Images de page
PDF
ePub

faits, alors qu'il est constant que l'accusé a rétracté sa fausse déposition avant que la justice ait accompli son œuvre, peut-on, je ne dis pas juridiquement, mais raisonnablement soutenir que les débats de l'affaire soient clos? Peut-on dire que X... est coupable de faux témoignage, alors au contraire que, par l'aveu de sa fausse déposition, il vient éclairer la justice, et l'éclairer en temps utile, puisqu'il la met à même de punir le coupable, dont son mensonge appuyait le système justificatif? Vous apprécierez, messieurs les jurés, vous verrez dans tous les cas si, malgré cette rétractation, et en récompense de sa sincérité actuelle, vous pouvez justement frapper cet homme d'une condamnation. >>

Ces considérations eurent un plein succès, parce qu'elles s'adressaient au bon sens du jury. X... fut acquitté, presque sans délibération. Il l'eût été, je crois, devant n'importe quel jury de l'empire. Justicia, id est ratio summa!

SECTION VII.

RÉSUMÉ DES DÉVELOPPEMENTS QUI PRÉCÈDENT.

« Lorsqu'une loi, dit Waechter, n'est pas d'accord " avec l'humanité, avec l'intérêt social, avec les << notions de la raison universelle et de la con<< science publique, elle demeure frappée d'impuis<< sance (1). »

(1) Ch. Levita, Histoire du droit pénal allemand. 1861.

Or, notre système de pénalité relatif au faux témoignage est, presqu'en tous points, contraire à ces simples inspirations du bon sens pratique.

Il blesse la raison universelle, lorsqu'il soumet à une égale rigueur le faux témoignage pour ou contre l'accusé (a favore o a sgravio);

Il blesse l'humanité lorsque, qualifiant CRIME tout faux témoignage quelconque, il fait abstraction de cette infinie variété de motifs, qui peut entraîner la faiblesse humaine en dehors des voies de la vérité;

Il blesse, sans utilité, les règles rationnelles de la compétence, en déférant le faux témoignage en matière correctionnelle, civile et de police, à la juridiction solennelle de la Cour d'assises;

Il blesse le salutaire principe de l'analogie, lorsque, faisant aux faux témoins une application exagérée des peines des travaux forcés et de la reclusion, il omet de prononcer, dans tous les cas, contre eux, celle de l'interdiction ou suspension des droits civiques et celle de l'amende;

Enfin, il blesse les plus élémentaires idées de l'intérêt social, ainsi que le sentiment instinctif de la conscience publique, lorsque, par des sophismes plus ou moins juridiques, il dénie au faux témoin poursuivi la faculté de se rétracter, tant que le débat de l'affaire, dans laquelle il a déposé, n'est pas définitivement et irrévocablement clos.

J'ai, depuis longues années, suivi avec une attention spéciale les poursuites de ces sortes de crimes; notant, jour par jour, les causes de l'indulgence et de

l'impunité que constate la statistique. J'ai acquis la profonde conviction qu'au moyen des simples modifications ci-dessus proposées, la répression du faux témoignage deviendrait aussi fréquente et aussi sûre qu'elle est aujourd'hui incertaine et rare! Car le mal, dont on se plaint, n'est pas dans le jury ni dans les magistrats; il est, avant tout, dans l'imperfection de la loi! Adoucissez la peine, et elle n'en aura que plus d'efficacité. « La certezza di un castigo, benchè mode« rato, fara sempre una maggiore impressionne, che « non il timore di un altro più terribile, unito colla « speranza dell' impunità (1). » J'ajoute que plus serat-elle mesurée, plus ferme en sera l'application.

« Sia dolce, umano, indulgente, il legislatore, po« tranno essere inesorabili gli esecutori della legge, nei a casi particolari (2). »

SECTION VIII.

ADOPTION COMPLÈTE DE CE SYSTÈME DANS LE NOUVEAU CODE PÉNAL PORTUGAIS.

Les lecteurs, qui veulent bien suivre avec quelque intérêt la série des études que j'ai déjà publiées sur le droit criminel, me rendent, dit-on, cette justice: « que les améliorations que je propose, reposant sur les principes rationnels de la science pénale et sur l'expérimentation des faits juridiques, ont, d'une part,

(1) Beccaria.

(2) Id.

un caractère de généralité dogmatique, qui les rend applicables à toutes les législations, et, d'autre part, un incontestable cachet de précision pratique (1). »

Je suis heureux de pouvoir, sur ces deux points au moins, justifier quelque peu cette bienveillante appréciation.

Je me permets donc d'ajouter, en terminant, que le système ci-dessus développé vient, grâce à sa publication partielle dans la Gazette des Tribunaux (2), d'être honoré d'un premier succès d'application. Il a été complétement adopté dans le projet de nouveau Code pénal portugais.

Les articles 444 et 445 de ce Code sont ainsi conçus :

Art. 444. « Le faux témoignage consiste à affirmer, devant un tribunal ou fonctionnaire compétent, sous la foi du serment, une circonstance essentielle qui altère le sens d'un fait, alors que l'agent sait que cette circonstance n'est pas vraie; ou à nier ou omettre celle qu'il sait être véritable.

« Le faux témoignage en matière civile sera puni de la reclusion de 1re classe (trois ans à un an); en matière criminelle, de la transportation de 3o classe (trois ans à neuf ans); en matière correctionnelle, de la reclusion de 1 classe; en matière de contravention, de la reclusion de 2e classe (un mois à un an).

« Ces dispositions sont applicables aux experts qui, sous serment, font de fausses déclarations.

Art. 445. « La rétractation, avant que le témoin ait quitté le lieu où il avait prêté serment, ou avant que sa déclaration ait pu causer dommage à un tiers, aura pour effet de l'exempter de toute peine.

[ocr errors]

On voit, en effet, que ces deux articles consacrent toutes les conditions et nuances que j'ai indiquées. Une seule semble omise, dans les termes de ces ar

(1) Lud. Bosellini, prof. de droit à l'université de Modène. (2) Nos des 25, 27 et 28 mai 1861.

ticles, c'est la condamnation accessoire du faux témoin à l'amende et à la suspension des droits civiques; mais je remarque qu'elle se trouve implicitement prononcée par d'autres dispositions du même Code. Car, d'une part, tous les condamnés aux peines d'incarcération demeurent tenus, s'ils sont solvables (art. 150), de rembourser à l'État les frais de leur expiation, ce qui équivaut à une véritable amende; et, d'autre part, tous les condamnés à la transportation n° 3, sont, en vertu de l'art. 152, temporairement suspendus de l'exercice de leurs droits civiques.

Ainsi donc, à toutes les raisons de droit et d'utilité publique, que j'ai exposées, se joint, en faveur du nouveau système, dont je me suis fait l'interprète, l'imposant appui d'une législation positive; et si l'on veut se rappeler que cette législation a reçu la haute approbation des plus illustres criminalistes de l'Europe, on pourra presque dire que le système en question a désormais acquis l'autorité de la chose jugée !

Du reste, on va voir qu'il a été récemment l'objet d'une consécration partielle plus imposante encore, puisqu'elle émane du législateur français lui-même.

SECTION IX.

ADOPTION EN FRANCE DES AMÉLIORATIONS CI-DESSUS DÉVELOPPÉES.

On sait que, le 27 janvier 1862, le Gouvernement, sur la proposition de M. le Garde des sceaux, avait

« PrécédentContinuer »