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Baptiste, (effrayé, bas à son maître.)

Grands dieux!

Nous sommes perdus tous les deux.

Chœur.

Bonsoir, monsieur, à demain.

Dormeuil.

Demain, de grand matin,
La noce se fait à la ville;
En attendant, chacun, je croi,
Peut se retirer chez soi.

Frédéric.

Il le faut bien; chacun chez soi.
Mais demain, demain... Adieu, Cécile.

(A Gustave.)

Tout est signé, tout est écrit,
L'amour a couronné ma flamme :
Me voilà donc enfin mari sans contredit,
A moins que cette nuit

Le diable n'emporte ma femme.

Chœur.

Partons, bonne nuit, bonne nuit,

Ensemble.

Ah! que mon âme est émue! etc.

(Les domestiques, le flambeau à la main, conduisent les parents par les portes de droite et de gauche. Cécile, Dormeuil et Marie sortent par le fond, ainsi que Frédéric et Gustave.)

ACTE DEUXIÈME.

Le Théâtre représente un pavillon demi-circulaire à colonnes, très-riche, fermé de tous les côtés. Au fond, une porte et deux croisées latérales, servant aussi de portes, toutes trois garnies de persiennes. A gauche du spectateur, une porte qui est censée donner dans un autre appartement du pavillon; à droite et à gauche, des panneaux, sur lesquels sont peints différents sujets. Dans le fond, à droite, est un paravent ; entre le paravent et un des panneaux de la droite est un fauteuil. Il fait nuit. Au lever du rideau, Gustave écrit devant une table. Baptiste examine toutes les portes pour voir si elles sont bien fermées.

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Baptiste, (appelant Gustave.) Monsieur! monsieur! trois

heures du matin !

Gustave. Parbleu! je le sais bien, puisque tu as eu soin de m'avertir à tous les quarts d'heure.

Baptiste. Est-ce que monsieur ne se couche pas ? Gustave. Non; mais nos lits sont dans la chambre à côté. Va dormir si cela te convient, et laisse-moi.

Baptiste. C'est que je n'aime pas à dormir seul, je m'ennuie, et puis, s'il arrivait quelque chose à monsieur, peutêtre n'entendrais-je pas.

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Et dans ce pavillon isolé, au milieu d'un jardin immense... Gustave, (sans l'écouter.) Éloigne cette table.

Baptiste, (lui parlant, et s'appuyant sur la table.) Encore, si l'on pouvait attendre des secours du château. Autrefois, i existait une communication qui au moyen d'un ressort... Je ne sais plus comment ils m'ont expliqué cela; mais on n'en a plus connaissance, et le hasard seul pourrait le faire retrouver. Alors, vous sentez bien qu'après tout ce qu'on

raconte...

Gustave. Baptiste, je vais me fâcher.

Baptiste. Oh! monsieur, cela me paraît prouvé; car on l'a mis dans le journal du département, et avant huit jours. ceux de Paris le répéteront: j'espère qu'alors vous ne pourrez plus en douter.

Gustave. Eh bien! voyons, où en veux-tu venir?

Baptiste. Eh bien! monsieur, ils disent donc que chaque nuit le fantôme vient se reposer dans ce pavillon jusqu'au point du jour; mais qu'aux premiers rayons du soleil, crac, il a l'air de s'abîmer dans la muraille et hier, Thomas, le jardinier, l'a vu comme je vous vois, sinon qu'il a fermé les yeux, ce qui l'a empêché de distinguer.

Gustave. Ah çà! j'espère que tu as fini... Arrange-toi comme tu voudras, dors ou ne dors pas; mais tâche de te taire, ou demain je te chasse.

Baptiste. Ou demain je te chasse... (Emportant la table, et la plaçant à la gauche du spectateur.) Dieux! que c'est insupportable qu'il y ait des gens qui soient les maîtres! car sans les maîtres, il serait bien plus agréable d'être domestique.

Air de Julie.

Mais j'ai fermé porte et fenêtre;
Partout j'ai fermé les verrous.

(S'arrangeant dans un fauteuil qui est à l'extrême gauche et près de la table.)
Puisqu'il me faut obéir à mon maitre,

Pour lui complaire, endormons-nous.
Si je pouvais, douce métamorphose,
Imiter tant de gens de bien,

Qui, comme moi, s'endorment n'étant rien,
Et qui s'éveillent quelque chose !...
Quelque chose...

SCÈNE II.

Gustave, seul.

(Il s'endort.)

Encore quelques heures, et elle sera perdue pour moi!... Et je resterais demain au château !

Non! le dessein en est

pris,' j'enverrai cette lettre à mon ancien colonel, à mon ami, et demain je partirai sans voir Cécile.

Air: Tendres échos errants dans ces vallons.

Elle a trahi ses serments et sa foi,
Et pour jamais il faut que je l'oublie.
J'avais juré de vivre sous sa loi;

Eh bien, j'irai mourir pour ma patrie.

Patrie, honneur! pour qui j'arme mon bras,
Vous seuls au moins ne me trahirez pas.
Nouveaux serments vont bientôt m'engager,
Et si je fus quitté par une belle,

Sous les drapeaux, où je cours me ranger,
La gloire au moins me restera fidèle.

Patrie, honneur! pour qui j'arme mon bras,
Vous seuls, hélas! ne me trahirez pas.

(Il se jette sur une chaise, à droite du spectateur.)

(On entend une ritournelle.)

