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croit servir. Les fruits cueillis avant leur maturité n'ont pour l'homme qu'une saveur amère et funeste!

SECTION VI.

QU'UNE RÉDUCTION PROGRESSIVE DANS LE NOMBRE DES ÉDICTIONS, CONDAMNATIONS ET EXÉCUTIONS CAPITales, est le seul PROCÉDÉ D'ABO, LITION APPLICABLE AUX GRANDS ÉTATS.

Ce qui importe aux idées d'humanité, c'est moins la suppression, dans la loi, de cette salutaire menace, que son édiction de plus en plus restreinte, que l'absence ou la rareté des condamnations capitales, et dans tous les cas, que l'absence ou la rareté des exécutions.

A ce triple point de vue, il est impossible de méconnaître le remarquable progrès qui, depuis le commencement de ce siècle, s'est opéré dans les dispositions de la loi, dans les habitudes juridiques, dans les procédés de miséricorde.

Je citerai, par exemple, la France', puisqu'on veut bien la regarder comme donnant au monde, dans l'ordre des choses morales, l'impulsion des idées civilisatrices.

Sous son ancienne législation, on comptait 115 cas de peine de mort; le Code de 1791 les avait réduits à 32; celui de brumaire an iv, à 30; le Code de 1810, à 27. Sur ce nombre, la révision de 1832 en a supprimé 11; restent 17. Enfin, la Constitution de 1848 et la loi du 8 juin 1850 ont aboli la peine de mort en matière politique. En sorte que, dans ce dernier

état des choses, notre Code ne compte plus que 15 cas capitaux!

Ainsi notre XIX° siècle a, eu égard au siècle dernier, supprimé dans la loi cent cas de peine de mort! Que dis-je? poussant la hardiesse du progrès plus loin qu'on ne l'avait jamais fait dans un grand État, il a, en 1832, attribué au jury le droit de supprimer encore les 15 cas retenus dans la loi, à l'aide des circonstances atténuantes, dont il est le dispensateur souverain.

Donc, la peine de mort n'est plus, à cette heure, en France, par le fait, qu'une peine purement comminatoire, si le jury le veut; et encore n'est-elle édictée que contre les plus abominables attentats!...

Mais ce n'est pas tout; on ne s'est pas borné à limiter, autant qu'il a été possible, l'édiction légale de cette peine; des modifications, non moins importantes, ont été réalisées, en ce qui touche son application et son exécution effectives.

Si, comme nous l'avons dit, on ne peut préciser l'époque où nous pourrons l'abolir dans notre Code, au moins pouvons-nous entrevoir, avec un juste orgueil, le jour où la société ne fera plus usage de son droit que dans les cas les plus exceptionnels. « Les grands crimes, disait en 1855 M. le garde des sceaux, ont, depuis quelques années, sensiblement diminué. » Et, bien que dès lors, la diminution ait subi des temps d'arrêt, parfois de tristes retours, la statistique n'en constate pas moins un certain adoucissement dans les mœurs publiques. Cet adoucisse

ment, qui, dans l'avenir, pourra nous permettre de restreindre davantage les cas de peine de mort, a produit déjà, dans le présent, un heureux et trèsnotable résultat ; il a dû motiver une diminution graduelle du nombre des peines suprêmes que commande la sécurité sociale.

Le chiffre des condamnations capitales, après avoir été en moyenne de 111 (de 1826 à 1830), est descendu à 66 (de 1831 à 1835); à 39 (de 1836 à 1840).

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Il a été de 48 (de 1841 à 1845); de 49 (de 1846 à 1850); de 53 (de 1851 à 1856). — Il est de 58 en 1857, de 38 en 1858, de 36 en 1859, de 39 en 1860, et de 26 en 1861, de 39 en 1862 et de 20 en 1863 (1).

La décroissance a été plus considérable encore dans le chiffre des exécutions; et chaque année, l'Empereur, cédant à ses miséricordieuses tendances, a cru pouvoir, sans compromettre la sécurité publique, faire grâce de la vie à plus de moitié des condamnés à la peine capitale.

Il y a eu, en 1856, 28 exécutions; 32 en 1857; 23 en 1858; 21 en 1859; 16 en 1860; 14 seulement en 1861; 25 en 1862 (2).

On voit à quel point se trouve aujourd'hui réduit, en France (3), le nombre des sacrifices humains que la société est, à regret, forcée de faire au salut commun. Nous pouvons donc l'affirmer avec l'éloquent

(1) Stat. crim. de 1862, Rapp., p. 10.

(2) Dont 19 pour assassinat, 3 pour parricide, 2 pour empoisonnement, 1 pour meurtre précédé de viol.

(3) Sur une population de 40 millions d'habitants.

premier avocat général de la Cour de Paris : « Notre justice moderne, comme les tribunaux ecclésiastiques du moyen âge, a horreur du sang (1); » elle ne prononce de sanglants verdicts, et elle ne les exécute, que sous la contrainte des plus impérieuses nécessités sociales.

Sans doute, la peine de mort est peut-être trop fréquemment encore édictée dans la loi; mais qu'importe? est-ce que le jury, par les circonstances atténuantes, et le souverain, par sa gracieuse omnipotence, n'ont pas le droit absolu de supprimer en réalité cette peine? ne les voyons-nous pas, chaque jour, largement user de ce pouvoir, sitôt que la loi leur paraît trop rigoureuse? et cela étant, peut-on douter que l'un et l'autre (2) ne s'empressent d'en supprimer, en général, l'application, dès qu'on verra l'alarme sociale s'affaiblir ou disparaître, par l'extrême rareté des attentats à la vie humaine?

C'est là, selon nous, pour les grands États, la meilleure et la plus sûre solution du difficile problème que soulève l'abolition de la peine de mort! Ce châtiment n'est plus prononcé que dans les cas de crimes d'une atrocité exceptionnelle. Dans chaque affaire, la justice pose en fait, devant le jury, cette question d'abolition. Elle se trouve ainsi sans cesse soumise à l'entière et souveraine discrétion du pays!

(1) M. Oscar de Vallée, réquis. du 16 mai 1864. Affaire de la Pommerais.

(2) C'est ainsi que la reine dona Maria avait supprimé, en fait, la peine de mort pour les femmes, en déclarant que jamais, sous son rėgne, aucune femme ne serait exécutée.

Qu'on me permette d'ajouter, comme document historique curieux, que cette même solution avait été indiquée, dès le XVI° siècle, par le plus célèbre des jurisconsultes allemands, lorsqu'il écrivait : « Equidem facillimè concesserim ad mortis pænam inferendam, quoad fieri potest, tardiores esse debere judices, et nisi NECESSITAS vel ATROCITAS coactos impellat, vix accedere (1). "

Et pourtant, j'ai hâte de dire que tous les législateurs devraient, comme l'avait fait le projet du nouveau Code portugais, limiter l'application possible de la peine de mort au seul et unique cas d'homicide qualifié (2).

Tous pourraient même, ainsi que je l'ai demandé, supprimer, sans danger social, cette peine pour les mineurs de 21 ans et pour les femmes.

Là devrait, à mon avis, se borner la réforme, dans les grands États; aller plus loin, quant à présent, ce serait méconnaître les plus vulgaires idées de prudence; ce serait abdiquer le devoir impérieux de préservation et de protection, qui incombe à tout gouvernement.

(1) B. Carpzovii Practica criminalis, pars III, quæst. CI. « Án pœnas capitales facinorosis hominibus irrogare liceat magistratui christiano? »

(2) Art. 188 du projet de Code pénal.

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