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due aux innocents INJUSTEMENT CONDAMNÉS, forment deux questions connexes qui, reposant sur les mêmes principes, et procédant d'une même erreur judiciaire, semblent inséparables dans la discussion. Et pourtant, nous avons cru devoir les traiter divisément et à un assez long intervalle. Voici pourquoi:

Un moraliste compare chaque erreur dominante à une redoute abrupte et fortement armée, qu'il faut, sous peine d'échec, n'aborder qu'avec une extrême circonspection, et qu'on ne finit par emporter qu'à la suite d'une longue série d'efforts successifs. Il faut, dit-il, ne l'attaquer que pied à pied, et n'en venir à donner l'assaut, qu'après s'être emparé des défenses extérieures et s'y être solidement établi.

Cette savante stratégie est surtout nécessaire quand il s'agit d'attaquer des erreurs, dont la réformation implique une dépense à porter au budget de l'État. Car alors, les novateurs ont pour adversaires nés, non-seulement les vieux préjugés de la routine et de l'ignorance, mais de plus, les hérésies intéressées de tous ceux, dont l'orgueilleux égoïsme se drape sous le manteau respectable du trésor public. Les choses de ce monde sont ainsi faites, que la vérité, comme le devoir, « marche toujours à travers les écueils (1)! »

Aussi, dans le premier volume de ces études (2), me suis-je borné à plaider la cause des innocents in

(1) Napoléon III, discours à l'ouverture de la session législative, 12 janvier 1863.

(2) De l'amélioration de la loi criminelle, t. rer, chap. xx et xxi.

dûment poursuivis, et à démontrer leur incontestable droit à une réparation sociale. Ce faisant, j'éprouvais une sorte de scrupule à discuter sérieusement une thèse si frappante d'évidence; je m'imaginais qu'en principe, du moins, nul, dans notre généreux pays de France, n'oserait contester la justice de cette réparation. Je m'étais trompé. Dans une de nos enceintes législatives, un honorable rapporteur, s'expliquant sur cette question, a froidement répondu : « Qu'aucune réparation n'était due; que les inculpés innocents devaient subir ces inévitables erreurs, en retour de la sécurité que leur assure la société (1); » et l'on a passé à l'ordre du jour! Qu'importe ? ce n'est là qu'une décision par défaut, sans discussion contradictoire, évidemment surprise à l'inadvertance ou aux préoccupations d'une grande assemblée. La question n'en a pas été atteinte; car elle n'en a pas moins marché, et l'on verra, par l'appendice du présent travail, les progrès notables qu'elle a faits dans l'opinion publique, non moins que dans les plus hautes régions du pouvoir. On verra notamment comment mes solutions ont été littéralement consacrées par le nouveau Code pénal portugais (2).

Dans cet état des faits, le moment m'a semblé venu de reprendre ma tâche inachevée; et d'aborder enfin le second terme de l'intéressant théorème de justice et d'humanité que j'ai indiqué.

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En effet, si la réparation sociale semble rigoureuse et nécessaire à l'égard des innocents injustement poursuivis, à bien plus forte raison l'est-elle envers les innocents INJUSTEMENT CONDAMNÉS.

Telle est la nouvelle proposition que je viens discuter devant l'opinion; c'est à elle que je m'adresse parce que c'est à elle qu'appartient le dernier mot en toutes choses. Ce qu'elle trouve juste, elle le veut; et ce qu'elle veut, elle l'accomplit infailliblement à son heure; tôt ou tard!

Toutefois, pour que cette proposition soit comprise, je m'empresse de la préciser.

Chacun m'accordera que la société n'a reçu de Dieu le droit de punir, qu'à la condition d'être juste; qu'à la condition de ne frapper que les vrais coupables. De même, m'accordera-t-on que la société est faillible; que, malgré sa prudente clairvoyance, il peut lui arriver, qu'il lui arrive parfois de condamner des in

nocents.

Cela étant, il est manifeste que, pour rester juste, la société doit laisser constamment une voie ouverte à la réparation des erreurs qu'elle a pu commettre. Du moment que vous fermez cette voie, la justice sociale perd son droit, son prestige, sa force. Elle cesse d'être une émanation de la justice divine, parce qu'elle renie ses saintes aspirations vers la lumière et la vérité. Au lieu de cette majestueuse institution, digne de l'amour et du respect des hommes, je ne vois plus qu'une puissance despotique, livrée à tous les égarements de la brutalité, de la violence et de l'injustice!

Mais avant d'examiner, ainsi que nous le ferons dans le chapitre suivant, si la société est tenue de la réparation matérielle, toujours si insuffisante, hélas ! de ces déplorables erreurs, voyons ce que son devoir l'oblige à faire d'abord pour les prévenir; et puis, ensuite, pour les rechercher et constater, c'est-à-dire, pour reviser les condamnations qui ont pu atteindre des innocents.

Nos lecteurs entrevoient déjà le brûlant intérêt d'actualité et d'opportunité qu'une récente discussion législative a imprimé à cette grave thèse de droit social.

SECTION PREMIÈRE.

-

PARALLELE

DE LA PRÉVENTION DES ERREURS JUDICIAIRES. ENTRE LE DROIT ROMAIN, LES CAPITULAIRES DE CHARLEMAGNE ET NOTRE LÉGISLATION ACTUELLE.

Je reconnais que nos lois criminelles actuelles se sont étudiées à prévenir les erreurs judiciaires par les formes protectrices dont elles ont environné la poursuite; par le droit illimité de la défense; par la publicité des débats et du jugement; par le droit conféré aux Cours d'assises, en cas d'erreur manifeste du jury, de renvoyer l'affaire à une autre session (1); par les pourvois en cassation; enfin, par le suprême recours à la miséricorde du souverain (2).

(1) Art. 352 Code d'inst. crim.

(2) La grâce n'abolit sans doute pas la condamnation; mais en supprimant la peine, elle fait au moins cesser le dommage, au cas où la condamnation aurait été injuste.

Ce sont là sans doute des garanties sérieuses et incontestables; mais ne pourrait-on pas faire plus encore? C'est le premier point que nous voulons examiner.

Après l'accomplissement des formalités tutélaires, destinées à assurer la complète manifestation de la vérité, il reste l'opération la plus difficile, celle d'où dépend le sort de l'accusé : la décision des jurés ou du juge.

Le juge criminel, quelque éclairé, quelque humain qu'on le suppose, se défendra toujours difficilement de cette présomptueuse pensée de clairvoyance et d'infaillibilité que font naître la longue pratique des affaires ou la vue d'inculpés généralement coupables. Souvent aussi, peut-il être égaré, soit par sa pitié pour la victime, soit par une généreuse indignation contre le crime. Il est donc nécessaire que la loi, en lui confiant ses pouvoirs, s'efforce elle-même de le prémunir contre la possibilité d'une méprise (1).

Que fait à cet égard notre loi criminelle? Quels principes de prudence, de raison, de haute circonspection, lui trace-t-elle, pour le diriger dans l'accomplissement de sa redoutable mission?... — Aucuns. La loi pose ses règles de procédure et ses péna

(1) Je ne me plains pas, disait l'honorable M. de Parieu, que le nom de Lesurques retentisse dans cette enceinte; il est bien qu'il soit là pour avertir les hommes investis de la fonction de juger, que des doutes pourront quelquefois s'élever sur leurs décisions, et les déterminer par cela même à redoubler cette religieuse attention qu'ils doivent apporter dans l'exercice de leurs difficiles fonctions. » (Disc. à l'Assemblée législative, 16 mai 1864.

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