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Air du vaudeville de Fanchon.
Pour guérir, on vous pique;
Système économique,
Qui depuis ce moment
Répand

La joie en nos familles ;
Car nous avons en magasins
Plus de bonnes aiguilles
Que de bons médecins.

Delmar.

Les jeunes ouvrières,
Les jeunes couturières
Ont remplac: la Faculté ;
Ces novices gentilles

Vont, en servant l'humanité,
Avec un cent d'aiguilles,
Nous rendre la santé.

Rondon. Je te prends ce trait-là pour mon journal, car je parle de tout dans mon journal; mais je ne me connais pas beaucoup en médecine; et si monsieur veut me donner deux ou trois articles tout faits...

Rémy. Y pensez-vous! Employer de pareils moyens, ce serait mal, ce serait du charlatanisme.

Delmar. Raison de plus.

Rondon. Du charlatanisme! mais tout le monde en use à Paris; c'est approuvé, c'est reçu, c'est la monnaie courante. Delmar. Témoin notre dernier succès.'

Rondon. D'abord la représentation était au bénéfice d'un acteur, qui se retirait définitivement pour la quatrième fois. Delmar. Depuis un mois, les journaux annonçaient qu'il n'y avait plus de places, que tout était loué.

Rondon. Et la composition du spectacle!

Delmar. Et celle du parterre! je ne t'en parle pas; mais il ne faut pas croire que nous soyons les seuls. Dans tous les états, dans toutes les classes, on ne voit que charlatanisme.

Rondon. Le marchand affiche une cessation de commerce qui n'arrive jamais.

Delmar. Le libraire publie la troisième édition d'un ouvrage avant la première.

Rondon. Le chanteur fait annoncer qu'il est enrhumé, pour exciter l'indulgence. Charlatans! charlatans! tout ici

bas n'est que charlatans.

Delmar. Je ne te parle pas des compères.

Rondon. Nous serons les vôtres. Je vous offre mes ser.

vices et mon journal, car moi je suis bon enfant.

1 Notre dernier succès on est la preuve.

Rémy. Je vous remercie, messieurs; mais j'ai aussi mon système, et je suis persuadé que, sans intrigue, sans prôneurs, sans charlatanisme, le véritable mérite finit toujours par se faire connaître et acquérir une gloire solide et plus durable. Delmar. Oui, une gloire posthume: essaye, et tu m'en diras des nouvelles.

Rémy. Adieu, je vais faire quelques visites.

Delmar, (le retenant.) Mais, écoute donc.

Rémy. Si les personnes que j'attends arrivaient pendant mon absence, charge-toi de les recevoir et de leur montrer leur appartement.

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Rondon. C'est donc un philosophe que ton ami le médecin ? Delmar. Non, mais c'est un obstiné qui, par des scrupules déplacés, va manquer un beau mariage.

Rondon. C'est cependant quelque chose qu'un beau mariage; et puisque nous en sommes sur ce chapitre, j'ai une confidence à te faire. Il est question, en projet, d'un superbe établissement pour moi: vingt mille livres de rente.

Delmar. Vraiment ! et quelle est la famille?

Rondon. Je ne te le dirai pas, car je n'en sais rien encore; mais on doit me présenter au beau-père dès qu'il sera arrivé.

Delmar. Ah! il n'est pas de Paris?

Rondon. Non; mais il vient s'y fixer: un homme immensément riche, qui aime les arts, qui les cultive lui-même, et qui ne serait pas fâché d'avoir pour gendre un littérateur distingué et un bon enfant; et je suis là.

Delmar. C'est cela, te voilà marié, et tu ne feras plus rien.

Air de la Robe et les Bottes.

Prends-y bien garde, tu t'abuses!
Oui, tu compromets ton état ;

Quand on se voue au commerce des muses,
On doit rester fidèle au célibat.

Rondon.

Crois-tu l'hymen si funeste à l'étude ?

Delmar.

L'hymen, mon cher, est funeste aux auteurs ;
A nous surtout, nous qui, par habitude,

Avons toujours des collaborateurs.

Et voilà pourquoi je veux rester garçon.

Rondon. Oui, et pour quelque autre raison encore. a de par le monde une jolie petite dame de Melcourt.

Il y

Delmar. Y penses-tu? la femme d'un académicien! Un instant, monsieur, respect à nos chefs, aux vétérans de la littérature.

Rondon. Oh! je suis prêt à ôter mon chapeau; mais il n'en est pas moins vrai qu'un mari académicien est ce qu'il y a de plus commode! d'abord, l'habitude qu'ils ont de fermer les

yeux.

Delmar. Halte-là, ou nous nous fâcherons. Madame de Melcourt est la sagesse même. Avant son mariage, c'était une amie de ma sœur ; et il n'y a entre nous que de la bonne amitié. Ingrat que tu es! c'est à elle que nous devons nos succès; c'est notre providence littéraire. Vive, aimable, spirituelle, répandue dans le grand monde, partout elle vante tous nos ouvrages. Divin! délicieux! admirable! elle ne sort pas de là; et il y a tant de gens qui n'ont pas d'avis, et qui sont enchantés d'être l'écho d'une jolie femme! Et aux premières représentations, il faut la voir aux loges d'avantscène. Elle rit à nos vaudevilles, elle pleure à nos opérascomiques. Dernièrement encore, j'avais fait un mélodrame... qui est-ce qui ne fait pas de sottise? j'avais fait un mélodrame à Feydeau; elle a eu la présence d'esprit de s'évanouir au second acte, cela a donné l'exemple; cela a gagné la première galerie; toutes les dames ont eu des attaques de nerfs, et moi un succès fou. Si ce ne sont pas là des obligations!... Rondon. Allons! allons! tu as raison; mais il faudra lui

parler de notre pièce d'aujourd'hui, celle que je viens de lire, pour que d'avance elle l'annonce dans les bals et dans les sociétés; cela fait louer des loges.

