Images de page
PDF
ePub

LA MÉTROMANIE,

COMÉDIE EN CINQ ACTES,

DE PIRON.

XIS PIRON naquit à Dijon en 1689. Il a écrit des opéras, des les et un assez grand nombre de poésies légères qu'on ne lit guère enant; mais son chef-d'œuvre, la Métromanie, est une comédie plie d'incidents heureux et de fort beaux vers, qu'on ne se lassera jaas de lire. Il mourut à Paris en 1773.]

[blocks in formation]

La Scène est chez M. de Francaleu, dans les jardins d'une maison de plaisance

aux portes de Paris.

[blocks in formation]

Mondor. Cette maison des champs me paraît un bon gîte. Je voudrais bien ne pas en décamper si vite,

Surtout m'y retrouvant avec tes yeux fripons,
Auprès de qui, pour moi, tous les gîtes sont bons.
Mais de mon maître ici n'ayant point de nouvelles,
Il faut que je revole à Paris.

Lisette.

Tu l'appelles?

[blocks in formation]

Mon., (revenant.) On m'a pourtant bien dit: chez monsieur

Francaleu.

1 De qui n'a rapport qu'aux personnes, mais ici avec tes yeux fripons, veut dire avec toi friponne.

Poligni. Je vous remercie de votre amitié, de vos offres généreuses, qui désormais me sont inutiles. Mon sort est fixé, et je ne pourrais maintenant, sans me perdre aux yeux du monde, sans manquer à l'honneur, rompre des engagements qui du reste comblent tous mes vœux.

SCÈNE VII.

Les Précédents; madame Dorbeval, Hermance; Dorbeval, tenant Hermance par la main.

Dorbeval. Eh bien! où donc est le marié ? On le demande de tous les côtés, et c'est moi qui lui amène sa femme.

Hermance. Eh, mon Dieu, oui! voilà tout le monde qui vient vous chercher.

Poligni, (prenant un air riant.) Tout le monde! Ah! c'est fort aimable! c'est charmant! je suis ravi, enchanté !

Dorbeval. Oh! ce n'est rien encore. Une de ces dames vient de se mettre au piano, et nous allons avoir un bal impromptu.

Poligni, (affectant une grande joie.) Nous danserons! c'est délicieux! tous les plaisirs à la fois! (Prenant la main d'Hermance.) Ma chère Hermance, venez, que je vous présente à mes amis. D'abord, à Olivier, mon camarade de collége. Hermance. Oh! je connais déjà monsieur; nous passé cet été quelques jours ensemble à Auteuil.

Poligni. A... Auteuil!

Hermance. Nous y avons joué la comédie.
Poligni, (vivement.) Le Mariage de Figaro ?
Hermance. Justement! je jouais Fanchette.

avons

Poligni, (s'efforçant de rire.) Fanchette? c'est charmant ! c'est très-gai!

Dorbeval, (à madame de Brienne.) Mais à mon tour, madame, permettez-moi de vous féliciter. On vient de m'apprendre votre fortune. Huit cent mille francs! Vous avez dû être ravie d'un pareil changement?

Madame de Brienne, (regardant Poligni.) Oui, je me réjouis du changement que j'éprouve, et auquel je n'osais croire.

Dorbeval, (à Poligni.) Mais, à propos, j'ai de bonnes nouvelles à t'apprendre; notre spéculation va à merveille! Dès demain, en réalisant, ta charge est payée, et, fin de mois, ta fortune est faite. Tu deviens un capitaliste, un riche propriétaire, et tu seras dans ton ménage aussi heureux que moi: maison de ville et de campagne, des chevaux, des équipages, de l'or, des amis; tu auras tout réuni.

Madame Dorbeval, (à part.) Excepté le bonheur !

LA MÉTROMANIE,

COMÉDIE EN CINQ ACTES,

DE PIRON.

(ALEXIS PIRON naquit à Dijon en 1689. Il a écrit des opéras, des tragédies et un assez grand nombre de poésies légères qu'on ne lit guère maintenant; mais son chef-d'œuvre, la Métromanie, est une comédie remplie d'incidents heureux et de fort beaux vers, qu'on ne se lassera jamais de lire. Il mourut à Paris en 1773.]

[blocks in formation]

La Scène est chez M. de Francaleu, dans les jardins d'une maison de plaisance

aux portes de Paris.

[blocks in formation]

Mondor. Cette maison des champs me paraît un bon gîte.

Je voudrais bien ne pas en décamper si vite,

Surtout m'y retrouvant avec tes yeux fripons,
Auprès de qui, pour moi, tous les gîtes sont bons.
Mais de mon maître ici n'ayant point de nouvelles,
Il faut que je revole à Paris.

