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en ce sens qu'elle doit motiver l'élévation relative de la peine dans les limites du minimum et du maximum. J'en prends à témoin le législateur lui-même. «Le projet, disait l'orateur du Gouvernement, laisse au juge une certaine latitude pour fixer la quotité de l'amende. Les circonstances qui atténuent ou qui augmentent un délit ne peuvent être toutes prévues par de moyen la loi; il faut donc laisser au juge le portionner l'amende à la faute. »

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Or, la faute augmente par tout ce qui accroît la criminalité. Cela étant, je n'ai pas à prouver ici que la richesse oblige comme la noblesse, comme l'intelligence, comme la situation sociale.

J'ajoute que si, de l'aveu de tous, la misère est une considération atténuante, la richesse est forcément aggravante, au point de vue surtout des peines pécuniaires (1).

L'erreur que je viens de combattre est une de celles qui ont le plus contribué à énerver l'efficacité des peines pécuniaires; mais, du moment qu'elle s'est propagée au point d'abuser chaque jour les esprits les plus éminents, c'est une raison de plus pour que la loi s'efforce de la faire disparaître en décrétant elle-même le salutaire principe de l'arbitration des amendes suivant la fortune des délinquants.

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(2) Ingenui ac nobiles magis execrandi si in statu honestiore pejores. Quo fit ut ad illum perveniri exitum rei hujus necesse sit, non ut servi sint a reatu nequitiæ suæ absolvendi, sed ut plurimi nobiles ac divites magis sint, servorum comparatione, damnandi.» (Salvianus Massiliensis, lib. 4, p. 73.)

Mais, dira-t-on, cela est impraticable! car si les tribunaux ont entre leurs mains les documents nécessaires pour déterminer les amendes, suivant la gravité de l'infraction et la perversité du coupable, ils n'en ont aucun pour apprécier, avec certitude, la fortune relative des délinquants (1).

-Je réponds qu'il est bien plus facile d'apprécier la solvabilité d'un homme que sa moralité; et j'ajoute qu'il n'est pas un tribunal qui ne puisse connaître, au moyen des renseignements réclamés des maires des communes, l'état approximatif de la fortune de chaque prévenu; qui ne puisse tout au moins constater s'il est riche, aisé ou pauvre; constatation qui, en l'absence de documents plus précis, suffirait, à la rigueur, aux nécessités journalières de la justice distributive.

Ce qui importe surtout ici, c'est de poser nettement et impérativement le principe. Son application plus ou moins exacte resterait abandonnée à la sagesse et aux lumières des magistrats, comme la loi leur confie l'application de toutes les règles d'équité et, notamment, le soin de proportionner la peine à la gravité relative des faits et aux nuances infinies de la culpabilité proprement dite. Au surplus, ce qui prouve que cette appréciation est possible, c'est qu'elle a lieu sans difficultés dans les divers États étrangers comme Bade, le Wurtemberg, le Brésil, la

(1) Faustin Helie, ibid.

Belgique (1), l'Espagne, le Portugal, etc., qui ont consacré l'arbitration des amendes suivant la fortune apparente des délinquants (2). Il est clair que, sous ces législations, l'amende cesse d'être illusoire pour le riche et ruineuse pour le pauvre; qu'elle pèse du même poids sur toutes les classes de la société; et qu'ainsi se trouve, autant que possible, résolu le grave et difficile problème de l'égalité des peines!

Donc, en principe, le taux des amendes devrait,prenant pour point de départ la base medium que nous avons posée,-s'élever ou s'abaisser, eu égard au degré de richesse ou d'indigence du coupable.

Dans ce but, il suffirait, pour que l'amende ne pût jamais dégénérer en confiscation, de fixer le maximum (3), comme l'ont fait les Codes du Brésil et du Portugal, à une, deux ou trois années du revenu que

(1) Dans le nouveau Code de Belgique, l'amende pour contravention est de 1 fr. à 25 fr. (art. 49), mais, pour les crimes et délits, elle est de 26 fr. au moins. C'est-à-dire que son maximum est indéterminé. Il peut dès lors être élevé au gré du juge, suivant la nature du méfait et les facultés du coupable.

(2) Sous le Code du Brésil, l'amende doit toujours être réglée selon le revient que le coupable peut retirer chaque jour de ses revenus, emplois ou industrie (art. 55).

Les Codes de Wurtemberg de 1839, et de Bade de 1845 veulent qu'indépendamment des circonstances ordinaires d'aggravation ou d'atténuation, l'amende soit toujours fixée suivant les facultés pécuniaires du délinquant. (Wurt., art. 32; Bade, art. 33 et 47).

(3) Le minimum, naturellement indiqué par la logique répressive, devrait être, pour les crimes et délits, le maximum actuel des amendes de simple police. Il est en effet contraire aux règles d'une répression rationnelle de permettre d'abaisser l'amende encourue pour un délit jusqu'à UN franc, quand une simple contravention de police peut être punie de 15 fr. d'amende.

le délinquant peut se procurer par ses biens, emplois ou industrie (1).

Ainsi les tribunaux auraient enfin, pour la fixation des amendes, un point de repère fondamental, exac-. tement en rapport avec le profit illicite ou le mal du délit; et leur sagesse pourrait, au delà ou en deçà de ce niveau moyen, aggraver ou atténuer la peine, suivant les circonstances de la cause et le plus ou le moins de fortune des coupables, sans qu'en aucun cas, la répression pécuniaire pût, insuffisante ou excessive, s'écarter des limites d'une justice égale et efficace pour tous.

Enfin, si, comme nous l'avons demandé dans le précédent volume (2), les pénalités pécuniaires étaient partiellement affectées aux bureaux de bienfaisance ou au budget de la commune du lieu du délit, nous ne doutons pas que les amendes, ainsi constituées, ne redevinssent un des modes de pénalité les plus préventifs et les plus efficaces, pour la majeure partie des méfaits secondaires, qui troublent l'ordre public et la sécurité des citoyens.

(1) Art. 55.

(2) De l'amélioration de la loi criminelle, t. 1er, chap. vi, p. 99 et

suiv.

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Avant d'aborder le meilleur mode de recouvrement des peines pécuniaires, à l'égard des insolvables, je dois répondre à une objection sérieuse

que la plupart de mes lecteurs ont sans doute réservée.

Vous voulez, me dira-t-on, que la loi édicte l'amende pour tout délit, soit comme peine accessoire, soit comme peine principale; que cette amende soit, dans certaines limites, proportionnelle à la fortune du délinquant; et vous espérez un heureux résultat d'une telle réforme. Mais le plus grand nombre des délinquants étant notoirement insolvables, notre système se trouve dès l'abord frappé d'une inefficacité radicale.

Je réponds que cela fût-il vrai, mon système aurait au moins le mérite de la justice et de la rationalité, dût-il ne rien changer à l'état présent des choses.

Mais il y a là une grande et palpable erreur, malheureusement trop accréditée. Il s'en faut de beaucoup que les peines pécuniaires soient illusoires à l'encontre des délinquants insolvables. S'il en était ainsi, la loi eût été singulièrement imprévoyante, pour tous les cas où elle se borne à prononcer une

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