Ciel!... qu'entends-je !... Quel est ce bruit?

SCÈNE III.

Gustave, Cécile. Gustave se penche sur son fauteuil pour découvrir d'où vient le bruit. Derrière lui, à droite, un des panneaux du pavillon près du fauteuil s'ouvre tout à coup, et Pon voit paraître Cécile en robe blanche très-simple; elle a les bras nus, et sur le cou un très-petit fichu élégamment brodé; elle tient un flambeau à la main, et s'avance lentement. Le panneau se referme de lui-même. Arrivée à la table près de laquelle dort Baptiste, elle y pose son flambeau.

Gustave. Qu'ai-je vu?... Cécile !...

Cécile. J'ai cru qu'ils me poursuivaient; qu'ils voulaient encore me faire signer... Non, je ne veux plus, surtout s'il est là.

1 C'est bien décidé.

Gustave. Qui peut causer, pendant son sommeil, l'agitation effrayante où je la vois ?

Cécile, (d'un air suppliant.) Mon père !... oui, vous avez raison... Cécile est bien malheureuse! C'est fini... je suis mariée !... (Portant la main à sa tête comme pour sentir sa parure.) Oui, c'est moi qui suis la mariée, car les voilà tous qui viennent me complimenter. (D'un air aimable et gracieux, et comme leur répondant.) Merci, merci, mes amis; oui, des vœux pour mon bonheur !... Ils ne me regardent plus... Si j'osais pleurer.

Gustave. Grands dieux!

Cécile, (regardant autour d'elle.) Pourquoi m'a-t-on menée à ce bal?... Un bal... Vous savez que je n'aime plus le bal; que je ne veux plus y aller... (Traversant le théâtre, et allant à droite.) Oui, nous y voilà... (Elle salue, et s'assoit1 sur la chaise qu'occupait Gustave.) Il y a tant de monde dans ce salon, et il n'y est pas! (Faisant un geste de surprise.) C'est lui! je l'ai aperçu! mais il se gardera bien de me parler, de danser avec moi: ce n'est qu'avec mademoiselle de Fierville.

Gustave, (vivement.) Mademoiselle de Fierville!...

Cécile. Ah, mon Dieu! comme mon cœur bat! Il s'approche de nous... (Froidement, et comme pour répondre à une invitation.) Avec plaisir, monsieur... (Vivement.) Il m'a invitée! Que va-t-il me dire, et que lui répondre ? Je suis fâchée maintenant d'avoir accepté... Je voudrais que la contredanse ne commençât jamais... Ah, mon Dieu! je crois entendre... Oui, voilà le prélude! (L'orchestre joue le commencement de la contredanse que Cécile croit entendre. Elle se lève de dessus le fauteuil, et se met en place pour danser. Elle porte la main à ses bras comme pour arranger ses gants, et présente la main comme si un cavalier la lui tenait.*)

Gustave. Ah! profitons de son erreur! (Il lui prend la main.)

Cécile. Sa main a pressé la mienne! N'importe, soyons aussi sévère... (D'un air très-froid, et ayant l'air d'écouter.) Comment, monsieur ?... (Ayant toujours l'air d'écouter.) Cependant, ce qu'il dit là est assez raisonnable... S'il savait quel

1 Il est plus élégant de dire: elle s'assied. Ce verbe est irrégulier, mais quelques-uns veulent le faire régulier.

2 Il se défiera, se défendra.

* Pendant tout le temps qu'est censée durer la contredanse, l'orchestre joue pianissimo, et avec des sourdines, l'air de la contredanse de Nina.

bien il me fait !... Quoi! monsieur, vous ne l'aimez pas ? Ah! j'ai bien envie de le croire... Que je vous réponde ?... Tout à l'heure... Vous voyez que c'est à moi de danser. (Elle danse toute une figure; elle va en avant, traverse, et va à droite et à gauche, en tournant le dos au spectateur : sur la dernière reprise elle s'arrête brusquement. La musique cesse : la contredanse est censée finie. Elle retourne à sa place, et fait la révérence pour remercier son cavalier. Elle s'assoit toujours sur la même chaise, arrange sa robe comme pour faire une place à côté d'elle à Gustave; puis a l'air de lui adresser la parole, et de continuer une conversation déjà commencée.) Vous êtes heureux... et moi donc !... Combien je suis contente que nous soyons raccommodés!... Vous ne savez donc pas qu'on voulait me marier? et bien malgré moi, encore... Mais, tenez, le voilà cet anneau que vous m'avez donné, et ce qui me faisait le plus de peine, c'est qu'il aurait fallu le quitter.

Gustave, (douloureusement.) Pauvre Cécile !

Cécile. Oui, il l'aurait bien fallu... Je vous aurais dit: Reprenez-le; car, pour moi, je n'aurais jamais eu la force de vous le rendre.

Gustave. Ah! malheureux que je suis!

Air: Dormez donc, mes chères amours.

Hélas! à son dernier désir

Je saurai du moins obéir.

(Il retire l'anneau du doigt de Cécile, et le met au sien.)

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Cécile. Mon Dieu, la soirée est déjà finie ;... il faut déjà se séparer... Il me semble que je n'ai jamais tant aimé le bal. Voilà qu'on m'apporte mon châle.... Sans doute la voiture est arrivée, et mon père m'attend. (Baissant les épaules comme pour mettre un châle.) Adieu, Gustave; vous viendrez nous

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