Lisette.

Tu l'appelles?

[blocks in formation]

Mon., (revenant.) On m'a pourtant bien dit: chez monsieur

Francaleu.

'De qui n'a rapport qu'aux personnes, mais ici avec tes yeux fripons, veut dire avec toi friponne.

Lis. C'est ici.

Mon.

Vous jouez chez vous la comédie ?
Lis. Témoin ce rôle encor qu'il faut que j'étudie.
Mon. Le patron n'a-t-il pas une fille unique?
Lis.

Mon. Et qui sort du couvent depuis peu ?

Lis.

Mon. Vivement recherchée ?
Lis.

Oui.

D'aujourd'hui.

Et très-digne de l'être.

Mon. Et vous avez grand monde ?
Lis.

Mon. Illuminations, bal, concert?
Lis.

Mon. Un beau feu d'artifice?

Lis.

Mon.

À ne pas nous connaítre.

Tout cela.

Il est vrai.

M'y voilà.1

Damis doit être ici; chaque mot me le prouve.
Quand le diable en serait, il faut que je l'y trouve.
Lis. Sa mine? Ses habits? Son état? Sa façon ?
Mon. Oh! c'est ce qui n'est pas facile à peindre, non;
Car, selon la pensée où son esprit se plonge,

Sa face, à chaque instant, s'élargit ou s'alonge.
Il se néglige trop, ou se pare à l'excès.
D'état, il n'en a point, ni n'en aura jamais.
C'est un homme isolé, qui vit en volontaire ;
Qui n'est bourgeois, abbé, robin' ni militaire :
Qui va, vient, veille, sue, et, se tourmentant bien,
Travaille nuit et jour, et jamais ne fait rien;
Au surplus, rassemblant dans sa seule personne,
Plusieurs originaux qu'au théâtre on nous donne:
Misanthrope, étourdi, complaisant, glorieux,
Distrait.... ce dernier-ci le désigne le mieux;
Et tiens, s'il est ici, je gage mes oreilles
Qu'il est dans quelque allée à bayer aux corneilles,'
S'approchant, pas à pas, d'un haha qui l'attend,*
Et qu'il n'apercevra qu'en s'y précipitant.

Lis. Je m'oriente. On a l'homme que tu souhaites.
N'est-ce pas de ces gens que l'on nomme poëtes ?

1 C'est cela même.

2 Robin, homme de robe. Terme populaire.

Regarder en l'air niaisement.

Haha, ouverture au mur d'un parc, avec un fossé en dehors. Cela était pratiqué pour chasser le gibier.

[blocks in formation]

Mon. Quoi donc ?

Lis.

Le personnage en tout ressemble au tien; Sinon que ce n'est pas Damis que l'on le nomme.'

Mon. Contente-moi, n'importe, et montre-moi cet homme. Lis. Cherche: il est à rêver là-bas dans ces bosquets. Mais vas-y seul: on vient; et je crains les caquets.

SCÈNE II.
Dorante, Lisette.

Lis. Dorante ici! Dorante!

Dorante.

Ah, Lisette! ah, ma belle!

Que je t'embrasse! Eh bien, dis-moi donc la nouvelle !
Félicite-moi donc! Quel plaisir! L'heureux jour!
Que ce jour a tardé long-temps à mon amour!
De la chose, avant moi, tu dois être avertie.
Que ne me dis-tu donc que Lucile est sortie?
Que je vais... que je puis... conçois-tu... Baise-moi.
Lis. Mais vous n'êtes pas sage, en vérité.

Dor.

Pourquoi ?

Lis. Si monsieur vous trouvait? Songez donc où vous êtes.

Y pensez-vous, d'oser venir, comme vous faites,

Chez un homme avec qui votre père en procès...

Dor. Bon! m'a-t-il jamais vu ni de loin ni de près!

Je vois le parc ouvert : j'entre.

Lis.

Vous le dirai-je ? Eussiez-vous cent fois plus d'audace et de manége, Lucile même à nous daignât-elle s'unir,

Je ne sais trop comment vous pourrez l'obtenir.

Dor. Oh! je le sais bien, moi. Mon père m'idolâtre :

Il n'a que moi d'enfant : je suis opiniâtre :

Je le veux; qu'il le veuille: autrement (j'ai des mœurs)
Je ne lui manque point; mais je fais pis. Je meurs.
Lis. Mais si le grand procès qu'il a......
Dor.

Qu'il y renonce.

Le père de Lucile a gagné. Je prononce.
Lis. Mais si votre père ose en appeler?
Dor.

Jamais.

1 On doit éviter cette lettre euphonique avant un autre l

« PrécédentContinuer »