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Victor. J'en demanderai autant pour Baptiste, qui laisse ce salon à moitié rangé.

Caroline. Et voilà huit heures! quel dépit! Tiens, faismoi le plaisir d'agrafer ma robe; je mettrai bien ma cein

ture.

Victor. Ma foi non! c'est toi qui est la cause de tout cet embarras.

Caroline. C'est plutôt toi, avec ta mauvaise tête... Mais, mon Dieu, voilà qu'on arrive... quelle contrariété !...

SCÈNE IX.

Les Précédens, Charles et Adèle Grandson.

Charles. Bonsoir, mes bons amis... nous sommes exacts, j'espère.

Adèle. Veux-tu m'embrasser, Caroline?

vous donc? je vous trouve l'air contrarié.

Mais qu'avez

Victor. Pardi! vous voyez que rien n'est en ordre ici, nos impertinens de domestiques nous ont laissés-là.

Caroline. Et moi, ma bonne m'a habillée à moitié.

Adèle. N'est-ce que cela? mon Dieu, tu vas être prête en un clin d'œil. (Elle arrange Caroline.)

Charles. Voyons, que faut-il faire pour mettre en ordre ce salon? À nous deux, Victor, nous allons avoir fait en une minute.

Victor. C'est toujours fort contrariant, quand on a des valets pour cela.

Adèle. Bah! c'est un petit malheur; voilà Caroline toute parée, nous allons vous aider.

Victor. Poussons d'abord cette grande table dans un coin, pour qu'elle ne gêne pas.

Charles. À nous deux! (Ils enlèvent la table.)

Victor. Pas si vite, donc! Que tu-es butor!1 tu me fais passer la roulette sur le pied.

Charles. Que tu es poli, toi, c'est sans intention, sans doute.

Victor. Voyons, allumons les bougies.

Adèle. Où faut-il poser les candelabres?

Caroline. Sur la console.

Adèle. Bien !

Caroline. Mais, ma chère, vous n'avez pas de goût; vous voyez bien que les ornemens doivent être en dehors.

'Mal-adroit, stupide.

Adèle. Tu ne me donnes pas le temps.

Charles. Voilà nos bougies allumées.

Caroline. Je vais draper' ces rideaux; pendant ce temps, Adèle, arrange la garniture de cheminée.

Victor. Nous, rangeons le canapé et les fauteuils.

Charles. Voyons.

Victor, (à Charles.) Est-ce que ça se place comme cela? Es-tu gauche !"

Charles. Ma foi! tu peux les arranger toi-même.

Adèle. Tiens! vois Caroline, ma garniture de cheminée. Caroline. Hum! je ne t'en ferai pas compliment; tes vases sont mal placés, tes chandeliers ne doivent pas être si près. Tu ne serais pas encore bonne maîtresse de maison.

Adèle. Si je l'étais, je m'arrangerais de manière à ne pas avoir besoin de recourir à mes amis, afin de ranger mon salon!

Charles. Je commence à croire que vos domestiques n'ont pas eu tout-à-fait tort.

Adèle. Enfin tout est prêt, j'en suis charmée pour ceux que vous avez à recevoir plus que pour vous.

SCÈNE X.

Les Précédens, Mélanie D'Auberville, les Frères Durand. Ils restent debout; l'un d'eux, Félix, est bossu.

Mélanie. Bonjour, Caroline! Mesdemoiselles et messieurs, je suis votre servante.

Victor, (aux frères Durand.) Asseyez-vous donc, vous autres; vous vous tenez là comme des cierges.

Félix. Ne prenez pas tant de peine.

Edouard. Nous pensions être un peu en retard, mais nous ne sommes pas les derniers.

Mélanie. Vous manque-t-il encore beaucoup de monde? Ah! voici Adèle, je ne t'avais pas vue. (Elles s'embrassent.) Charles, (à Félix.) C'est un baiser de Judas, car je sais qu'elle déteste ma sœur.

Félix. Je ne peux pas la souffrir, cette demoiselle; mais c'est la grande amie de Caroline, qui ne vaut guère mieux. Victor. Il nous manque encore les demoiselles Blinval. Mélanie. Ah! les trois Blinval, la savante, la bête et la prude.

1 Draper, arranger les plis de.
Mal-adroit.

Caroline, (riant.) Ah! ah! ah! c'est plaisant.
Victor. Ma foi, elles sont bien nommées.

Félix. Si vous vous moquez ainsi des absens, ce n'est pas trop rassurant pour nous, et nous avons eu sans doute aussi notre paquet ?1

Charles. Monsieur, vous pouvez garder vos réflexions désobligeantes.

Mélanie. C'est que monsieur a quelque chose qui le rend susceptible.

Félix. Je ne m'en défends pas, j'ai quelque chose de travers, comme vous avez l'esprit, chacun a ses défauts.

Adèle. Ah ça, sommes-nous ici pour pointiller ou entendre des choses désagréables?

Mélanie. Voici les demoiselles Blinval; vous allez les voir entrer en rang d'ognons.3

Edouard. Quelle mauvaise langue!

SCÈNE XI.

Les Précédens, les demoiselles Blinval.

Mélanie, (courant au-devant d'elles.) Ah! arrivez donc, mes bonnes amies, nous commençions à nous ennuyer après vous. (Elles s'embrassent.)

Charles. Quelle fausseté!

Félix. C'est une véritable comédienne.

Mademoiselle Blinval, (aînée.) Pardon, si nous nous sommes fait attendre; notre oncle est arrivé comme nous sortions. Adèle. Il n'y a pas de retard.