Delmar. À propos de cela, parlons donc de notre ouvrage,

donne-moi des détails sur la lecture.

Rondon. Je sors du comité, il était au grand complet. Comme c'est imposant, un comité! On y voit de tout, de graves professeurs, des militaires, des employés, des avoués, et même des hommes de lettres.

Delmar. As-tu bien lu?

Rondon. Comme un ange.

Delmar. Et nous sommes reçus ?

Rondon. Je n'en doute pas, ils ont ri; et le directeur m'a reconduit jusqu'au bas de l'escalier, en disant qu'on allait m'écrire. (Se mettant à la table.) Aussi, je vais annoncer notre réception dans le journal de ce soir.

Delmar. Il n'y a en toi qu'une chose qui me fâche, c'est que tu sois à la fois auteur et journaliste; tu te fais des pièces et tu t'en rends compte; tu te distribues, à toi, des éloges, et à tes rivaux, des critiques : cela ne me paraît pas bien. Air: Le choix que fait tout le village.

Lorsque l'on est sorti de la carrière,
Lorsque l'on goûte un glorieux repos,
On peut porter un arrêt littéraire,
On peut alors parler de ses rivaux.
Qui, le pouvoir que déjà tu te donnes,
À nos anciens il faut l'abandonner :
Ceux qui jadis ont gagné des couronnes,
Seuls, à présent, ont le droit d'en donnér.

Rondon. Écoute donc, il faut se faire craindre des directeurs et des confrères.

Delmar. Et même dans les pièces où tu ne travailles pas avec moi, tu ne m'épargnes jamais les épigrammes.

Rondon. C'est vrai; je t'aime, je t'estime, j'aime tous mes confrères, mais je n'aime pas leurs succès.-Moi! un succès me fait mal, j'en conviens franchement; je suis un bon enfant, mais... Tiens, écoute. (Il lit ce qu'il vient d'écrire.) "On a reçu aujourd'hui au théâtre de..." Faut-il nommer

le théâtre ?

Delmar. Pourquoi pas ?

Rondon, (lisant.) "On a reçu aujourd'hui, au théâtre de MADAME un vaudeville qu'on attribue à deux auteurs connus par de nombreux succès...

Delmar. La phrase de rigueur; et si la pièce tombe, tu mettras: "Elle est de deux hommes d'esprit, qui prendront leur revanche...

Rondon. C'est juste! (Continuant à lire.) "On assure que cette pièce ne peut qu'augmenter la prospérité d'un théâtre qui s'efforce de mériter, chaque jour, la bienveillance du public. Le zèle des acteurs, l'activité de l'administration, l'intelligence du directeur, du comité..."

Delmar. Il y en a pour tout le monde.

Rondon. Dame! ils ont tous ri. Et puis, si une pièce est bonne, il ne faut pas, parce qu'elle est de nous, que cela m'empêche d'en dire du bien. Moi, je ne connais personne; la vérité avant tout.

SCÈNE V.

Les Précédents, John.

John. Monsieur; c'est de l'argent.

Delmar. Bon, mes droits d'auteur du mois dernier.
John. Oui, monsieur, quatre mille francs.

Delmar. Quatre mille francs! ô Racine! ô Molière ! (Les prenant de la main de John.) C'est bien; mille francs pour l'économie, et mille écus pour les plaisirs. (Il les renferme dans son secrétaire.)

John. Et puis, voici une lettre qu'un garçon de théâtre vient d'apporter.

Rondon, (se levant, et prenant la lettre.) Eh! c'est la lettre de réception! (Il lit tout haut.) "Messieurs, votre petite pièce." Petite pièce; elle est parbleu bien grande! "votre petite pièce pétille d'esprit et d'originalité; les caractères sont bien tracés, le dialogue est vif et naturel, les scènes abondent en intentions comiques; mais on a trouvé que le genre de l'ouvrage ne convient pas à notre théâtre. Je vous annonce donc à regret que la pièce a été refusée.....

Delmar. Refusée !

Rondon. "À l'unanimité. Croyez bien, messieurs, que l'administration..." Oui, les termes de consolation! C'est une horreur !

Delmar. Tu disais qu'ils avaient ri.

Rondon. Mais à mes dépens, à ce qu'il paraît. C'est prendre les gens en traître. C'est une indignité.

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Delmar. Ils sont fiers, parce qu'ils ont la vogue.

Rondon. Ils ne l'auront pas longtemps, je me vengerai; et pour commencer, un bon article, bien juste... (Il se met à la table, et écrit.) "Les recettes du théâtre de MADAME Commencent à baisser; son astre pâlit..."

Delmar. Comment! tu vas...

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