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dification du Code pénal, soumis à l'Assemblée législative, en février 1860, M. le garde des sceaux propose de punir des peines de l'article 401 certains crimes (1) frappés de la dégradation civique; et que notamment, dans l'article 228, il propose de substituer le maximum des peines d'emprisonnement à celle de la dégradation civique (2).

Pour notre compte, nous avons accueilli cette heureuse modification comme un acheminement à l'entière abrogation d'une pénalité aussi illibérale qu'elle est profondément anti-française.

SECTION V.

DE L'INTERDICTION DU DROIT DE TÉMOIGNAGE.
NÉCESSITÉ DE LA SUPPRESSION.

Enfin, parmi les incapacités énumérées aux articles 34 et 42 du Code pénal, il en est une dont je ne cesserai de réclamer la suppression, parce qu'elle inflige au condamné, non plus seulement une dégradation civique, mais quelque chose de plus humiliant et de plus injuste encore, presque une véritable dégradation sociale; cette incapacité, c'est la privation du droit de témoigner en justice autrement qu'à titre de simples renseignements.

(1) Ceux punis par les articles 143 et 228.

(2) La commission du Corps législatif, s'associant à cette pensée, et y ajoutant, a, ainsi que je l'avais proposé, également substitué l'emprisonnement à la dégradation civique, dans les articles 362 et 366, relatifs au faux témoignage. La loi a été votée avec cet amendement. (V. suprà, le chap. du Faux témoignage.)

Je ne connais pas, dans le droit pénal, de mesure plus injustifiable à tous les points de vue.

La loi déclare certains condamnés incapables à toujours de témoigner en justice, et cependant, chaque jour, la justice les appelle devant elle. A quel titre? pour déposer sur les faits à leur connaissance; telle est la formule de citation de tous les autres témoins; et, en effet, leurs noms sont notifiés à l'accusé, parmi ceux des témoins assignés.

Maintenant, si ce condamné, ainsi cité devant la justice comme témoin, ne comparaît pas, vous le condamnez à l'amende comme témoin, et en cette même qualité, vous le contraignez par corps (1). Et si ce condamné, obéissant à votre ordre, paraît au pied du Tribunal, vous lui criez à haute voix, en face du public: qu'ayant été condamné à une peine infamante, il ne peut ni prêter serment, ni déposer comme témoin, mais qu'il va être entendu à titre de simple renseignement. Est-il donc besoin de l'appeler pour lui faire subir, en audience publique, cette poignante diffamation? Le malheureux! ne voyez-vous pas que vous le placez entre deux peines, dont la dernière est toujours inévitable: l'amende, ou la proclamation de son infamie!

Ce n'est pas tout; et c'est ici qu'apparaît le carac

(1) ‹ Toute personne citée pour être entendue en témoignage sera tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. Le juge pourra ordonner que la personne citée sera contrainte par corps. › (Code d'inst. crim., art. 8.)

tère illogique de cette incapacité, imposée aux repris de justice.

On les appelle, dites-vous, pour donner de simples renseignements! Comme si désormais tous les témoignages n'étaient pas de simples renseignements, c'està-dire des éléments d'appréciation, que le juge pèse dans la balance, et qu'il rejette ou qu'il accepte selon qu'il les croit l'expression de l'erreur ou de la vérité. Or, si vous acceptez les simples renseignements du libéré, quand ils vous paraissent vrais, pourquoi, dans le même cas, n'acceptez-vous pas son témoignage? Aussi n'y faites-vous, dans la pratique, aucune différence : « Les simples renseignements, dit Dalloz, produisent absolument le même effet que la déposition, et contribuent à former la conviction du jury et des juges; sans quoi ils seraient inutiles (1). »

L'interdiction du droit de témoignage est une de ces vieilles erreurs qui, nées de l'ignorance, se perpétuent trop souvent dans les législations des peuples éclairés, longtemps après que la raison qui les avait motivées a dispuru. Notre ancien droit français déclarait aussi reprochables, indignes du droit de témoignage, les personnes notées d'infamie, et en général les repris de justice. - Il y avait en cela quelque chose de très-rationnel, alors que les témoignages étaient comptés; alors qu'il y avait, comme à cette heure encore en Allemagne (2), des moitiés, des tiers,

(1) Dalloz, A. 12, 589, no 8.

