, et de puiser, dans cette réforme même, soit un allégement aux charges annuelles de l'expiation, soit une précieuse ressource pour les classes indigentes ou pour les communes, soit un fonds de secours en faveur des citoyens lésés par le crime ou victimes des erreurs judiciaires (3).

L'esprit le moins observateur a pu remarquer les étranges anomalies qu'offre, en ce qui touche les amendes, notre système pénal.

(1) V. la série des stat. crim. de 1851 jusqu'à ce jour. Le rapport décennal de 1851 à 1860 prouve que, pendant ces dix années, le nombre des crimes a progressivement diminué en France. » (Rapp. du Garde des sceaux du 27 avril 1863, Moniteur du 24 avril 1863.)

(2) D'après la dernière stat. crim. de 1862, le nombre des accusations soumises au jury, y compris celles des trois nouveaux départements annexés, était encore de 3,906, et celui des délits de 145,246. (Stat. de 1862, Rapp. p. vi et XII.)

(3) V. les chapitres 18 et 19 ci-après.

SECTION PREMIÈRE.

DE L'AMENDE COMME PEINE PAR EXCELLENCE.

§ 1. Qu'elle est la plus généreuse, la plus libérale, la plus divisible, la plus économique, souvent la plus analogue au délit et la plus efficace.

Qu'est-ce donc que la peine? une souffrance dont la loi menace ou frappe les citoyens pour les détourner de l'infraction. Cette souffrance ne sera sérieuse et redoutée qu'autant qu'elle affligera le coupable dans un de ses plus ardents foyers de sensibilité physique ou morale, à savoir : dans sa vie, dans son honneur, dans sa liberté, dans sa richesse ou son bien-être. Toute souffrance qui n'atteint pas ce but n'est qu'une pénalité illusoire et vaine.

Théoriquement parlant, le bien le plus précieux de l'homme semble devoir être tout d'abord la vie, puis l'honneur, puis la liberté, puis la fortune. Mais trop souvent, dans la réalité des choses, cette gradation normale est renversée. Beaucoup n'hésitent pas à sacrifier au soin de leur honneur, leur vie et leur liberté; d'autres font journellement le sacrice de leur vie, de leur liberté et de leur honneur, en vue d'acquérir la richesse; avec cette seule différence, que les uns y tendent par le travail et les entreprises honorables; les autres, par les machinations frauduleuses du crime. Toujours est-il que la richesse semble être redevenue, comme dans les temps primitifs, un des biens les plus vivement recherchés et appréciés.

C'est là un des rapports par lesquels l'extrême civilisation touche à l'extrême barbarie.

Or, plus la richesse s'élève dans l'ordre des prédilections humaines, plus il semble rationnel d'en faire un des leviers ordinaires et principaux de pénalité. Et puis, n'est-on pas généralement d'accord que, chez une nation libre et chrétienne, le mode et la mesure des peines doivent être combinés de façon à ménager, autant que possible, la vie, l'honneur et la liberté du coupable? Pourquoi ?-Par cette double raison que le coupable, malgré son méfait, est encore, suivant la belle expression d'une vieille loi italienne «figlio anche della società, » et que, d'autre part, la loi pénale ayant pour mission première de relever et réformer les condamnés, doit s'efforcer de ménager, autant qu'elle le peut, leur considération.

L'amende, outre qu'elle respecte la liberté du délinquant, que le droit romain déclarait chose inestimable (1), effleure à peine son honneur (2). A ce point de vue, elle est de toutes les mulctations pénales, sans comparaison, la plus libérale, puisqu'elle se borne à frapper le coupable par la simple privation des jouissances qu'eût pu lui procurer la somme prélevée à titre d'amende (3). C'est dans ce sens géné

(1) « Libertas inestimabilis res est. » (De regul. juris.)

(2) Mulcta pecuniariæ damnum famæ non irrogat. › (C. De mod. mulct.)

(3) Ce généreux principe a prévalu en Espagne, dans la nouvelle loi sur la presse. Cette loi a surtout le mérite, disait un des orateurs (M. Coello y Quesada), de ne prononcer, sauf de très-rares exceptions, que des peines pécuniaires. A ce titre, le projet de loi est infiniment plus libéral que les lois précédentes. (Moniteur espagnol, avril 1861.)

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reux que le droit romain disait encore : « solus fustium ictus gravior quàm pecuniaria damnatio (1)! »

De même, pouvons-nous dire : « Un seul jour d'emprisonnement est, dans certains cas, une condamnation plus afflictive que la plus forte peine pécuniaire.» Or, s'il est vrai qu'une justice libérale ne doive jamais infliger que la peine strictement nécessaire pour ramener le délinquant au respect des lois, il en résulte que le juge doit se borner à prononcer l'amende toutes les fois, qu'eu égard au délit en lui-même ou au caractère du coupable, l'amende peut suffire à la répression; et qu'il ne doit y ajouter l'emprisonnement qu'au cas de nécessité absolue.

Ainsi, s'agit-il de coupables dépravés ou endurcis, de récidivistes ou d'individus sans feu ni lieu, se faisant un jeu d'échapper à l'amende par leur insolvabilité, je comprends que force soit de leur appliquer l'emprisonnement; mais lorsqu'il s'agira de délinquants qui (quelle que soit leur situation sociale ou de fortune) ont quelque reste d'honnêteté et pour qui la répression est moins dans la peine que dans le jugement, les magistrats devront, envers eux, se montrer très-avares de l'emprisonnement. La raison de cette diversité de traitement se déduit d'elle-même; c'est que la peine privative de la liberté a pour inévitable effet de flétrir et de déshonorer le coupable; et que, là où elle est inutile au but de la répression, elle est excessive, odieuse, inhumaine et, par suite, féconde en déplorables conséquences.

(1) De pœnis, 1. In servorum, § 3.

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