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bons, aussi la police d'alors chercha-t-elle à empêcher cette publication.

On voulait d'abord arrêter le vieillard, encore sous le coup d'une condamnation à perpétuité aux galères; mais évoquer un arrêt criminel du Parlement après la Révolution, après l'Empire, après l'institution des nouvelles juridictions, et surtout après la prescription acquise à la contumace, n'était pas possible; aussi résolut-on de négocier.

Les prétentions de M. de Lamotte étaient modestes: 300 ou 400 francs de rente viagère et son admission à l'hospice de Chaillot, telles étaient ses demandes en 1828.

On ignore quel fut le sort de cette négociation; quoi qu'il en soit, ses mémoires manuscrits furent déposés par lui dans les bureaux de la police. Ce dépôt fut-il fait en vertu d'une transaction ou bien à la suite d'une saisie arbitraire, c'est ce que nous ne saurions dire.

Ce ne fut qu'en 1858 que ces mémoires parurent, publiés pour la première fois avec une préface par M. Louis Lacour.

Le vieux comte de Lamotte promena les dernières années de sa vie sous les fameuses galeries de bois du Palais-Royal. Il mourut accablé d'infirmités et de misère, au mois de novembre 1831.

XIII.

Nous sommes au 14 octobre 1793; celle qui s'appelait autrefois Marie-Antoinette, et que tous nomment à présent la veuve Capet, comparaît devant le tribunal révolutionnaire. Elle est condamnée d'avance, et cependant son procès s'instruit comme si de la discussion des faits devait sortir autre chose qu'un jugement de mort.

Le greffier Fabricius donne lecture de l'acte d'accusation qu'a dressé contre elle l'accusateur public Fouquier-Tinville, de cet échafaudage de mensonges et d'outrages qu'il a été ramasser dans la fange des ruisseaux ou dans les déclarations d'Hébert.

Au milieu de toutes ces imputations calomnieuses, il en est une que l'on cherche en vain, une que l'on ne trouve pas Fouquier n'a pas un mot pour flétrir la conduite de la ci-devant Reine dans l'affaire du collier, il n'en parle même pas.

Eh quoi ! tous ces faits étaient-ils donc si anciens qu'on en cût perdu le souvenir? La génération de 1793 avait-elle donc oublié les événements de 1786, et la Vie de Jeanne de Saint-Remy, réimprimée en 1792 par le libraire Garnery, n'avait-elle donc rencontré que des lecteurs incrédules?

Comment l'accusateur public, qui gratifie la Reine des épithètes de Frédégonde, Médicis, Messaline,

Brunehaut, oublie-t-il la conduite de l'accusée avec madame de Lamotte, cette victime immolée à ses caprices? Comment Fouquier, qui compare MarieAntoinette à Agrippine, ne trouve-t-il pas dans son indignation révolutionnaire quelques paroles bien senties pour flétrir les intrigues de la veuve Capet avec Rohan, qualifié ci-devant de cardinal, comme on disait alors? Et dans tout le cours du procès, comment se fait-il qu'on ne rencontre que ces mots qui se rapportent au collier :

« Le président à l'accusée. Connaissez-vous la femme Lamotte ?

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L'accusée. Je ne l'ai jamais vue.

» Le président. - N'a-t-elle pas été votre victime

dans l'affaire du collier?

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Et voilà tout, plus rien, pas un mot de plus. Pourquoi ce silence, pourquoi cet oubli trop singulier pour n'être pas volontaire? Ah! c'est que l'on savait déjà la vérité sur cette affaire; c'est que les mensonges de madame de Lamotte n'avaient trompé personne, et que la majorité du public voyait en elle la vraie, la seule coupable.

Arrêtons-nous et ne cherchons plus d'autres preuves; le silence de Fouquier-Tinville n'est-il pas le meilleur témoignage que l'on puisse souhaiter en faveur de Marie-Antoinette?

Ce n'est pas, on le comprend, pour le stérile plai

sir de retracer les turpitudes des époux Lamotte que nous avons pris la plume, notre but est tout autre : à l'aide des pièces authentiques, nous avons essayé de raconter à notre tour le procès du collier, et de notre travail résulte pour nous la conviction intime que Marie-Antoinette a été complétement étrangère à toute cette malheureuse affaire.

Telle n'est pas l'opinion d'un érudit estimable, qui a préféré rechercher la vérité plutôt dans les pamphlets de M. et madame de Lamotte que dans les pièces de la procédure, et qui, par suite de la source impure où il a puisé ses renseignements, en est arrivé à écrire les paroles suivantes : « Capricieuse et coquette, Marie-Antoinette, après avoir désiré le collier, l'avait refusé faute d'argent, puis s'était repentie de ce refus. Le cardinal de Rohan persuada alors à la Reine qu'elle l'obtiendrait, par son entremise, à des conditions meilleures qu'on ne les lui faisait. Son but était d'occuper de sa personne et de faire revenir sur son compte Marie-Antoinette, qui depuis longtemps lui montrait une vive aversion. En acceptant, la Reine trouva encore moyen d'atteindre l'homme qu'elle haïssait par les espérances même de bonheur qu'elle le laissa accumuler. L'ingratitude qu'elle réserva au service qu'on lui rendait fut une nouvelle vengeance.

» Elle en tira une autre de la façon dont elle compromit le cardinal avec une coureuse d'aventures que le hasard leur avait donnée comme intermé

204 MARIE-ANTOINETTE ET LE PROCÈS DU COLLIER.

diaire. La bassesse de Rohan amusa la Reine. Par l'assurance d'une marque de faveur, elle l'amena jusqu'à baiser, dans une intrigue de comédie, le pied d'une grisette qu'il avait prise pour elle. Cependant la Reine, qui s'était engagée à payer à jour fixe le prix du collier, s'aperçut bientôt qu'il lui serait impossible de le faire, et pour ne pas paraître refuser, elle demanda une réduction de 200,000 fr. sur le prix convenu. O supplice! cette réduction fut accordée et Marie-Antoinette obligée de solliciter un nouvel atermoiement. Les joailliers se fâchèrent, et Breteuil, ennemi de Rohan, homme bas et rancunier, instruit de leurs plaintes, courut chez la Reine et lui posa cette alternative : « Voilà ce que vous avez fait à l'insu du Roi, vous serez perdue si vous ne consentez pas à perdre le cardinal. » Il n'y avait pas d'hésitation possible: Louis de Rohan fut sacrifié1. "

Où donc faut-il chercher la vérité, est-ce dans les conclusions de M. Lacour, ou dans ce que nous venons de raconter? Le lecteur prononcera.

Pour nous, la question n'est pas douteuse, et nous nous estimerons trop heureux, si notre travail a un peu éclairé le débat, d'avoir contribué, dans la mesure de nos forces, à venger la grande mémoire de la Reine des injures auxquelles elle est encore en butte.

' L. Lacour, Mémoires du comte de Lamotte-Valois, préface, p. 30 et 31.

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