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SCÈNE II.

Madame Duservant, seule.

Oui! elle est heureuse, mais c'est moins du plaisir de recevoir ses amis, que de l'occasion de se donner de l'importance. Je ne serais pas fâchée qu'il se présentât, quelque occasion de rompre un peu sa petite vanité: cette soirée me la fournira sans doute, et j'ai eu mon but en satisfaisant leurs désirs; mais on vient.

SCÈNE III.

Madame Duservant, M. Lebreton.

Madame Duservant. Ah! c'est vous, mon cher Lebreton ? M. Lebreton. Je vous présente mes hommages, madame.... Mais dites-moi, votre fils cst donc bien affairé aujourd'hui, car il vient de passer à côté de moi sans me faire la moindre politesse.

Madame Duservant. Je vous prie de l'excuser.... Il est vrai que mes enfans sont aujourd'hui en grand émoi, et vous arrivez à merveille, mon cher ami, car, bien qu'il y ait chez moi grande réunion ce soir, je serai seule, et je vous retiens pour me tenir compagnie.

M. Lebreton. Mais c'est une énigme que vous me proposez à deviner: comment expliquez-vous cela?

Madame Duservant. Rien de plus simple: mes enfans donnent une soirée, je veux entièrement les abandonner à euxmêmes pour voir comment ils s'en tireront, et s'ils feront bien les honneurs à leurs amis; c'est une épreuve que j'ai tenté de faire.

M. Lebreton. Vous avez une excellente idée, et il devrait entrer dans l'éducation de façonner à l'avance les jeunes gens avec les devoirs familiers qu'ils auront à remplir.

Madane Duservant. Cependant, je vous avouerai que j'ai quelque crainte que l'épreuve que je fais ne réponde pas en résultat à ce que je désire.

M. Lebreton. Pourquoi donc ? Vos enfans ont un excellent naturel.

Madame Duservant. Sans doute leur caractère est bon, mais ils ont aussi certains défauts qui leur nuiront dans cette circonstance; je l'appréhende.

M. Lebreton. Espérons le contraire... Ah ça, vous refusez donc d'avoir l'œil sur tout ce qui se passera, et vous abandonnez ces jeunes têtes à elles-mêmes?

Madame Duservant. Je l'ai promis; cependant je voudrais être à même de' tout voir sans me montrer.

M. Lebreton. Je le conçois... Il y aurait peut-être quelque

moyen.

Madame Duservant. Voyons, cherchez...

M. Lebreton. Parbleu! il me vient une excellente idée. Madame Duservant. Vraiment!... dites-la moi bien vite. M. Lebreton. Oui! ce projet aurait quelque chose de piquant... Ce serait de...

Madame Duservant. Silence! on vient...

SCÈNE IV.

Les Précédens, Victor, Caroline, Marguerite.

Caroline. Maman, Victor est bien insupportable, il veut retenir Marguerite, tandis que j'ai besoin d'elle pour m'habiller.

Victor. Mais il faut que Marguerite range le salon d'après mes ordres; il est bientôt temps, car nos invités ne tarderont pas à venir.

Caroline. Arranger le salon! tu t'entends joliment à cela: ce serait du beau! C'est moi que ça regarde ; je dirai à Marguerite ce qu'il faut faire pendant qu'elle m'habillera; cela ne demandera pas beaucoup de temps.

Victor. C'est le principal, n'est-ce pas, maman?

Madame Duservant. Mes enfans, cela ne me regarde pas: je vous ai laissés maîtres d'agir comme bon vous semblera pendant cette soirée, arrangez-vous, je ferai après mes observations.

Caroline. Comme je suis l'aînée, c'est à moi de commander; ainsi, Marguerite, suivez moi.

Victor. Je ne reconnais pas ton aînesse, c'est aux hommes qu'appartient la supériorité, ainsi, Marguerite, je vous ordonne de rester.

M. Lebreton, (avec malice.) À merveille! il faut avoir le sentiment de ses droits, de sa dignité; il te manque encore une vingtaine d'années pour faire un homme.

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Mais aux âmes bien nées,

La vertu n'attend pas le nombre des années.

Marguerite. Avec tout ça, je reste là le bec dans l'eau.' Caroline, (lui prenant le bras.) C'est avec moi que tu dois venir.

Victor, (l'arrêtant par l'autre bras.) Je t'ai dit de rester. Marguerite. Doucement! doucement! si ça continue, ils vont m'emporter par pièces et par morceaux.

Madame Duservant, (froidement.) Je vous avertis qu'il est sept heures, et que vos invitations sont pour huit.

Caroline. Oh! mon Dieu! mon Dieu! quel entêtement; je ne serai jamais prête.

Victor. Le salon ne sera pas en ordre.

Madame Duservant. Passons dans mon appartement, Lebreton, et laissons les maîtres de s'arranger dans ce salon. M. Lebreton. Je vous suis. (Ils sortent.) Caroline. C'est vraiment insupportable! Victor. C'est un entêtement affreux ! Caroline. Je vous conseille de parler.

