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perance ne sera pas deceüe en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le present ne nous satisfaisant jamais, l'esperance nous pipe, et de malheur en malheur nous mene jusqu'à la mort qui en est le comble eternel.

C'est une chose estrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait esté capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l'homme, astres, elemens, plantes, animaux, insectes, maladies, guerre, vices, crimes, etc. L'homme estant déchû de son estat naturel, il n'y a rien à quoy il n'ait esté capable de se porter. Depuis qu'il a perdu le vray bien, tout également peut luy paroistre tel, jusqu'à sa destruction propre, toute contraire qu'elle est à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les autres dans les curiositez et dans les sciences, les autres dans les voluptez. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes, et ceux qu'on appelle Philosophes n'ont fait effectivement que suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont consideré qu'il est necessaire que le bien universel que tous les hommes desirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulieres qui ne peuvent estre possedées que par un seul, et qui estant partagées affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la joüissance de celle qui luy appartient. Ils ont compris que le vray bien devoit estre tel que tous pussent le posseder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne

le pust perdre contre son gré. Ils l'ont compris, mais ils ne l'ont pû trouver; et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont embrassé que l'image creuse d'une vertu fantastique.

Nostre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher nostre bonheur dans nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand mesme les objets ne s'offriroient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux mesmes, et nous appellent, quand mesme nous n'y pensons pas. Ainsi les Philosophes ont beau dire: Rentrez en vous mesmes, vous y trouverez vostre bien; on ne les croit pas; et ceux qui les croyent sont les plus vuides et les plus sots. Car qu'y a-t'il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les Stoïciens, et de plus faux que tous leurs raisonnemens?

Ils conclüent qu'on peut toûjours ce qu'on peut quelquefois, et que puisque le desir de la gloire fait bien faire quelque chose à ceux qu'il possede, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvemens fiévreux que la santé ne peut imiter.

La guerre interieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagez en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions, et devenir Dieux. Les autres ont voulu renoncer à la raison, et devenir bestes. Mais ils ne l'ont pû ny les uns ny les autres; et la raison demeure toûjours qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et trouble le repos de ceux qui s'y abandon

nent et les passions sont toûjours vivantes dans ceux mesmes qui veulent y renoncer.

Voilà ce que peut l'homme par luy mesme et par ses propres efforts à l'égard du vray et du bien. Nous avons une impuissance à prouver, invincible à tout le Dogmatisme. Nous avons une idée de la verité, invincible à tout le Pyrronisme. Nous souhaittons la verité, et ne trouvons en nous qu'incertitude. Nous cherchons le bonheur, et ne trouvons que misere. Nous sommes incapables de ne pas souhaitter la verité et le bonheur, et sommes incapables et de certitude et de bonheur. Ce desir nous est laissé, tant pour nous punir, que pour nous faire sentir, d'où nous sommes tombez.

* Si l'homme n'est fait pour Dieu, pourquoy n'estil heureux qu'en Dieu? Si l'homme est fait pour Dieu, pourquoy est-il si contraire à Dieu?

L'homme ne sçait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré, et sent en luy des restes d'un estat heureux, dont il est déchû, et qu'il ne peut retrouver. Il le cherche par tout avec inquietude et sans succez dans des ténebres impenetrables.

C'est la source des combats des Philosophes, dont les uns ont pris à tâche d'élever l'homme en découvrant ses grandeurs, et les autres de l'abbaisser en representant ses miseres. Ce qu'il y a de plus estrange, c'est que chaque party se sert des raisons de l'autre pour establir son opinion. Car la misere de l'homme se conclud de sa grandeur, et sa grandeur se conclud de

sa misere. Ainsi les uns ont d'autant mieux conclu la misere, qu'ils en ont pris pour preuve la grandeur; et les autres ont conclu la grandeur avec d'autant plus de force, qu'ils l'ont tirée de la misere mesme. Tout ce que les uns ont pû dire pour monstrer la grandeur, n'a servy que d'un argument aux autres, pour conclure la misere; puis que c'est estre d'autant plus miserable, qu'on est tombé de plus haut et les autres au contraire. Ils se sont élevez les uns sur les autres par un cercle sans fin, estant certain qu'à mesure que les hommes ont plus de lumiere ils découvrent de plus en plus en l'homme de la misere et de la grandeur. En un mot l'homme connoist qu'il est miserable. Il est donc miserable, puis qu'il le connoist; mais il est bien grand, puis qu'il connoist qu'il est miserable.

Quelle chimere est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel cahos, quel sujet de contradiction? Juge de toutes choses, imbecille ver de terre; dépositaire du vray, amas d'incertitude; gloire, et rebut de l'univers. S'il se vante, je l'abbaisse; s'il s'abbaisse je le vante, et le contredis toûjours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incomprehensible.

XXII

Connoissance generale de l'homme.

A premiere chose qui s'offre à l'homme,
quand il se regarde, c'est son corps, c'est à

dire une certaine portion de matiere qui luy est propre. Mais pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est au dessus de luy, et tout ce qui est au dessous, afin de reconnoistre ses justes bornes.

Qu'il ne s'arreste donc pas à regarder simplement les objets qui l'environnent. Qu'il contemple la nature entiere dans sa haute et pleine majesté. Qu'il considere cette éclatante lumiere, mise comme une lampe eternelle, pour éclairer l'univers. Que la terre luy paroisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit. Et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour luy mesme n'est qu'un point tres delicat, à l'égard de celuy que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si nostre veüe s'arreste là, que l'imagi

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