(2) Monographie comparée des Codes de procédure civile de la France et de l'Allemagne, par E. Zink, président de chambre à la Cour suprême du royaume de Bavière, 2 vol., Munich, 1860,

des quarts de preuves; alors qu'un seul témoin faisait une demi-preuve, deux témoins une preuve complète. Mais aujourd'hui, qu'au lieu de les compter, on les pèse, tous les témoignages peuvent-ils être autre chose que de simples renseignements?

Sans doute, j'admets parfaitement que les repris de justice ne soient pas investis d'une foi entière; qu'il y ait lieu de contrôler leur témoignage, entaché d'une suspicion légitime, comme on discute celui des témoins suspects; comme on discute celui des témoins parents ou amis, entachés d'une suspicion de faveur; mais il y a tout un abîme, entre cette discussion convenable et nécessaire, et la prétention insensée de les déclarer déchus d'un droit, qu'ils tiennent de leur double qualité d'homme et de chré⚫ tiens.

Et savez-vous le curieux expédient au moyen duquel on a cru pouvoir concilier l'indignité des repris de justice et l'appel qu'on fait à leur témoignage? On les fait déposer sans prestation de serment !

Mais, si c'est une chose sainte et redoutable que de prendre la Divinité elle-même à témoin de la vérité de nos paroles; si ce serment solennel, fait devant Dieu et devant les hommes, ajoute quelque poids à la crédibilité du témoignage, c'est surtout, ce me semble, pour les repris de justice qu'il est nécessaire. Les honnêtes gens sont facilement crus sans aucun serment. On sait que saint Louis ne jurait jamais; il se contentait, selon Joinville, de dire : Ceci est la vérité. Plusieurs sectes religieuses professent encore

aujourd'hui cette doctrine (1). Si donc les témoins, qu'on pourrait suspecter, ont seuls besoin d'invoquer la garantie de Dieu, comme caution de leur témoignage, loin de dispenser les libérés de la formalité du serment, c'est à eux surtout qu'on devrait spécialement l'imposer. Ce ne serait pas seulement juste, ce serait logique; car, durant leur expiation pénitentiaire, n'a-t-on pas tout fait pour les ramener à Dieu, cet unique et souverain réformateur des perversités humaines? N'a-t-on pas élevé pour eux des chapelles? Né leur a-t-on pas nommé des aumôniers? Est-ce qu'ils n'assistent pas à l'office divin? Ne leur fait-on pas des instructions et des prêches? Ne sont-ils pas incités à s'approcher des sacrements? Et pourquoi donc, après avoir ainsi, durant leur captivité, essayé de ramener ces condamnés dans les voies fécondes de la morale religieuse, leur refuser, lorsqu'ils sont rendus à la liberté, lorsqu'ils ont payé leur dette à l'expiation pénale, d'invoquer, eux aussi, le nom de Dieu, en garantie de la sincérité de leur témoignage?

Vous répétez chaque jour que la peine a pour but : l'expiation, et pour résultat: la régénération des coupables; et en cela vous êtes consciencieux et vrais (2); mais comment le public croira-t-il à l'efficacité du régime pénitentiaire, si par vos mesures injurieuses envers tous les libérés de justice, vous prouvez que vous n'y avez pas foi ! que craignez vous? si le libéré, appelé comme témoin, ne dit pas la vérité, vous reje

(1) Les anabaptistes, etc.

(2) Exposé des motifs sur la loi des prisons de 1844 et de 1847.

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