Victor. Voyons, Marguerite, ne l'écoutons pas, et com

mençons.

Caroline, (pleurant.) Quelle indignité! Comment voulezvous que je me montre sans être habillée ?

Marguerite. Quant à moi, je ne vous obéirai à l'un ou à l'autre, que lorsque vous serez d'accord.

SCÈNE V.

Les Précédens, Baptiste.

Baptiste. Monsieur Victor, toutes vos lettres sont remises; vos amis ont promis de se rendre à votre fête, ainsi, vous ne tarderez pas à les voir.

Marguerite. Je leur conseille d'envoyer d'autres lettres pour les prier de rester chez eux, car, du train qu'ils vont...2 Victor. C'est bien, on ne te demande pas tes avis... Puisque Baptiste est là, il va rester avec moi, et je te permets d'aller avec ma sœur.

Marguerite. Ce n'est pas malheureux que monsieur nous permette!...

1 On me fait attendre, on m'amuse de belles paroles.

2 De la manière qu'ils vont.

Caroline. C'est pitoyable!... Comme si je n'avais pas plus d'autorité que lui.... Mais viens vite, Marguerite.

Marguerite, (à part en la suivant.) Ils ne valent pas mieux l'un que l'autre. (Elles sortent.)

SCÈNE VI.

Victor, Baptiste.

Victor. Ah ça, commençons, nous autres.' Voilà d'abord un guéridon qu'il faut enlever.

Baptiste. Voulez-vous le soulever de votre côté, afin de ne pas rayer le parquet?

Victor. Tiens! je vous trouve plaisant... Je suis ici pour commander et vous pour m'obéir, et je ne suis pas fait pour vous aider.

Baptiste. Eh bien! moi, je vous déclare que si vous prenez ces manières là avec moi, je vous enverrai promener.2 Victor. Qu'est-ce à dire ? maman ne m'a-t-elle pas remis son autorité sur vous.

Baptiste. Votre maman n'entend pas que vous soyez malhonnête envers moi, et que je sois assujéti aux caprices d'un enfant de votre âge, vous avez avec moi un ton qu'elle même n'a jamais pris; changez de note, si vous voulez que nous nous arrangions, essayez d'être poli, et vous verrez que je ferai tout pour vous être agréable.

Victor. Allons, on va mettre des gants pour vous parler... Mais, achevons de pousser ce guéridon, car si je ne cède pas à votre idée... (Ils poussent le guéridon et Baptiste continue l'arrangement du salon.)

Baptiste. Mes idées sont raisonnables.

Victor. Dites donc que vous abusez de ce que je suis encore jeune; mais patience, un jour, je saurai bien me faire servir.

Baptiste. Le meilleur moyen pour cela, voyez-vous, c'est de se faire aimer.

Victor. Ah! monsieur Baptiste qui fait des sentences; mais avec toute votre belle morale, nous n'avançons pas, vous êtes d'une lenteur... (Il regarde à la pendule.) Mon Dieu, sept heures trois quarts! dépêchez-vous donc !

1 Nous autres, vous autres, expression familière, ironique.
2 Je vous laisserai là.

Baptiste. Parbleu! vous qui vous gobergez là,' que ne mettez-vous pas un peu la main à la pâte ?2 au lieu de perdre votre temps à parler pour ne rien dire, si vous allumiez les bougies, par exemple.

Victor. Est-ce que j'ai des ordres à recevoir de vous, encore une fois ? En vérité, il est bien ridicule de payer des gens et d'être obligé de faire leur besogne.

Baptiste. Vous seriez déshonoré, sans doute? J'ai vu que votre père n'y regardait pas de si près, lorsqu'il était ici, et que nous avions un moment de presse.

Victor. Taisez-vous, vous n'êtes qu'un bavard.

SCÈNE VII.

Les Précédens, Marguerite.

Marguerite, (arrivant en colère. A la cantonade en entrant.) Non! mademoiselle, il y a assez long-temps que je souffre vos impertinences; vous achèverez de vous habiller comme vous l'entendrez... c'est impatientant, à la fin.

Baptiste. Ma foi, monsieur, je vous en dis autant.

Victor. Comment!

Baptiste. Oui, je m'en vais... Je ne conçois pas que madame nous contraigne d'endurer les sottises de deux enfans: j'aimerais mieux quitter la maison.

Marguerite. Et moi aussi... Venez, Baptiste, laissons-les. (Ils sortent.)

SCÈNE VIII.

Victor, et ensuite Caroline.

Victor. Ils s'en vont! et voilà l'heure où l'on va venir; je suis d'une colère!... allons trouver maman.

Caroline, (elle tient une ceinture à sa main.) Marguerite! Marguerite! mais venez donc, ne me laissez pas ainsi : c'est abominable... Où est-elle donc ?

Victor. Elle est partie avec Baptiste.

Caroline. Il faut que je la fasse chasser de la maison; c'est un trait indigne qu'elle me fait.

1 Se goberger, prendre ses aises.

2 Mettre la main à la pâte, aider à une besogne.

Y regarder de près, être très scrupuleux.

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