Victor. Décidons, maintenant, ce que nous allons faire. Edouard. Si nous jouions au Colin-Maillard ?4

Caroline. Ah! grand Dieu! au Colin-Maillard!

Mélanie, (à Caroline.) Il faut être bien épicier pour pro

poser un pareil jeu !

Adèle. Je connais une ronde nouvelle; si vous voulez, je vais vous la chanter.

Tous. Ah! bravo! c'est cela, dansons une ronde.

Adèle chante, et les autres dansent.

Mélanie. Ah! je suis essoufflée.

1 Nous avons eu notre paquet, vous nous avez lancé votre trait.

2 Avoir l'esprit de travers, en anglais: to be wrong-headed.

En rang d'ognons, l'une après l'autre. Ironique.

• Jeu où l'un des joueurs a les yeux bandés, et poursuit les autres.

Mademoiselle Blinval, (aînée.) Cette ronde est fort amusante, et mademoiselle nous l'a chantée comme un ange. Caroline. Vous avez besoin de vous rafraîchir.

Victor. Je vais faire servir notre petite collation. (Il sort.) Charles. Asseyons-nous, et décidons ce que nous ferons après.

Edouard. Que chacun propose son jeu.

Mélanie. Ne nous proposez plus de Colin-Maillard, surtout. Adèle. On s'amuse au Colin-Maillard comme à tout autre jeu.

Victor, (rentrant, il porte un accordéon qu'il pose sur la console.) On va nous servir à l'instant; avançons la table. Mélanie et Caroline, (partant d'un éclat de rire.) Ah! ah! ah!

Charles. Ces demoiselles manifestent une grande gaîté. Si elles avaient la bonté de nous apprendre ce qui les fait tant rire, nous partagerions leur hilarité. (Elles rient plus fort.)

Adèle. Voyons, mes amies, dites-nous ce que c'est ?

Mélanie. Rien; c'est quelque chose entre nous. Ah! ah! ah! (Elles rient plus fort.)

Mademoiselle Blinval. Quelqu'un de nous prête sans doute à rire à ces demoiselles, puisqu'elles refusent de nous mettre dans le secret de leur gaîté?

Caroline. Vous êtes bien chatouilleuse... Ah! ah! ah! Félix. Je parie que ma bosse est encore en jeu. Ces demoiselles sont comme moi, elles ont toujours quelque chose en arrière.1

Charles. Bien appliqué !

Caroline. Vous êtes vraiment ridicule; ne peut-on pas rire quand on en a envie? D'ailleurs, c'est plus fort que moi. (Leurs éclats redoublent.)

Charles. Allons, ça finira peut-être.

Edouard. Eh bien! moi, je vais vous dire le fin mot de cette grande joie; j'étais derrière ces demoiselles, j'ai tout entendu.

Mélanie. Monsieur, c'est fort mal.

Edouard. Rien ne m'oblige à me taire.

Tous les autres. Oui, oui, oui, parlez.

Edouard. Mademoiselle Mélanie trouve que le nez de M. Charles ressemble de profil au dos de mon frère.

1 En arrière, qu'elles ne veulent pas dire. Jeu de mots.
'Je ne puis m'en empêcher.

Félix. Quand je vous ai dit que ma bosse en était; mais deux fois de suite, cela devient trop bête, j'en suis fâché.

Charles. Que voulez-vous, puisque l'esprit de ces demoiselles est assez au dépourvu pour n'avoir pas à s'exercer sur autre chose, je leur livre très volontiers mon nez.

Adèle, (se levant.) C'est indigne! je ne reste pas davantage dans une maison où l'on ne reçoit que des impertinences. Viens, mon frère; comme je connais tes talens, et surtout ta bonté, je suis plus sensible que toi à l'injure qu'on te fait.

Charles. Je ne suis pas le moins du monde offensé; mais si tu veux te retirer...

Félix. Ma foi, j'étais invité à venir ici pour me divertir, et non pour amuser les autres... Edouard et moi, nous allons vous suivre..

Adèle. Mes demoiselles Blinval, pardonnez-nous; nous nous verrons ailleurs. (Ils sortent.)

SCÈNE XII.

Mélanie, Caroline, Victor, les demoiselles Blinval.

Mélanie. Ils font bien de s'en aller, puisqu'ils entendent si mal la plaisanterie.

Victor. Ce sont des sots; je regrette Charles et sa sœur, mais je suis content d'être débarrassé des Durand.

Mademoiselle Blinval, (à Caroline.) Vous auriez dû vous excuser, et faire quelque chose pour les retenir.

Caroline. J'en aurais été bien fâchée: Adèle est une prude, et son frère un fat: pourquoi a-t-il un gros nez?

Victor. J'avais apporté ton accordéon; Charles en joue, il nous aurait fait danser; maintenant, personne...

Mademoiselle Blinval. Pardonnez, j'en joue, moi, si vous voulez me le confier.

Caroline, (s'en emparant.) Tu as eu tort, je ne veux pas qu'on touche à mon accordéon; on aurait qu'à l'abîmer. Mademoiselle Blinval. Mais je vous ai dit que je savais

m'en servir.

Caroline, (avec humeur.) Oh! vous croyez savoir tout, vous. Mademoiselle Blinval. Je sais au moins cela de plus que

vous.

Caroline, (entre ses dents.) Pédante!

Mademoiselle Blinval. Ce que j'ai encore de plus que vous, c'est de savoir vivre.

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